mercredi 28 avril 2010

Les utilisateurs du Web aideront-ils Facebook à conquérir le monde ? Réflexions à propos du nouveau bouton "like" de Facebook et ses implications


Vos sites préférés sont désormais tous connectés à Facebook. Sur le site de streaming Pandora, quand vous écoutez une chanson, vous pouvez maintenant appuyer sur le bouton «j'aime» (ou like, en anglais), avertissant ainsi tous vos amis Facebook de votre dernière découverte musicale. Idem pour un film sur IMDb, un restau sur Yelp, un article sur CNN.com, des cosmétiques Sephora, un jeans Levi's, et des dizaines d'autres produits disponibles sur le Web, y compris tous les articles jamais publiés sur Slate.com. Ces sympathiques petits boutons « j'aime » n'ont l'air de rien comme ça, mais ne vous y fiez surtout pas. Ce sont en fait les prémices du nouveau super plan imparable de Facebook pour ficher la totalité du Web, et il y a de fortes chance pour que dans les années qui viennent, ils s'avèrent une aide précieuse pour aider le réseau social à remodeler le Web à son goût.


Ces petits boutons «j'aime» font donc partie d'un projet que Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook, a dévoilé cette semaine lors d'une conférence à San Francisco. Les détails du déploiement sont un peu techniques, mais le programme de Zuckerberg est assez clair: Facebook a décidé de s'emparer du Web. Le site a souvent été raillé, qualifié de «jardin muré» par certains - le service ne laissant pas vraiment les utilisateurs interagir avec le reste du Web, au-delà des bordures bleues de leur profil. Il est pourtant communément admis parmi les experts high-tech que ce genre de bonheur en huis-clos n'est pas fait pour durer ; en effet, quel que soit le nombre d'inscrits sur un site, ceux-ci auront envie à un moment ou un autre d'escalader la clôture pour aller voir si l'herbe est plus verte ailleurs. (Rappelez-vous Compuserve et Prodigy) Zuckerberg et sa clique, bien conscients du risque, ont donc décidé depuis quelques années d'ouvrir petit à petit le site à d'autres services tiers. Mais Facebook n'a nullement l'intention de faire tomber ses murs. Le plan, c'est plutôt d'agrandir le jardin en invitant le reste du Web à venir s'y amuser. Et brouiller les frontières entre ce qui est Facebook, et ce qui ne l'est pas.


Expérience personnalisée

Désormais, vous pourrez utiliser Facebook même sans y être. En plus des boutons «j'aime», les développeurs ont installé de nombreux plugins afin que d'autres services vous permettent de vous connecter sur leur site avec votre compte Facebook et ajouter des commentaires, par exemple. Ces plugins vous signalent également lesquels de vos amis ont déjà rejoint ce site, les pages qu'ils ont «aimées», et vous proposent des recommandations en fonction de vos préférences et les leurs. Pour Zuckerberg, ces plugins ajouteront une dimension plus «sociale» au Web, incitant les gens à interagir avec toutes ces pages améliorées.

Et là-dessus, je dois avouer qu'il n'a pas tort: j'irais plus souvent sur Yelp si mon expérience sur le site était personnalisée - si mes amis pouvaient être avertis des restaurants que je note par exemple, ou si on me recommandait une liste de cafés en fonction de ceux que mes amis ont «aimé». L'exemple de Pandora est assez éloquent: ces sites qui vous proposent des recommandations musicales sont un peu longs à la détente, puisqu'ils personnalisent une playlist au fil du temps et de ce que vous écoutez. Mais avec un accès à votre profil Facebook, Pandora devrait pouvoir déterminer instantanément ce que vous avez envie d'écouter, et ce même si vous n'avez jamais visité le service. Et ça pourrait marcher avec à peu près tous les sites Web; imaginez un site de shopping dont les recommandations faites en fonction de ce que vous avez «aimé» ou pas seraient toujours judicieuses. Pratique, n'est-ce pas? Ou bien imaginez que vous cherchiez un spécialiste pour vous aider à remplir votre déclaration de revenus. Vous vous sentireriez plus rassuré de contacter une société si vos amis l'ont «aimée», non? Vous ne surfez plus seuls; désormais, ceux à qui vous faites confiance sont là pour vous aider, où que ce soit sur le Web.

Mais tout ceci ne serait pas véritablement révolutionnaire si ce n'était qu'une histoire de plugins. Après tout, le Web en est déjà saturé - pour preuve tous les boutons en bas de cette page qui vous permettent de partager cet article sur Twitter, Digg, Yahoo, et autres. Alors qu'est-ce que les «j'aime» de Facebook ont de plus que tout ça? D'abord, Facebook a 400 millions d'utilisateurs - sa courbe de croissance ressemble à celle d'une réaction nucléaire en chaîne juste avant qu'elle atteigne sa masse critique. Et ce chiffre augmente constamment, et de plus en plus rapidement. Les utilisateurs de Facebook sont également très actifs - ils cliquent partout, sur Facebook et ailleurs. Chaque mois, ce sont plus de 25 milliards de liens qui sont partagés entre membres. Et Facebook Connect, un service d'identification lancé il y a deux ans, a été adopté par 80,000 sites tiers, et plus de 100 millions d'utilisateurs Facebook s'en servent. En seulement 24h après leur apparition sur des sites comme Slate, Facebook estime que ses boutons «j'aime» seront cliqués 1 milliard de fois.


Profilage volontaire

Maintenant, la suite. Chacun de ces «j'aime» - au moins un milliard par jour, 365 milliards par an - est enregistré dans les serveurs de Facebook. Difficile d'estimer la valeur de ces informations, mais n'oublions pas que le site possède déjà la plus grosse base de données d'activité inter-utilisateurs au monde. Bientôt, il s'agira donc également d'activité entre les utilisateurs et ce qu'ils aiment, que ce soient articles, restaurants, chansons, livres, films, jeans, cosmétiques, etc. De nombreuses entreprises analysent aujourd'hui votre comportement online, mais ce qui est révolutionnaire avec le système Facebook, c'est que tout ça devient totalement volontaire. Nous, hordes facebookiennes, remplissons avec ardeur les fiches personnelles de leur base de données en leur fournissant des informations extrêmement précises et précieuses sur nous-même et notre entourage. Aucune autre société n'aura rien qui se rapproche de ce gigantesque catalogue de désirs et d'intentions - pas même Google.

Ça a l'air un peu effrayant, certes, mais je ne dis pas ça pour vous faire peur. Facebook n'est pas le premier à prendre le Web pour son terrain de jeu personnel, et ce ne sera pas non plus le dernier. Google, par exemple, est depuis longtemps le maître du profilage online. Chez Facebook, on assure que tous ces nouveaux outils n'ont pas été mis au point au détriment de la confidentialité (pour vous renseigner sur les réglages de ces nouveaux plugins, allez lire cette FAQ). D'un autre côté, de nombreux utilisateurs de Facebook se préoccupent depuis longtemps de la façon dont le site gère leurs informations personnelles, et le plan dévoilé par Zuckerberg ne fait que renforcer ces inquiétudes.

On peut donc tout-à-fait imaginer que comme Google, Facebook décide d'utiliser ces informations à des fins heureuses, mais aussi à des fins qui filent la chair de poule. C'est le revers de la médaille à notre existence numérique. Les entreprises surveillent vos moindres faits et gestes sur le Web, et vous ne serez pas toujours d'accord avec ce qu'ils font des informations collectées, comme afficher des pubs personnalisées, par exemple. Mais dites-vous que ces données sont aussi extrêmement utiles: si Google et Amazon sont si puissants, c'est précisément parce qu'ils savent énormément de choses sur vous. Et si Google est capable de prévoir le début de la saison grippale ou encore de vous renseigner tous les matins sur le trafic routier, c'est aussi grâce à ces informations.


"Données sociales"

Facebook trouvera sans aucun doute une manière de rentabiliser ces nouvelles données utilisateurs, et plus vous cliquerez sur «j'aime», plus vous aiderez Facebook à cibler les publicités affichées sur votre profil. Mais le site pourrait très bien faire de la pub au-delà de ses murs. Facebook utilise déjà ses nouveaux plugins pour permettre à des sites tiers, comme celui de Slate par exemple, d'obtenir des données démographiques extrêmement précises au sujet des utilisateurs qui visitent leurs pages. De là à ce que le service propose un jour son propre système de ciblage comportemental, il n'y a qu'un pas.

Mais si vous croyez que Facebook a mis en place toutes ces nouveautés pour se faire un maximum d'argent sur le dos des ses utilisateurs, détrompez-vous. Il s'agit d'autre chose, il s'agit, comme le dit Zuckerberg, de construire des outils online encore plus puissants et fonctionnant grâce à des données «sociales». Difficile d'imaginer à l'heure actuelle quelles fins extraordinaires auront ces données, tout comme il nous était impossible en 1998 de deviner que Google pourrait un un jour utiliser nos recherches pour prévoir le début de la saison grippale. Mais de brillantes innovations sont à venir, notamment la manière dont ces données collectées vont aider Facebook et d'autres sites à comprendre les relations entre certaines personnes et des produits ou des pages Web spécifiques. On verra donc s'améliorer les applis qui nous recommandent des restaus, les sites de rencontres, les jeux online, et bien d'autres choses encore.

Surtout, Facebook pourrait bientôt mettre au point le Graal des obsédés des données personnelles : un moteur de recherche «sémantique». Chaque fois qu'un développeur ajoute un bouton «j'aime» sur une page Web, celui-ci permet à Facebook d'obtenir quelques infos sur le genre de données présentes sur cette page. Par exemple, avec les «j'aime» d'iMDb, Facebook finit par savoir quelle page parle d'un acteur, d'un réalisateur, ou bien d'un film. Tout cela rendra donc le site un peu plus malin, puisqu'il saura faire la différence entre The Rock et «The Rock». Ça a l'air de pas grand chose, mais c'est exactement le genre d'information que Google essaie de déterminer à coups d'algorithmes. Maintenant Facebook y a accès gratuitement, grâce aux propriétaires de sites Web eux-mêmes. Et comme Facebook aura appris certaines choses à votre sujet, il pourra deviner si votre recherche concerne plutôt The Rock, la musique rock, ou un groupe de rock.

Facebook est-il donc sur le point de détrôner Google? Probablement que non. Enfin, pas de si tôt. Mais en étendant ses tentacules sur le Web tout entier, Facebook est bien parti pour devenir aussi essentiel et omniprésent que Google. Le plus gros réseau social du monde n'est pas près de prendre sa retraite; au contraire, il a décidé de refaire le Web à son image.


Source : Slate, Farhad Manjoo, traduit par Nora Bouazzouni, 28.04.2010 (URL : http://www.slate.fr/story/20449/facebook-like-conquerir-monde)

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