dimanche 13 juin 2010

Kılıçdaroğlu (CHP) s'inquiète du tournant pris par la politique étrangère turque, l'AKP lui fait pression sur l'UE


Le 13 juin 2010, lors d’un meeting à Amasra sur la mer Noire, Kemal Kılıçdaroğlu a vivement critiqué les choix diplomatiques du gouvernement de l’AKP en déclarant que le parti au pouvoir avait déplacé l’axe des équilibres de la politique étrangère turque. « Dans bien des milieux qui comptent, on commence à s’interroger sérieusement sur notre changement d’axe, c’est le résultat de la politique de l’AKP », a déclaré le leader du CHP avant de poursuivre : « Il y a une crise de confiance avec l’Ouest du fait de cette politique, l’AKP doit corriger le tir immédiatement, si ce n’est pas fait, les résultats seront encore pires dans un très proche avenir. » Selon lui, cette nouvelle diplomatie dévoile en réalité le vrai visage de l’AKP. En s’exprimant de la sorte, le leader kémaliste a voulu se faire l’écho de l’inquiétude que ressent à l’heure actuelle une frange de l’opinion publique turque, en particulier ses élites occidentalisées que le « Non » de leur pays, le 9 juin dernier, au Conseil de sécurité des Nations Unies, inquiètent au plus haut point. Nombre de ces élites, et plus généralement les gens issus des milieux laïques, déclarent avoir peur du tour pris par la politique étrangère turque depuis quelques semaines, suite aux derniers développements du dossier nucléaire iranien et aux réactions du premier ministre à l’affaire de la flottille. Il y a dans cette opinion le sentiment qu’un tournant a été pris, et que celui-ci n’aurait pas que des enjeux diplomatiques mais qu’il conforterait la dimension islamique, pour ne pas dire islamiste de l’AKP.


C’est également des bords de la mer Noire, lors d’un meeting à Rize, que Recep Tayyip Erdoğan ( évoqué la diplomatie turque actuelle pour répondre à Kemal Kiliçdaroglu : « Ceux qui pensent que la politique étrangère a changé d’axe sont incapables de comprendre le nouveau rôle que joue la Turquie et le caractère multidimensionnelle qu’a pris sa politique étrangère. » Au lendemain du vote négatif formulé par la Turquie à l’égard du projet de sanctions contre l’Iran, la semaine dernière, le premier ministre turc avait déjà infirmé l’idée que la Turquie se détournait de l’Ouest en qualifiant même un tel point de vue de « sale propagande ». Mais il s’en était pris aussi à l’Union Européenne (UE) en estimant que la politique étrangère suivie par la Turquie était aussi un message adressé « à ceux qui au sein de l’Europe veulent créer des obstacles à l’adhésion turque. » Il avait surenchéri en déclarant que l’UE était même actuellement soumise à un test quant à la sincérité de ses intentions à l’égard de la Turquie et qu’elle ne s’en rendait même pas compte. Dimanche, à Rize, Recep Tayyip Erdoğan, après sa réponse au leader kémaliste, a de nouveau adressé un message à l’UE, en lui reprochant de faire trainer l’intégration de la Turquie depuis 50 ans. « Il n’y a pas d’autres pays dans le cas de la Turquie. Nous avons mis en place un ministère spécial pour notre candidature, confié à Egemen Bağış, qui a rang de ministre d’Etat. Nous faisons tout ce que nous pouvons, mais ils continuent à nous maintenir en dehors. », a-t-il déclaré avant de conclure que si l’UE voulait démontrer qu’elle n’était pas un club chrétien, elle devrait admettre la Turquie en son sein.

Répondant à Nicolas Bourcier, à l’occasion d’une interview parue dans Le Monde, le 12 juin, Abdullah Gül a lui aussi évoqué la candidature de son pays à l’UE, mais en des termes plus nuancés. Estimant que « l’UE ne facilitait pas les choses » et que la Turquie devait aussi faire le nécessaire pour intégrer l’acquis communautaire, le président de la République a surtout évoqué, pour sa part, la cécité stratégique qui serait celle des Européens, en estimant que si l’UE ouvrait enfin les yeux, elle intégrerait la Turquie rapidement. Il a regretté en particulier que Bruxelles ne se fasse pas assez entendre sur la scène internationale, ce que l’affaire de la flottille et le dossier nucléaire iranien auraient à nouveau montré, avant de laisser entendre que l’intégration de la Turquie rendrait l’Europe plus forte.

Les derniers développements de la politique internationale, qui ont vu la Turquie aux avant-postes, risquent sans doute d’accroître la pression sur les Européens afin qu’ils précisent leurs intentions, quant au devenir de la candidature turque. Le gouvernement turc est de plus en plus impatient et temps des réponses dilatoires semble être révolu.

Source : Blog de l'OVIPOT, Jean Marcou, 13.06.2010 (URL : http://ovipot.blogspot.com/2010/06/kemal-klcdaroglu-sinquiete-des.html)

samedi 12 juin 2010

Jean Marcou analyse le "non" turc au Conseil de sécurité des Nations Unies : "la Turquie n’est plus un allié contraint du bloc occidental"


Pour la quatrième fois depuis 2006, le Conseil de sécurité des Nations Unies a infligé, le 9 juin 2010, un nouveau train de sanctions à l’Iran, ce dernier ayant refusé de cesser ses activités nucléaires sensibles. Cette décision initiée par les Etats-Unis et soutenue par les autres membres permanents du Conseil de Sécurité, a été adoptée par 12 votes contre 2 et une abstention. La Turquie et le Brésil ont voté contre et le Liban s’est abstenu. Compte tenu des derniers développements de l’actualité politique internationale, le «Non» turc n’est pas vraiment une surprise, mais il constitue un tournant qui a relancé, ces derniers jours, les supputations sur les orientations prises par la politique étrangère d’Ankara et la fameuse question : «La Turquie se détourne-t-elle de l’Occident ?»

Le refus d’Ankara de voter les sanctions proposées par les Etats-Unis vient confirmer une ligne constante de la diplomatie turque, au cours de l’année qui vient de s’écouler. Alors même qu’en septembre 2009, la découverte des nouvelles activités nucléaires de l’Iran avait amené le groupe des Six à brandir la menace de nouvelles sanctions contre la République islamique, la Turquie a défendu envers et contre tout l’idée qu’il fallait privilégier la voie diplomatique, en se posant en médiateur du conflit. N’hésitant pas à qualifier Mahmoud Ahmadinejad « d’ami », critiquant les pays occidentaux qui suspectent l’Iran de fabriquer un armement nucléaire dont eux se sont dotés et dont Israël est officieusement le détenteur, Recep Tayyip Erdoğan n’a cessé par la suite d’affirmer qu’une solution diplomatique restait possible. Cette position a atteint son paroxysme par la suite, au printemps 2010, lorsqu’elle a rencontré celle du Brésil, refusant lui aussi la perspective de nouvelles sanctions contre l’Iran. Ainsi à la mi-avril 2010, lors du sommet sur la sécurité nucléaire de Washington, Ankara et Brasilia se sont retrouvées côte à côte pour abjurer les Etats-Unis de ne pas abandonner les négociations avec Téhéran. Le 17 avril 2010, surtout, la Turquie et le Brésil ont signé un accord avec l’Iran reprenant la proposition faite par l’AIEA de fournir à la République islamique le combustible enrichi à 20% dont elle a besoin, notamment pour un réacteur de recherche médical, contre la livraison des stocks d’uranium qu’elle a enrichis. Cet accord présenté par ses signataires comme la solution au conflit n’a pourtant pas convaincu les Etats-Unis, car l’Iran ne s’est pas engagé à stopper sa production d’uranium enrichi. Avec le soutien de tous les membres permanents du Conseil de sécurité, y compris la Chine et la Russie, Washington a donc immédiatement répondu à l’accord tripartite du 17 mai par le projet de sanctions qui a été adopté, mercredi.

La sensation provoquée par le refus turc de ce projet a été accrue par le contexte politique international des deux dernières semaines. Il y a 15 jours, en effet, la totalité des membres signataires du TNP (Traité de Non Prolifération nucléaire) ont adopté une décision convoquant en 2012 une conférence dont l’objectif sera de promouvoir la dénucléarisation du Moyen-Orient, et demandé à l’Etat hébreu de renoncer à la bombe atomique, d’adhérer au TNP et de soumettre ses installations nucléaires aux inspections internationales. Par la suite, après le raid israélien sur le «Mavi Marmara», le 31 mai, la Turquie et Israël se sont affrontés au plus haut niveau, notamment au Conseil de Sécurité des Nations Unies où Ankara est parvenue à faire adopter un texte condamnant Tel-Aviv, en demandant une enquête internationale.

La portée de la décision d’Ankara de ne pas voter les sanctions proposées contre l’Iran doit être aussi examinée au regard de l’évolution plus globale suivie par la diplomatie turque depuis l’arrivée de l’AKP au pouvoir. En 2003, le Parlement turc avait refusé le débarquement sur son territoire de troupes américaines devant ouvrir un deuxième front en Irak. Il faut rappeler néanmoins qu’à l’époque cette décision avait été adoptée contre l’avis de Recep Tayyip Erdoğan et de son gouvernement. Plus généralement depuis sa réélection en 2007, le gouvernement de l’AKP n’a cessé de suivre une stratégie qui tend à faire apparaître la Turquie comme une puissance régionale et à accroître sa marge de manœuvre à l’égard des Américains. En août 2008, la diplomatie turque s’était montrée prudente lors du conflit Russo-Géorgien en donnant des gages à Moscou de sa neutralités et en faisant respecter scrupuleusement aux navires de secours envoyés par Washington les obligations du Traité de Montreux, pour le passage des détroits (Dardanelles, Bosphore) donnant accès à la mer Noire. Quelques mois plus tard, Ankara avait contesté la nomination au secrétariat général de l’OTAN du danois Anders Fogh Rasmussen à qui elle reprochait implicitement son soutien à l’intervention américaine en Irak et son refus de censurer, dans son pays, la publication les caricatures du prophète Mahomet, alors qu’il était premier ministre. À la fin de l’année 2009, la Turquie faisait de nouveau entendre sa différence, en refusant de céder à l’invitation américaine d’accroître son contingent militaire en Afghanistan.

Le secrétaire américain à la défense, Robert Gates, s’est dit «déçu» par le vote négatif de la Turquie au Conseil de sécurité, le 9 juin 2010, tout en reconnaissant que «des alliés ne sont pas toujours d’accord sur tout». Toutefois, il a également estimé que l’attitude des pays européens à l’égard de la candidature turque à l’UE n’était pas étrangère à cette situation, en déclarant en particulier : «S’il y a quoique ce soit de vrai dans la notion que la Turquie se penche à l’est, c’est largement selon moi parce qu’elle y a été poussée, poussée par certains en Europe qui refusent de donner à la Turquie le genre de liens organiques qu’elle recherche avec l’Occident.» Cette opinion a été corroborée par le ministre italien des affaires étrangères, Franco Frattini, qui a estimé que les Européens avaient commis «l’erreur» de pousser la Turquie vers l’est au lieu de l’attirer à eux. Pour sa part, le premier ministre turc a démenti l’idée que la Turquie se détournait de l’Occident en la qualifiant même de «sale propagande». Le 10 juin 2010, lors d’un forum économique turco-arabe, à Istanbul, il a expliqué que voter des sanctions diplomatiques contre l’Iran la veille aurait été un «acte déshonorant » équivalent à «se renier soi-même», après l’accord tripartite du 17 mai dernier.

En fait, il est indiscutable que le «Non» turc du 9 juin au Conseil de sécurité confirme tant la montée de la Turquie dans son espace régional que sa forte présence désormais sur la scène mondiale. Cette situation change probablement la nature même de la candidature turque à l’UE. Longtemps confinée dans un statut de poste avancé de l’Europe au Proche-Orient, la Turquie n’a pas coupé le cordon ombilical avec ses alliés occidentaux mais, jouant de ses atouts économiques et stratégiques, elle estime qu’elle dispose à leur égard d’une marge de manœuvre accentuée. Toutefois, cette marge de manœuvre n’est pas extensible à l’extrême. À cet égard, c’est aussi la rhétorique employée ces derniers temps par la diplomatie turque et nombre d’attitudes adoptées par ses principaux acteurs qui suscitent des interrogations chez ses alliés occidentaux. Car une chose est d’affirmer la nécessité de privilégier le dialogue sur le dossier nucléaire iranien, autre chose est de proclamer son amitié avec le leader de la République islamique. Une chose est de dénoncer le blocus israélien de Gaza, autre chose est s’afficher aux côtés du Hamas. Pour s’affirmer en tant que puissance régionale et tirer parti de sa profondeur stratégique, la Turquie n’est pas obligée de donner des gages aux acteurs les plus radicaux du monde arabo-musulman, au risque de plonger ses alliés occidentaux dans une perplexité qui pourrait se muer rapidement en sérieux doute. Mais il est vrai aussi que les Occidentaux, et les Européens en particulier, doivent en retour prendre conscience de la position que ce pays a acquis aujourd’hui dans le monde en cessant de le considérer comme une marche de leur Empire pour lui reconnaître la place et les fonctions qui lui reviennent dans le nouvel ordre international. Ce qui a changé finalement depuis la guerre froide, c’est que la Turquie n’est plus un allié contraint du bloc occidental. Dès lors, ce dernier pour préserver cette alliance devra de plus en plus gagner la Turquie, s’il ne veut pas la perdre.

Source : Blog de l'OVIPOT, Jean Marcou, 12.06.2010 (URL : http://ovipot.blogspot.com/2010/06/sanctions-contre-liran-au-conseil-de.html)

jeudi 10 juin 2010

La Turquie à la croisée des chemins, l'AKP divisé


Une semaine après l’arraisonnement de la flottille «Free Palestine» par l’armée israélienne, les débats ont tendance à se déplacer aussi sur le terrain national.


Répondant à Kemal Kılıçdaroğlu, qui avait jugé téméraire et irresponsable l’attitude de l’AKP et du gouvernement dans l’affaire de la flottille, Recep Tayyip Erdoğan l’a accusé de se faire l’avocat d’Israël. La remarque, peu prisée par son destinataire, a néanmoins permis à ce dernier de mettre le doigt sur les divergences de points de vue, qui se sont manifestées, ces derniers jours, au sein même du parti majoritaire. Le nouveau leader du CHP a ainsi estimé que Recep Tayyip Erdoğan ferait mieux de chercher les avocats d’Israël dans son propre camp. Il faisait en l’occurrence allusion au propos abondamment commentés de Fetullah Gülen (photo), qui ont vu les responsables de l’AKP réagir en ordre dispersé. Car, après avoir dénoncé la dureté du comportement israélien dans l’affaire, «Hocaefendi» a vertement critiqué les organisateurs turcs de la flottille et en particulier l’organisation IHH, en estimant que celle-ci avait fait prendre des risques inconsidérés à ses militants, et qu’elle aurait du chercher à obtenir l’accord de l’Etat hébreu avant de lancer une telle opération.

Si cette réaction a ravivé les supputations sur le rôle occulte joué par le «Cheikh de Pennsylvanie» et sur ses liens avec l’Oncle Sam, elle a surtout montré que, même au sein de l’AKP, tout le monde n’appréciait pas de la même façon les dernières orientations de la diplomatie turque et ses velléités à faire apparaître la Turquie sur la scène mondiale comme un pôle émergent contestataire. Bülent Arinç, le vice-premier ministre, d’ordinaire plus virulent, a notamment salué les conseils de modération du maître, en déclarant : «Hocaefendi dit la vérité une fois de plus… Nous devons agir de façon constructive envers et contre tout». Mais, pour sa part, Recep Tayyip Erdoğan a poursuivi ses condamnations de l’assaut conduit par la marine israélienne, tandis qu’Ahmet Davutoğlu faisait savoir qu’il n’y aurait pas de normalisation des relations turco-israéliennes, après ce dernier incident, tant qu’Israël n’aurait pas adopté une attitude plus positive, et en particulier accepté l’enquête internationale impartiale, demandée par le Conseil de sécurité des Nations Unies.

Il semble donc bien que, de plus en plus, deux approches de la politique internationale puissent être décelées, au sein même du parti majoritaire. La première exprimée par le premier ministre et son ministre des affaires étrangères, qui ont été omniprésents ces dernières semaines, tant sur le dossier iranien que sur l’affaire de la flottille, entend signifier l’avènement de la Turquie comme puissance émergente non seulement dans l’aire régionale mais aussi sur la scène internationale. On a vu cette tendance à l’œuvre depuis le sommet nucléaire de Washington, lorsqu’elle a scellé le rapprochement turco-brésilien sur le conflit nucléaire iranien qui a débouché sur l’accord tripartite du 17 mai. Cette vision diplomatique s’est aussi abondamment exprimée à l’occasion de l’affaire de la flottille de Gaza où la Turquie n’a pas hésité à faire face à Israël et à se poser en défenseur du droit international et des Palestiniens. La seconde tendance incarnée, semble-t-il, par des personnalités comme le président Abdullah Gül ou le vice-premier ministre, Bülent Arinç, sans rejeter l’idée d’une montée en puissance de la Turquie sur les scènes régionale et internationale, souhaite que cette ascension soit plus prudente et qu’elle ne se fasse pas au détriment des alliances traditionnelles de la Turquie et en particulier de la relation de celle-ci avec les Etats-Unis. Cette option plus «soft» s’est notamment illustrée sur le dossier du rapprochement turco-arménien, très apprécié par les Occidentaux, à l’occasion duquel Abdullah Gül a joué les premiers rôles, en se rendant à Erevan, pour le fameux match de football ; une démarche que Recep Tayyip Erdoğan a accueillie, comme l’on sait, de façon beaucoup moins enthousiaste.

On sent bien que, ces derniers jours, la Turquie est à la croisée des chemins et que ce qui est en train de se jouer dépasse largement la seule affaire de la flottille, mais concerne directement les relations d’Ankara avec ses alliés occidentaux et par contrecoup son positionnement sur la scène mondiale.

Source : Blog de l'OVIPOT, Jean Marcou, 09.06.2010 (URL : http://ovipot.blogspot.com/2010/06/laffaire-de-la-flottille-fait.html)

"L’islamo-démocratie turque" est-elle en passe de conquérir le monde arabe ?


L’affaire de la flotille de Gaza a mis en lumière le rôle pivot que la Turquie entend jouer à la frontière entre l’Occident et le monde musulman où la diplomatie turque est extrêmement active. C’est avec la Syrie que les relations bilatérales sont le plus avancées
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La dernière visite officielle du président syrien Bachar Al Assad et sa femme Asmaa à Ankara, la capitale de la Turquie, a fait la Une de tous les journaux syriens. Sur les photos, la blonde Madame Bachar Al Assad posait tête nue aux côtés des femmes voilées des dirigeants turcs.

Alors que la Turquie, pays musulman, affiche sa laïcité, le paradoxe de cette photo ne gêne à Damas ni Fatima, jeune étudiante en littérature anglaise, elle-même voilée qui se « sent très proche de la Turquie », ni Rouah, laïque convaincue et directrice d’un grand hôtel de la capitale syrienne. « Quand j’étais jeune, explique cette dernière, j’étais très hostile à la Turquie pour ce que notre pays a dû subir sous l’empire ottoman, aujourd’hui, je pense que leur administration était un modèle d’efficacité et une source d’inspiration ».

L’islamo-démocratie turque est en passe de conquérir le monde arabe. L’artisan de cette conquête est Ahmet Davutoglu, le ministre turc des affaires étrangères, qui définit ainsi la stratégie diplomatique turque : « zéro problème avec nos voisins » et ils sont nombreux.


* « Ses voisins sont la Syrie et l’Iran, pas la France ni l’Allemagne »


Après avoir été le principal conseiller diplomatique du président, Abdullah Gül, et du premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, depuis 2003, Ahmet Davutoglu, 51 ans, ne cesse de proclamer les ambitions de son pays : « Notre axe, c’est Ankara. Et notre horizon est à 360° ».

Sur le front arabe, la diplomatie turque est hyperactive : Ankara a joué les médiateurs dans les différends qui opposaient la Syrie à l’Irak et à l’Arabie saoudite ; elle a assisté l’Occident dans le conflit avec Téhéran et organisé des négociations indirectes entre Israël et la Syrie. Ahmet Davutoglu, est le parfait « diplomate néo-ottoman », osent certains.

« Peut-être la Turquie devrait-elle améliorer ses relations avec des pays plus acceptables… mais ses voisins sont la Syrie et l’Iran, pas la France ni l’Allemagne », répond Sedat Laciner de l’organisation internationale pour la recherche stratégique (Usak). Et de fait, la part des exportations turques vers les pays musulmans est passée de 24% du total, à 28% de 2006 à 2008.


* Accord de libre-échange avec la Syrie

C’est avec la Syrie que les relations bilatérales sont les plus avancées. Le rapprochement politique date de 1991, quand le Kurdistan d’Irak a obtenu un statut de quasi-autonomie. Syrie et Turquie partageaient alors les mêmes intérêts à prévenir la création d’un grand Kurdistan, englobant les Kurdes de Turquie, Syrie, Iran et Irak.


Il n’a pas empêché les deux pays de se retrouver au bord de la guerre, en 1999, quand la Syrie offrait l’asile au leader kurde du PKK, Abdullah Ocalan. Il fut finalement expulsé, puis arrêté au Kenya ; il est aujourd’hui en prison en Turquie. L’horizon était donc dégagé pour l’établissement de relations de bon voisinage entre les deux pays.

En janvier 2004, le président Bachar Al Assad effectue la première visite d’un chef d’État syrien en Turquie… depuis 1946. Trois ans plus tard, en 2009, les deux pays organisent deux conseils des ministres communs, concluent un accord de libre-échange entré en vigueur en 2007 – levant toutes les barrières aux exportations syriennes et progressivement les barrières aux exportations turques sur une période de 12 ans – et suppriment les visas.


* « Cette relation doit être gagnant-gagnant »

Ils ont également créé un Haut Conseil syro-turc de coopération stratégique qui s’est réuni à Damas, en décembre 2009, au cours duquel plus de 50 mémorandums d’entente et protocoles de coopération ont été signés.


« Après des débuts très progressifs, le partenariat entre les deux pays s’est accéléré depuis un an et demi », confirme un diplomate occidental à Damas. Coté syrien, cet accord est considéré comme étant de nature à dynamiser l’économie locale. « Ce qui ne vous détruit pas vous rend plus fort », juge Fares al-Chehabi, président de la Chambre d’industrie d’Alep, ville proche de la frontière turque.

Bilal Turkmani, vice-président du conseil des hommes d’affaires syro-turcs à Damas, reconnaît qu’a court terme l’accord de libre-échange entre les deux pays peut jouer contre son pays, en raison de la moindre compétitivité des entreprises syriennes. « Mais à long terme, la balance des paiements devrait être équilibrée : le déficit commercial devrait être compensé par les investissements turcs dans l’industrie, les nouvelles énergies, le tourisme, les infrastructures. Cette relation doit être gagnant-gagnant. »


* Les ambitions de la Turquie s’étendent à tout le Moyen-Orient

Et il concède volontiers que « faire des affaires avec la Turquie est plus facile qu’avec les pays arabes du Golfe en raison de la proximité culturelle entre nos deux pays. L’organisation économique turque est impressionnante d’efficacité », souligne-t-il.


Au début des années 2000, le pouvoir syrien avait un temps regardé la Chine comme exemple de développement, un régime alliant libéralisation économique et statu quo politique. Mais ce n’est plus le cas. La Turquie est désormais le modèle.

« Ankara est un pont pour accéder au marché mondial. Elle est prête à investir, à aider le secteur privé. Ce processus est subtil, lent mais puissant. Il y aura un prix à payer car nous n’avons pas préparé l’industrie et l’agriculture à ce choc, mais nous y sommes prêts. » Alors que le premier ministre Recep Tayyip Erdogan reçoit aujourd’hui les dirigeants arabes, après ceux de l’Asie hier, les ambitions de la Turquie s’étendent à tout le Moyen-Orient. « Elle y redevient un acteur central car elle tire profit de l’affaiblissement de l’Égypte et de l’Arabie saoudite », estime le spécialiste syrien.


* La Turquie n’est pas le soft power décrit par certains analystes

Pour Pierre Razoux, responsable de recherches au Collège de défense de l’Otan, « la Turquie s’impose de plus en plus comme un modèle pour l’opinion publique arabe sunnite, qui ne peut que constater l’effacement de l’Égypte et de l’Irak et l’isolement de la Syrie, et ne se reconnaît ni dans le wahhabisme saoudien, ni dans le prosélytisme chiite iranien ».


Selon lui, « de Rabat à Bagdad et Gaza, l’opinion arabe perçoit la Turquie comme une démocratie en plein essor économique qui a réussi à trouver un équilibre entre un gouvernement porteur de valeurs islamiques et une institution militaire laïque empêchant l’arrivée au pouvoir d’un régime islamiste radical ».

Il ne faut pas s’étonner de voir, dans la majorité des pays arabes mais aussi en Europe, brandir le drapeau turc au cours des manifestations après l'assaut israélien contre la « flottille de la liberté ».

Car la Turquie n’est pas le soft power (une puissance qui joue sur son seul pouvoir d’influence non militaire) décrit par certains analystes. Partisane d’une diplomatie musclée, dont le dernier exemple est l’affaire de Gaza, Ankara a la ferme intention de continuer à investir le champ du processus de paix israélo-palestinien. La paralysie et l’impuissance de l’Europe lui laissent le champ libre, et les États-Unis ne voient pas forcément d’un mauvais œil l’irruption de cet acteur pugnace dans le paysage moyen-oriental.


Source : La Croix, Agnès Rotivel, 08.06.2010 (URL : http://www.la-croix.com/La-Turquie-tisse-sa-toile-dans-le-monde-arabe/article/2428163/4077)


dimanche 6 juin 2010

Le gouvernement et l'AKP, dirigé par Recep Tayyip Erdoğan, renforcés par l'affaire de la flotille "Free Gaza"


Près d’une semaine après l’assaut des commandos de marine israéliens, qui a fait officiellement 9 morts (8 citoyens turcs et 1 ayant aussi la nationalité américaine), les commentaires vont bon train, tant sur le déroulement de l’affaire en elle-même, que sur ses conséquences politiques en Turquie.


A bien des égards, le gouvernement de l’AKP sort renforcé de cette épreuve. La Turquie, en effet, a tenu les devants de la scène internationale, face à des Occidentaux gênés par leurs condamnations à reculons de l’attaque israélienne. Mais, plus que la dimension internationale de cette affaire, ce sont ses conséquences internes qui sont désormais observées. Selon Michel Sailhan, directeur du bureau de l’AFP à Istanbul, le parti majoritaire et son leader sont les premiers bénéficiaires de l’opération après plusieurs jours de mobilisation populaire, au cours desquels se sont exprimés successivement la colère pendant des manifestations anti-israéliennes, l’émotion au moment du retour des passagers des navires arraisonnés, la dévotion et le recueillement à l’occasion des prières et cérémonies mortuaires.

En se faisant le champion de la cause palestinienne par les condamnations sans nuance qu’il a adressées à l’Etat hébreu, Recep Tayyip Erdoğan s’est aussi présenté en défenseur des Turcs, en l’occurrence assassinés ou maltraités, unissant ainsi dans un même mouvement des sentiments de solidarité religieuse et des réactions de fierté nationale. Tout cela devrait être payant lors des échéances politiques à venir, estiment nombre d’experts. Car, l’affaire de la flottille a éclipsé pour un temps le renouveau en cours du CHP et l’avènement de Kemal Kılıçdaroğlu et, même si elle a permis aussi la mobilisation des islamistes du Saadet Partisi, ces derniers se sont retrouvés pris dans un mouvement bien maîtrisé par le parti majoritaire et le gouvernement. Certains éditorialistes, comme Mehmet Ali Birant, font observer que «cette opération sur Gaza s’est faite avec l’accord tacite du ministère turc des affaires étrangères». D’autres s’interrogent sur les liens étroits existant entre le parti au pouvoir et IHH (Insan Hak Hürriyetleri Yardım Vakfı – Fondation d’aide pour les droits et libertés des êtes humains), l’organisation humanitaire musulmane qui a affrété les navires arraisonnés.

Après l’unanimité qui a marqué la réprobation des premiers jours, un certain nombre de voix dissonantes ont commencé à se faire entendre plus distinctement. Des militants d’ONG laïques, ayant participé à la flottille, ont critiqué le tour trop religieux pris par cette campagne, tandis que de nombreux commentateurs se sont étonnés des risques qu’IHH a fait prendre à ses membres et à ses sympathisants. L’organisation se défend en expliquant que nul ne pouvait prévoir une telle réaction des Israéliens. Il est vrai que l’importance du nombre des victimes, le fait qu’elles aient été criblées de balles et qu’une partie d’entre elles aient été abattues à bout portant (ce qu’a révélé le rapport d’autopsie publié par les autorités turques) témoignent de la violence extrême de l’assaut qui a été donné au «Mavi Marmara». Toutefois, eu égard à l’intervention militaire israélienne «plomb durci» à Gaza et au rapport international dont cette opération avait fait l’objet, on pouvait s’attendre à ce que la riposte israélienne contre la flottille soit particulièrement dure. Lors du débat qui a précédé le vote à l’unanimité par le Parlement turc d’une condamnation de l’assaut israélien, des députés du CHP ont accusé le gouvernement de n’avoir pas assez veillé à la protection de ses concitoyens.

Mais toutes les critiques ne sont pas venues que de l’opposition laïque. S’exprimant pour la première fois publiquement sur l’événement, Fetullah Gülen, après avoir dénoncé l’attaque israélienne, a critiqué lui aussi le rôle joué par IHH. Dans une interview au Wall Street Journal, le 4 juin, le célèbre prédicateur turc en exil volontaire aux Etats-Unis, a déclaré qu’il n’avait entendu parler qu’il y a peu de l’initiative prise par IHH et estimé que cette fondation aurait du veiller à obtenir l’aval des autorités israéliennes pour effectuer une telle mission. Cette déclaration montre qu’il y a probablement sur l’affaire de la flottille, au sein même de la mouvance AKP, une différence de point de vue, qui affecte peut-être même les derniers développements de la politique internationale et notamment le tour qu’ont pris ces dernières semaines les relations turco-américaines, sur le dossier nucléaire iranien. Même si le président Gül, réputé proche de Gülen, a réagi pour condamner l’assaut israélien et dire que les liens entre la Turquie et Israël «ne seraient plus jamais les mêmes», on observe qu’il a été très largement éclipsé ces dernières semaines par «l’hyperactivisme» du premier ministre, tant sur le nucléaire iranien que sur l’affaire de la flottille.

La dernière réaction qui mérite d’être relevée est celle des Kurdes du BDP. Parlant à l’issue d’une manifestation qui a rassemblé 25 000 personnes, le 3 juin, à Mersin, la députée du BDP, Emine Ayna, a estimé que, dans l’affaire de la flottille, le gouvernement n’avait pas été capable de protéger les personnes engagées. Répondant au rapprochement effectué ces derniers jours par la presse entre l’assaut israélien du «Mavi Marmara» et l’attaque du PKK contre une base navale turque près d’Iskenderun, elle a déclaré : «Souvenez-vous qu’à Davos, le premier ministre turc a dit « one minute ! » (au président israélien pour les Palestiniens qui sont tués), nous nous disons aussi « one minute ! » au premier ministre pour les Kurdes qui sont tués avec des armes israéliennes»

En tout état de cause, les dossiers en cours de la vie politique turque devraient reprendre leurs droits dans les prochains jours, au moment où la Cour constitutionnelle va décider du sort de la révision constitutionnelle lancé par le gouvernement, qui doit faire l’objet d’un référendum au mois de septembre. C’est alors, qu’une fois les réactions à chaud surmontées, on pourra réellement mesurer les effets qu’a pu produire l’affaire de la flottille sur l’opinion publique turque.

Source : Blog de l'OVIPOT, Jean Marcou, 05.06.2010 (URL : http://ovipot.blogspot.com/2010/06/la-crise-de-la-flottille-renforce-la.html)

vendredi 4 juin 2010

"Ankara est devenue une force politique internationale aux dépens d'Israël"

Quatre jours après l'arraisonnement du Mavi Marmara, navire amiral turc de la flottille de la paix, par l'armée israélienne et la mort de neuf passagers dont huit Turcs qui ont été inhumés mercredi à Istanbul dans grande ferveur, la Turquie confirme sa position sur la scène internationale, aux dépens de l'Etat hébreu.


Israël, piégé par l'association turque IHH

L'IHH, fondation pour les droits de l'homme, les libertés et les secours humanitaires, est une puissante association turque qui a vocation à aider les musulmans partout dans le monde. Créée en 1992 pour venir en aide aux musulmans bosniaques, sa priorité est maintenant de venir en aide aux Palestiniens.

Proche du Hamas, elle est à l'origine de l'organisation de plusieurs convois qui ont acheminé par route de l'aide humanitaire jusqu'à Gaza. Le dernier, en novembre 2009, a vu la participation de quelques hommes politiques turcs et a été bloqué par Israël. Elle dispose aussi d'un bureau de représentation à Gaza où elle gère des programmes de reconstruction.

Très bien implantée en Turquie, proche des municipalités AKP, le parti au pouvoir, elle est capable d'organiser d'importantes levées de fonds comme les 9 millions après l'opération « Plomb durci » par Israël contre la bande de Gaza l'an dernier.

10 000 tonnes d'aides humanitaires, 650 passagers dont 380 Turcs, six navires : cette flottille de la paix avait été soigneusement organisée avec l'objectif de forcer le blocus israélien dans lequel étouffe 1,5 million de personnes depuis trois ans.

Dans cette opération, Israël n'avait que deux mauvaises alternatives :

  • laisser passer la flottille qui aurait mis fin de facto au blocus et vu la victoire des islamistes ;
  • ou la bloquer par la force, avec un risque de dérapage évident.

Parce que les militaires israéliens ont mal évalué la capacité de réponses des passagers turcs, peu disposés à se laisser faire, le dérapage s'est transformé en drame que l'on connaît.


Le premier ministre turc Erdoğan, acclamé par le monde sunnite

En qualifiant de « massacre sanglant » l'arraisonnement du bateau, en accusant Israël de s'être rendu coupable d'un « acte de terrorisme d'un Etat inhumain », Erdoğan n'a pas hésité à renouer avec des positions « diplomatiquement incorrectes » pour dénoncer le recours à la force pure qui caractérise la politique de l'Etat d'Israël sur la question palestinienne.

On se souviendra de sa sortie à Davos, lors d'un « clash » avec le président israélien Shimon Péres, peu de temps après la fin de la guerre de Gaza.

Erdoğan a ainsi suscité l'enthousiasme des populations arabes et a gagné auprès d'elle une stature de héros. Acclamé par des milliers de manifestants du Caire à Sanaa en passant par Jérusalem et Damas [et même à Paris lors de la manifestation pro-palestinienne devant l'ambassade d'Israël lundi, ndlr], son action politique, habile mélange de coups d'éclats (sommet de Davos) et de vision à long terme, comble le vide laissé par l'inertie des dirigeants arabes de la région, qui finit par exaspérer leur population.

Son intransigeance verbale, qu'il utilise pour dénoncer l'attitude occidentale trop permissive à l'égard des interventions militaires d'Israël, vient seconder une politique axée sur la « profondeur stratégique » mise en place par son ministre des Affaires étrangères.

Depuis deux ans, en effet, la Turquie développe autant d'alliances avec le monde occidental qu'avec les pays musulmans, cultive une volonté de neutralité qui lui a permis d'organiser des pourparlers avec la Syrie et Israël et de gagner le statut d'interlocuteur incontournable pour la paix au Moyen-Orient.

Et la Turquie vient même de frapper un grand coup en signant, avec le Brésil, un accord avec l'Iran sur le nucléaire, peu apprécié à Washington.

Mais Erdoğan n'accroît pas seulement son influence dans les rues du Moyen-Orient. Il marque des points décisifs sur la scène internationale, aux dépens d'un Israël de plus en plus isolé, pour y porter un message clair : le règlement de la solution palestienne ne peut être que politique et passera par la création d'un Etat palestinien.


Faire plier Israël par la voie politique ?

Déjà vu ? Déjà entendu ? Certes, mais le contexte a changé et ce message pourrait cette fois avoir un écho plus favorable, y compris aux Etats-Unis.

En effet, l'arraisonnement de la flottille a montré encore une fois la volonté d'Israël de continuer à ignorer le droit international.

Or, la région devient avec les années une bombe à retardement de plus en plus puissante :

  • dossier nucléaire iranien avec un stock d'uranium enrichi qui échappe toujours à tout contrôle international,
  • guerre en Irak qui a aggravé les conflits ethniques,
  • guerre en Afghanistan,
  • instabilité croissante au Pakistan rongé par les Talibans…

La politique d'Israël de maintenir le blocus sur Gaza pour amener la population à se révolter contre le Hamas n'a mené jusqu'ici qu'à une impasse et passe pour de l'entêtement aveugle et dangereux.

Or c'est de clairvoyance, de raison et de justice dont cette région a le plus besoin. Erdoğan le sait, tout comme il sait le rôle stratégique que son pays peut jouer dans la résolution de ces conflits aux côtés des Etats-Unis qui « auraient beaucoup à perdre à voir s'éloigner leur allié turc » (pour citer un récent propos du professeur Jean Marcou, de l'Observatoire de la vie politique turque - OVIPOT) si aucune pression n'était faite sur Israël pour avancer dans un règlement politique du dossier palestinien.

Source : Paristanbul (blog Rue89), Marie Antide, 03.06.2010 (URL : http://www.rue89.com/paristanbul/2010/06/03/la-turquie-nouvelle-heroine-du-monde-arabe-153516)

La Turquie cherche à ravir le leadership de la région moyen-orientale à l'Iran


La « flottille de la paix », soutenue par le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir en Turquie, visait à accroître la pression internationale sur Israël, qui maintient le blocus de Gaza. L'objectif est rempli. L'arraisonnement sanglant du Mavi Marmara produit un autre effet immédiat : il renforce les positions turques sur la scène moyen-orientale, déjà raffermies par la diplomatie active d'Ahmet Davutoglu, le ministre des Affaires étrangères, dans la région.

Des funérailles hors normes ont été réservées aux huit victimes turques. La cérémonie religieuse s'est déroulée à Istanbul, à la mosquée de Fatih, érigée en l'honneur du conquérant de Constantinople. Les cercueils des «martyrs», drapés dans des drapeaux turc et palestinien et couverts d'une sourate du Coran, ont été accueillis par une foule criant «Dieu est grand». Les condamnations des autorités turques ont continué sur un ton inflexible. «La Turquie ne pardonnera jamais», a déclaré Abdullah Gül, le président de la République. Mardi, dans un discours traduit simultanément en anglais et en arabe, le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, était apparu en porte-drapeau de la cause palestinienne : «Le moment est venu pour la communauté internationale de dire “ça suffit”.»

Depuis lundi, la Turquie apparaît comme l'héroïne de la rue arabe. Ce sont des drapeaux rouge et blanc, les couleurs turques, qui étaient agités dans les manifestations qui se sont déroulées dans la région.

Décrit comme le « nouveau Nasser » ou le « Sultan » par la presse arabe, Erdogan a ravi le titre de défenseur des Palestiniens à Mahmoud Ahmadinejad. Selon l'éditorialiste Mehmet Ali Birand, « la Turquie a obtenu ce qu'elle voulait », prédisant que «l es équilibres et les alliances vont changer dans la région ». Normalisation des liens avec la Syrie, rapprochement avec l'Irak… En fin stratège, Ahmet Davutoglu a orchestré un retour remarqué dans des territoires autrefois inclus dans l'Empire ottoman. « Aujourd'hui, il y a une vraie convergence turco-arabe », souligne un diplomate européen. Ankara, qui profite du déclin de l'Égypte ou de l'Arabie saoudite et concourt pour décrocher le leadership régional, a pris une longueur d'avance sur son concurrent principal, l'Iran.

Jusqu'en 2008, les musulmans conservateurs de l'AKP ont fait cohabiter leurs ambitions régionales et leur alliance avec Israël. Le partenariat a commencé à se fissurer avec l'opération israélienne « Plomb durci » à Gaza : visite à Ankara quelques jours avant son déclenchement, Ehoud Barak, le ministre de la Défense, n'a pas averti le chef du gouvernement turc de l'imminence de l'intervention. Recep Tayyip Erdogan l'a ressenti comme une humiliation et les relations n'ont fait que se distendre jusqu'au drame du Mavi Marmara.

L'AKP s'est longtemps investi dans la paix au Moyen-Orient, en parrainant des négociations secrètes entre la Syrie et Israël, en cherchant à faire baisser les tensions sur le théâtre libanais … « Actuellement, la Turquie ne peut plus jouer de rôle de médiation, estime Sinan Ülgen, président du think-tank Edam. Sa position est polarisée et elle apparaît comme l'alliée des Palestiniens, surtout du Hamas. »

L'accord turco-brésilien avec l'Iran sur l'échange d'uranium, conclu en mai, a déjà montré qu'Ankara n'hésitait plus à agir en fonction de ses propres intérêts, même s'ils s'opposent à ceux de ses alliés traditionnels occidentaux. Pour se transformer en puissance régionale incontestable, Ahmet Davutoglu cherche désormais à obtenir la fin du blocus de Gaza et à favoriser un changement de gouvernement en Israël. « Il reste à voir si la Turquie peut obtenir ce statut sans le soutien occidental », ajoute Sinan Ülgen.

Source : Le Figaro, Laure Marchand, 03.06.2010 (URL : http://www.lefigaro.fr/international/2010/06/03/01003-20100603ARTFIG00724-la-turquie-place-ses-pions-sur-l-echiquier-moyen-oriental.php)

mardi 1 juin 2010

Jean Quatremer : le Financial Times alimente la crise financière


Le biais anti-euro d’une grande partie des médias anglo-saxons est difficilement contestable. À Londres, où j’ai passé deux jours pour rencontrer des opérateurs de marché, il est étourdissant de constater que la fin de l’euro est une réalité incontestable, seule la date faisant encore débat. Dans cette ambiance crépusculaire, qui pousse les traders basés à Londres à jouer contre l’euro, les journaux n’hésitent plus à colporter la moindre rumeur, faisant foin de toute déontologie journalistique, afin d’être parmi ceux qui auront donné le coup de grâce à cette monnaie « moribonde ». Ainsi, la bible du monde des affaires, le quotidien britannique Financial Times, vient, une nouvelle fois, d’être pris la main dans le sac de l’approximation journalistique, ce qui est grave lorsqu’on possède un tel pouvoir d’influence.

Jeudi 27 mai, le FT fait état d'une série de rencontres qui auraient eu lieu à Pékin entre des représentants de la Safe (State Administration of Foreign Exchange, organisme qui gère les réserves de devises sous l’autorité de la Banque centrale chinoise) et des banquiers étrangers au cours de laquelle les autorités monétaires chinoises auraient évoqué leur intention de se désengager substantiellement de la zone euro, voire de mettre fin à la diversification de leurs réserves de change d’un montant de 2450 milliards de dollars (1994 milliards d’euros), dont environ 630 milliards seraient actuellement des euros. Les dates des réunion ne figurent pas dans le papier et un « investisseur » anonyme est seul cité sans que l’on sache s’il était ou non présent à une de ces rencontres. Mais le journal le dit : c’est un virage majeur qui montre que Pékin ne croit plus en l’avenir de l’Eurozone. Le titre de l'article ne laisse guère de doute: "la Chine envisage de réduire son exposition à l'euro".

Que se passa-t-il alors sur le marché ? Panique évidemment. Si les Chinois se débarrassent de leurs euros pour des dollars, il faut vendre d’urgence. L’euro a atteint son point le plus bas en quatre ans dans la journée de jeudi, entrainant les bourses dans son sillage. Il a fallu que Pékin démente vigoureusement ce papier : « la Chine est un investisseur responsable et de long terme dans l’investissement des réserves de change et nous suivons toujours le principe de diversification (…) L’Europe a été, est et restera l’un des principaux marchés d’investissement pour les réserves de change de la Chine ». Fermez le ban. Les marchés se sont calmés, conscients d’avoir accordé du crédit à une simple rumeur, et l’euro est remonté au dessus de 1,23 dollar.

Quand on y réfléchit, le rédacteur en chef du journal aurait dû se poser quelques questions de base. Est-il crédible que la Chine annonce à des étrangers sa politique en matière de réserve de change ? Est-il crédible que la Chine ait pris le risque de faire diminuer la valeur de ses réserves en euros (sans parler de celle de ses investissements dans la zone) ? Est-il crédible que la Chine panique à son tour et préfère revenir au « tout dollar », bref à une dépendance accrue à l’égard des États-Unis dont la monnaie n’est pas plus stable que l’euro ? Est-il crédible que la Chine dont la monnaie est accrochée au dollar prenne le risque de voir sa monnaie s'apprécier face à l'euro? Est-il crédible que la Chine retire son argent de la zone euro ? Pour le placer où ? Quelles sont les zones économiques stables qui existent dans le monde ? Est-il crédible que la Chine panique aujourd’hui à cause de la crise de la dette souveraine européenne alors qu’elle n’a pas paniqué au moment de la crise bancaire aux États-Unis ? Est-il crédible que la Chine préfère mettre toutes ses billes dans le panier américain alors qu’il n’est absolument pas garanti que les États-Unis soient sortis durablement de la crise ? Est-il crédible que la Chine, en faisant une telle annonce qui ne pouvait que fuiter, concoure à déstabiliser la zone euro et donc l’économie mondiale au moment où ses exportations repartent ? Bref, est-il crédible que la Chine se tire une balle dans le pied ?

À toutes ces questions, la réponse est évidemment négative. D’ailleurs, depuis, tous les économistes sérieux expliquent que cet article n’a strictement aucun sens, quel que soit le bout par lequel on le prend. Le journaliste, consciemment ou inconsciemment, s'est probablement fait manipuler par l'un de ces fameux « banquiers étrangers » qui avait quelque intérêt à faire paniquer les investisseurs. Un journal qui a la réputation du FT n''aurait jamais dû présenter comme un fait incontestable une simple rumeur, car il ne s’agit pas de n’importe quel journal. Comme me l’ont expliqué des opérateurs de marché, les investisseurs prennent leurs décisions en fonction, non seulement des analyses fournis par des économistes, mais aussi voire surtout des nouvelles et analyses qu’ils lisent dans les médias (de langue anglaise, cela va sans dire). Et cela, le FT le sait pertinemment.

Le journal a-t-il reconnu son erreur ? Que Nenni. Vendredi, on a simplement eu droit à un papier titré : « la Chine est très inquiète de la crise de l’eurozone », avec le démenti de la Safe. Les journalistes ont péniblement expliqué que finalement, la Chine n’allait pas se retirer de la zone euro, mais acheter davantage de titres souverains plus sûrs (ce qui risque de rendre compliquées les émissions de dettes des pays du sud de l’Eurozone, mais passons).

Bref, tout cela n’est pas sérieux et prêterait à sourire si le FT n’en était pas à son second mauvais coup. Ainsi, le 27 janvier, il affirmait que la Chine venait de refuser d'acheter 25 milliards d'euros d'emprunt grec, en exclusivité par l’intermédiaire de Goldman Sachs. Un papier qui a déclenché la panique sur les marchés, deux jours après une émission de dette réussie par la Grèce. La crise risquait de se calmer, cela aurait été dommage pour les ventes du FT. Depuis, curieusement, le journal britannique n’est plus revenu sur cette information capitale qui aurait à tout le moins mérité une enquête, y compris pour démontrer comment on s'est fait manipuler ? Trop dangereux, peut-être ?


Source : Les Coulisses de Bruxelles, Jean Quatremer, 30.05.2010 (URL : http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2010/05/le-financial-times-la-crise-et-la-d%C3%A9ontologiele-biais-anti-euro-dune-grande-partie-des-m%C3%A9dias-anglo-saxons-est-difficil.html)

İstanbul Büyükşehir Belediyesi: "6 yılda neler yaptık. İzleyin"