mercredi 14 avril 2010

Le Président polonais Lech Kaczynski, mort dans un accident d'avion en Russie le 10 avril dernier, un homme réactionnaire et eurosceptique transfiguré


La mort du président polonais dans un accident d'avion, le 10 avril, a suscité une forte émotion en Pologne et a été couverte en long et en large par les médias internationaux qui ont partagé, peu ou prou, cette émotion. Ce n'est pas seulement la disparition de Lech Kaczynski qui a frappé les esprits, mais le fait que l'avion transportait une centaine de personnes, dont son épouse, et une série de personnalités politiques et militaires. Il n’en reste pas moins qu’une partie des hommages qui sont rendus au défunt président sont proprement incroyables, comme si la mort avait transfiguré cet homme réactionnaire, sectaire, eurosceptique, brutal en véritable icône alors qu'il a été le pire président que la Pologne n’ait jamais eu.


Comme le souligne avec justesse ma consœur du Monde, Marion Van Renterghem dans son article du 13 avril, même Adam Michnik, le patron de Gazeta Wiborcza, qui ne l’a jamais ménagé de son vivant, « passe sur le sectarisme réactionnaire, inquisiteur, eurosceptique, populiste qu’il fustigeait tant » et préfère saluer dans son éditorial « le patriotisme » de Kaczynski, « cet homme « droit » et « sympathique » qui a « servi l’indépendance de la Pologne » et choisi la liberté contre la dictature ». Alors même qu’il était passé de mode, au point qu'il n'était pas certain de se représenter pour un second mandat à la fin de l’année. La mort a des vertus qui ne laissent de m'étonner. D'autres personnalités disparues dans ce « tragique accident », comme on dit, auraient mérité de vrais hommages, comme Anna Walentynowicz, une figure mythique de Solidarité. Bref, vous l'aurez compris, je refuse de verser la moindre larme de crocodile pour cet homme qui a donné une image terrifiante de la Pologne et que je n'ai cessé de critiquer de son vivant.

Rappelons que si l'avion s’est écrasé samedi 10 avril dans une forêt russe, c'est parce que l'irascible Lech Kaczynski, en guerre permanente contre le premier ministre libéral Donald Tusk, qui a succédé au jumeau Kaczynski, Jaroslaw, a refusé d'assister, le 7 avril, à la cérémonie organisée avec les Russes dans un geste de réconciliation pour commémorer le 70ème anniversaire du massacre de Katyn. Autrement dit, le président polonais est mort comme il a vécu, refusant de pardonner les offenses, cultivant les vieilles haines recuites du passé.

C'est lorsque son frère Jaroslaw était premier ministre qu’il a donné sa véritable mesure. Les deux frères ont gouverné avec la Ligue des familles, un petit parti antisémite, xénophobe et violemment réactionnaire qu'ils ont protégé. Autoritaires, peu soucieux de libertés publiques, ils ont pourri la vie de centaines de personnes en se livrant à une chasse fantasmatique aux anciens communistes: le regretté Bronislaw Geremek a même failli perdre son mandat de député européen parce qu'il a refusé de se plier à une énième « loi de lustration », invalidée in extremis par la Cour constitutionnelle. Une humiliation qu’il ne leur a jamais pardonnée
.

Vis-à-vis de l'Union, ils ont toujours eu une attitude de rejet, la jugeant trop aux mains des Allemands, « l'ennemi » héréditaire. Rappelons qu'en pleine négociation du traité de Lisbonne, Varsovie a réclamé davantage de voix au Conseil des ministres pour tenir compte des Polonais massacrés par les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale... Une sortie germanophobe parmi d'autres. Comme le disait en privé un dirigeant européen, les jumeaux Kaczynski auraient vraiment eu besoin d'une « bonne psychanalyse »... Cette méfiance atavique à l'égard de l'Allemagne était équilibrée par leur haine à l'égard de la Russie. Pour les frères Kaczynski, le seul allié fiable était les États-Unis, d'où l'engagement polonais en Irak et le rôle que Varsovie a joué dans les vols secrets de la CIA. Cet alignement inconditionnel sur l’administration Bush a contribué à tendre les relations entre l’ouest et l’Est européen.


Kaczynski a, logiquement, essayé de s'opposer à l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, empêchant même le gouvernement libéral de ratifier la charte des droits fondamentaux. Il aura finalement été le dernier représentant d'une certaine Pologne rancie, crispée, réactionnaire (rejet de l’avortement, refus de reconnaître des droits aux homosexuels, etc.). Il faut espérer que la mort de Lech ne permettra pas à Jaroslaw de se faire élire à sa place, celui-ci étant encore bien pire que son jumeau.


Mais l’histoire sait être ironique : en mourant en Russie, Kaczynski aura sans doute permis à Moscou et à Varsovie de tourner définitivement la page de Katyn, Poutine et Medvedev s'étant saisi de cet événement pour multiplier les gestes d'apaisements que la Pologne attendait depuis 70 ans. À son corps défendant, Lech aura finalement été plus grand dans sa mort que dans sa vie.

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