lundi 31 mai 2010

L'assaut de la flotille "Free Palestine" par l'armée israélienne plonge les relations turco-israéliennes dans une de leurs plus mauvaises passes


Ce matin à 5h37, les commandos de marine israéliens ont pris d’assaut l’un des bateaux de la flottille «Free Palestine» qui essayait de forcer son blocus de Gaza. Le bilan est extrêmement lourd, puisqu’après avoir annoncé 2 morts en début de matinée, puis 19 morts à la mi-journée, les derniers communiqués (19h) parlent désormais de 9 morts et de nombreux blessés. Ce drame risque d’endommager durablement les relations turco-israéliennes puisqu’il est confirmé que l’un des principaux navires pris d’assaut, est l’un des navires turcs de la flottille.

Le premier officiel israélien à réagir a été le ministre de l’industrie et du commerce, Benyamin Ben Eliezer, qui se trouve actuellement au Qatar pour un forum économique international. Ce n’est pas un hasard, ce ministre travailliste est connu pour ses sympathies pro-turques et s’est fortement démené ces derniers mois pour essayer de sauvegarder les relations turco-israéliennes. Tout en exprimant ses «regrets», il a néanmoins accusé les militants qui se trouvaient à bord du navire abordé d’avoir attaqué les soldats israéliens à l’arme blanche (couteau et hache) et d’avoir tenté de prendre son arme à l’un des assaillants. L’usage d’armes à feu a également été évoqué par les autorités israéliennes. Mais les autorités turques de sécurité, qui ont procédé à l’embarquement des passagers sur ce navire à Antalya, ont rapidement démenti une telle information, en rappelant que les bagages des personnes embarqués avaient été scannés et que de toute façon des voyageurs ou du matériel suspects n’auraient pas été admis à bord. On observe que l’armée israélienne a imposé un blackout sur l’événement dans les premières heures, et que Benyamin Ben Eliezer a évoqué une perte de contrôle de la situation, ce que l’armée israélienne a d’ailleurs confirmé, en déclarant que l’on ignorait qui avait donné l’ordre de tirer (alors même que des ordres auraient été donnés pour ne pas tirer). Il faudra attendre une enquête pour savoir ce qui s’est effectivement passé mais, d’ors et déjà, il est sûr que les autorités israéliennes auront beaucoup de mal à justifier une action aussi meurtrière et un bilan aussi déséquilibré (4 soldats israéliens auraient été blessés dans l’assaut). Et ce, d’autant plus qu’il est désormais confirmé que l’assaut a été donné dans les eaux internationales et non dans la mer territoriale de Gaza.

Quoiqu’il en soit, il est sûr que les relations turco-israéliennes vont se tendre dans les prochaines heures. Dès 8 heures, le ministre turc des affaires étrangères, qui avaient exhorté les ONG engagées dans l’opération «Free Palestine» et le gouvernement israélien à conserver leur calme, a qualifié l’intervention israélienne «d’inacceptable», en déclarant «qu’Israël devrait supporter toutes les conséquences de ce comportement». L’ambassadeur israélien à Ankara a été convoqué d’urgence dans la matinée. Le gouvernement turc lui a signifié une protestation particulièrement sévère, demandant à son gouvernement un rapport détaillé sur le sort de tous les passagers de la flottille, le retour de ces derniers dans leurs pays d’origine, et l’envoi des blessés dans des hôpitaux turcs pour y être soignés.

Ce matin, au fur et à mesure que les informations filtraient et que le bilan des victimes s’alourdissait, les condamnations de l’assaut israélien se sont multipliées et se sont faites de plus en plus dures. De nombreux pays européens ont convoqué leur ambassadeur israélien. L’Union européenne a demandé une enquête approfondie et appelé à «une ouverture immédiate, prolongée et inconditionnelle du passage du flux d'aide humanitaire, de biens commerciaux et de personnes vers et au départ de Gaza». Mais, ce qui domine incontestablement dans ces réactions est l’incompréhension : comment une telle opération a-t-elle pu se transformer en une telle tuerie ? On ne peut manquer de mettre en relation cette violence avec les positions excessives que le gouvernement israélien a souvent adoptées ces derniers mois, et avec les débordements auxquels sa diplomatie a parfois donné lieu. On se souvient qu’en janvier dernier le vice-ministre israélien des affaires étrangères avait publiquement humilié l’ambassadeur turc, au cours d’une mise scène dont la puérilité avait inquiété la communauté internationale. Mais cet incident diplomatique n’avait pas fait de victimes…

À l’heure où des manifestations importantes se déroulent à Istanbul et Ankara pour condamner l’intervention israélienne et où la Turquie vient de rappeler son ambassadeur à Tel-Aviv, on peut penser que les relations turco-israéliennes n’ont jamais traversé une aussi mauvaise passe.

Source : Blog de l'OVIPOT, Jean Marcou, 31.05.2010 (URL : http://ovipot.blogspot.com/2010/05/les-relations-turco-israeliennes.html)

jeudi 27 mai 2010

Accord tripartite et risques de prolifération nucléaire au Moyen-Orient : Israël, l'Iran et le "club sunnite"


Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a pressé aujourd’hui les Etats-Unis et la Russie d’accepter l’accord tripartite du 17 mai 2010 (qui prévoit un échange de combustible nucléaire produit par l’Iran contre de l’uranium enrichi à 20%), en expliquant à Washington et à Moscou qu’il s’agissait là de «leur dernière chance» de résoudre pacifiquement le conflit qui les oppose à Téhéran.

Lundi 24 mai, l’Iran a d’ailleurs notifié cet accord à l’AIEA, mais hier la Secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a estimé que ce document présentait un certain nombre de lacunes. Un expert occidental a notamment montré que le projet d’échange prévu était irréalisable, car il fixe un délai d’un an pour la livraison de 120 kg d’uranium enrichi à 20% à l’Iran, alors même qu’il faudrait près de 2 ans pour produire une telle quantité de combustible nucléaire.


Entretemps, Recep Tayyip Erdoğan, qui est parti hier pour une tournée en Amérique du Sud, qui doit commencer par un séjour au Brésil où il doit participer à la 3e réunion de l’Alliance des civilisations, a poursuivi sa campagne de promotion de l’accord tripartite. Lundi, il a eu un entretien téléphonique avec Nicolas Sarkozy pour tenter de le convaincre de soutenir l’accord. Mais si le président français a remercié la Turquie et le Brésil pour leurs efforts, il a redit que, pour que l’échange en question puisse se faire, il fallait que l’Iran abandonne son projet de produire de l’uranium enrichi à 20%. Les Etats-Unis pour leur part continuent leurs démarches pour mettre sur pied un nouveau programme de sanctions contre l’Iran. Outre l’accord des pays européens, Washington semble pouvoir compter sur le soutien de la Russie et de la Chine, mais cette dernière a dit hier que “les discussions au Conseil de sécurité sur le dossier iranien, pour le vote de nouvelles sanctions, ne signifiaient pas la fin des efforts diplomatiques”

Les derniers développements de la question nucléaire iranienne interviennent au moment où les experts s’interrogent plus que jamais sur les risques de prolifération nucléaire au Moyen-Orient. Alors qu’Israël, qui n’adhère pas au TNP est officieusement le seul détenteur de l’arme nucléaire dans la région, l’affaire iranienne a relancé les interrogations sur les intentions de pays voisins qui pourraient se doter d’installations et de technologies leur permettant de fabriquer une arme nucléaire. Bien que théoriquement favorables à une dénucléarisation du Proche-Orient, la Turquie, l’Egypte et l’Arabie saoudite sont entrées dans le jeu à des degrés divers.

L’Egypte, en particulier, qui dispose des connaissances nécessaires pour conduire un programme nucléaire civil et qui avaient gelé ses projets atomiques, il y a 20 ans, a annoncé en 2007 la construction de plusieurs centrales. L’Arabie Saoudite, qui ne possèdent pas d’installations nucléaires et n’est pas en mesure d’en construire actuellement, pourrait toutefois acquérir l’arme nucléaire grâce à son allié pakistanais. Enfin, la Turquie vient de signer avec la Russie un accord qui lui permettra de construire sa première centrale nucléaire et elle est en négociation avec la Corée du Sud pour la construction d’une seconde installation nucléaire. Cet engouement pour l’atome s’explique sans doute par le prochain tarissement des ressources pétrolières et la nécessité, ici comme ailleurs, de trouver des énergies de remplacement. Mais, à plus court terme, nombre d’experts redoutent également que la stratégie actuel de l’Iran justifie par la suite l’arrivée de ces puissances sunnites, inquiètes de la perpective d’une “bombe chiite”, dans le club fermé des détenteurs de l’arme nucléaire. En outre, en septembre 2007, un “mystérieux” bombardement israélien sur la Syrie, à partir de la Turquie (qui avait alors protesté), qui aurait visé un site nucléaire en construction, a révélé que Damas, qui de surcroît entretient des bonnes relations avec Téhéran, était probalement aussi concernée par cette fièvre nucléaire moyen-orientale.

Ainsi, la manière de gérer la crise iranienne a une importance capitale pour l’avenir du Moyen-Orient car, les avancées technologiques de l’Iran dans la production d’uranium enrichi, pourraient déboucher sur un phénomène de prolifération nucléaire, les rivaux sunnites potentiels de l’Iran et d’Israël cherchant à se doter d’une technologie comparable pour sanctuariser la région. Dans cette affaire, le Brésil, qui sera capable de produire sur son sol de l’uranium enrichi, en 2015, en quantités industrielles, pourrait bien faire d’une pierre deux coups, affirmant à la fois ses prétentions sur la scène internationale et se positionnant sur un marché nucléaire appelé à se développer.

Source : Blog de l'OVIPOT, Jean Marcou, 26.05.2010 (URL : http://ovipot.blogspot.com/2010/05/laccord-tripartite-et-la-question-de-la.html)


mercredi 26 mai 2010

La Turquie, la culture, la démocratie, l'armée et la laïcité ...


À cheval sur l’Europe, l’Asie centrale 
et le Moyen-Orient, la Turquie, qui est 
à un tournant de son histoire, s’interroge. Adhésion à l’UE, démocratie, 
question kurde, devoir mémoriel (massacres d’Arméniens 
de 1915), poids de l’armée et laïcité sont au cœur des débats.


Des tulipes. Jaunes, rouges, blanches. On ne voit que ça dans les parcs et jardins d’Istanbul. Pourquoi cette fleur ? Parce que c’est le symbole de l’Empire ottoman. Après plus de quatre-vingts ans de kémalisme, la Turquie semble renouer avec son passé. « Dans les milieux intellectuels comme dans les couches sociales défavorisées, une certaine forme de passéisme gagne du terrain. Et la nostalgie ottomane, qui a été occultée, revient en force, notamment sur la scène politique et culturelle », écrit Nedim Gürsel (1). Tant et si bien que le programme d’« Istanbul, capitale européenne de la culture 2010 » (470 projets artistiques et culturels) a fait en sorte de raviver cette nostalgie à travers des spectacles en sons et lumières, des expositions, la littérature, les arts, les concerts et la restauration des vestiges de l’ancienne capitale ottomane. Mais le passé hittite, romain et byzantin n’est pas oublié, non plus que la période contemporaine.


La culture est en train d’agoniser

Envers du décor ! « Capitale de la culture européenne ? », s’étonne Emre. « Jusque-là, on n’a rien vu. On ne peut pas dire que les 14 millions de Stambouliotes soient concernés », ajoute-t-il. « C’est superficiel ! C’est pour donner l’impression à l’Union européenne que la Turquie maintient le cap », estime Maya Arakon, professeur de relations internationales à l’université Yeditepe d’Istanbul. Selon elle, « la culture est en train d’agoniser. Faute d’investissements, le centre culturel Atatürk a fermé et on n’en a pas ouvert de nouveaux. Le plus vieux cinéma d’Istanbul, Emek, au plafond de style baroque, créé en 1923, situé dans un immeuble datant de 1860 sur l‘avenue Istiklal en contrebas de la place Taksim, risque de disparaître ». L’immeuble va laisser place à un centre commercial en verre et béton ! Architectes et intellectuels se battent pour le sauver. « Fermer ce cinéma a un sens symbolique », ajoute-t-elle. « Rien n’est fait pour vraiment valoriser le patrimoine ancien », constate un artiste indépendant rencontré à Sultanahmet. « On est en train de faire du vieux Istanbul une cité touristique, tandis que le peuple est de plus en plus repoussé vers les lointaines banlieues. »

Symboles de la modernité mais aussi lieux de contestation politique, la place Taksim et l’avenue Istiklal, immense voie piétonnière dans la partie européenne de la ville. Ici, dit-on, transitent deux millions de personnes par jour ! Ce samedi, autour du monument en hommage à Mustapha Kemal et à ses compagnons, des lycéens membres d’un parti d’extrême gauche exigent un accès plus démocratique à l’enseignement supérieur. Plus haut, autour d’un stand, une exposition de photos sur le dur métier des hommes du feu organisé par le syndicat des pompiers d’Istanbul dénonçant la sous-traitance du métier au profit d’entreprises privées. À proximité, des militants de l’AKP (Parti de la justice et du développement, issu de la mouvance islamiste) distribuent des roses aux femmes. En contrebas, de jeunes militants du Parti communiste de Turquie (PCK) distribuent des tracts dénonçant le « régime fasciste » turc  ! Tous appellent à la mobilisation pour le 1er Mai : pour la première fois dans l’histoire de ce pays, syndicats et organisations de masse ont été autorisés à commémorer la Fête du travail. Les années précédentes, sur cette place, le 1er Mai était le théâtre de heurts violents entre manifestants et forces de police. Tout comme a été autorisée (pour la première fois) la commémoration des massacres de masse d’Arméniens de 1915. Est-ce à dire que la Turquie sous le gouvernement de l’AKP se démocratise ? « Non et oui », répond Fatih Polat, journaliste au quotidien Evrensel, organe de l’Emep (Parti du travail de Turquie, gauche marxiste). « Un des succès de l’AKP est d’avoir fait reculer le poids de l’armée dans la vie publique », explique-t-il. « Pour le reste, il y a beaucoup à dire. Par exemple, concernant la révision constitutionnelle, il est peu probable que l’article 1, qui parle de nation turque, ignorant l’existence des minorités dont les Kurdes, soit modifié. Si ce gouvernement a autorisé la création d’une chaîne de télé en langue kurde (TRT 6), ce qui est une bonne chose, il n’en reste pas moins qu’il a demandé à Bruxelles d’interdire ROJ TV, basée en Belgique, sous prétexte qu’elle est proche du PKK (Parti du travail du Kurdistan, en lutte armée contre Ankara). Autres exemples : le maire de Sur (Kurdistan) ainsi que 1 200 membres du DTP (Parti pour une société démocratique, interdit avant de devenir BDP, Parti de la paix et de la démocratie) sont incarcérés. Deux de ses dirigeants, les députés Ahmet Türc et Aysel Thgluk, sont interdits de parole. La condamnation récente de Leila Zana en premier appel à trois ans de prison a choqué l’opinion et provoqué un fort mouvement de sympathie en sa faveur en Turquie », poursuit-il. Pour avoir déclaré au Parlement lors d’un débat retransmis par la télé publique turque qu’« une guerre se déroule en ce moment même en Turquie » à propos de la situation au Kurdistan, la députée kurde Sebahat Tuncel s’est fait violemment tancer par le président du Parlement et insulter par des députés du CHP (kémaliste) et du MHP (ultranationaliste).


Une région sous tension extrême

Mais signe que la question kurde n’est plus taboue : la réaction de la pop star turque Hakan Peker, qui a interpellé publiquement lors d’un concert à Istanbul le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, au sujet du Kurdistan. « On aurait dû régler le problème kurde il y a dix ans », s’inquiète Ebru Kus Sen, du comité d’organisation d’Istanbul capitale européenne de la culture. La jeune femme craint « que ce soit plus difficile aujourd’hui, tant les positions des uns et des autres se sont radicalisées ». En effet, pas un jour ne passe sans qu’un soldat turc ou des membres du PKK soient tués dans cette région sous tension extrême.

Quant à l’armée, qui se veut la gardienne des dogmes kémalistes dont la laïcité, et qui par trois fois a renversé des gouvernements, elle entretient des rapports crispés avec le gouvernement AKP. De fait, elle a usé de divers moyens pour le renverser  : il y a eu la proposition du gouvernement de levée de l’interdiction du port du foulard par les étudiantes à l’université avec à la clé une tentative d’interdiction de l’AKP par la Cour constitutionnelle sous prétexte d’atteinte à la laïcité, puis la tentative d’empêcher l’élection à la présidence turque d’Abdullah Gül en 2008, ce qui a provoqué des élections législatives anticipées remportées par ce même AKP en juillet de la même année … L’affaire Energekon en 2009-2010, du nom d’une organisation clandestine ultranationaliste regroupant des officiers supérieurs de l’armée à la retraite, démantelée après la découverte d’un plan de déstabilisation du pays : assassinats d’hommes politiques, de journalistes et d’intellectuels, attentats à la bombe, provocations d’incidents armés à la frontière turco-grecque, bombardement de mosquées islamistes ! Le tout visant à créer une situation d’instabilité généralisée propice à une intervention militaire avec à la clé la proclamation de l’état d’urgence, la dissolution du gouvernement et du Parlement ! L’affaire, qui a fait grand bruit, est loin d’être terminée. Plusieurs dizaines d’officiers supérieurs à la retraite ont été interpellés. La « grande muette » se défend. « Nos soldats crient Allah Akbar quand ils combattent l’ennemi. Comment ose-t-on nous accuser de vouloir bombarder des mosquées », s’indigne l’un de ses responsables ! « Mon sentiment est que l’armée ne s’est pas rendu compte que les temps ont changé, que la guerre froide est terminée et que rien ne peut plus être caché », assure Maya Arakon.

Pour l’heure, cette affaire Energekon semble servir le Premier ministre et son parti, l’AKP. Aussi, profitant que l’armée soit sur la défensive, ont-ils décidé d’enfoncer le clou. Le Parlement vient en effet d’adopter un projet de révision constitutionnelle qui sera soumis à un référendum. But de l’opération : réduire l’influence de l’armée et celle de ses relais kémalistes au sein des institutions étatiques. Sont visés le puissant Conseil supérieur de la magistrature (HSYK), qui nomme les magistrats et la Cour constitutionnelle, deux bastions kémalistes laïques en conflit ouvert avec l’AKP, dont ils ont tenté d’interdire l’activité. Au nom d’une « laïcité infiniment plus dure que la laïcité française » et d’une conception de la nation turque niant l’identité kurde (2), ces deux institutions sont derrière les interdictions d’activité des partis et des députés kurdes, du port du foulard par les étudiantes à l’université et dans les institutions publiques, les poursuites contre les intellectuels appelant à un travail de mémoire sur les massacres d’Arméniens. D’où, à travers cette révision constitutionnelle, la volonté de rendre plus difficile la dissolution des partis politiques par le HSYK et la Cour constitutionnelle. L’opposition laïque, qui soupçonne l’AKP d’avoir un « agenda caché », affirme que le but de cette révision constitutionnelle est d’islamiser en « douceur » la société turque.

Abderrahmane Dilipak, écrivain et journaliste au Valeit Daily News, membre de Human Rights Watch, ténor de l’islamisme turc, qui dénonce « la théocratie laïco-kémaliste », s’en félicite  : il soutient la révision constitutionnelle. « La laïcité  ? Je ne suis ni pour ni contre. C’est un prétexte pour empêcher la société d’avancer. On est dans un pays musulman où on ne peut pas pratiquer librement sa religion. On essaie de l’emprisonner dans les mosquées », affirme-t-il sans se démonter. La Turquie, pays émergent, membre du G20 mais aussi deuxième puissance militaire de l’Otan, qui a doublé son PIB en cinq ans, à cheval sur le Moyen-Orient, l’Asie centrale et l’Europe dont elle veut être membre, puissance régionale incontournable, est à un tournant de son histoire. La modernisation à l’occidentale imposée avec une main de fer par les kémalistes, qui n’est pas, selon Altan Golpak, « un projet de modernité », semble avoir atteint ses limites (3). Si une majorité de Turcs reste attachée à la laïcité, l’islam turc n’a pas encore tout à fait tranché en son sein le vieux débat opposant les tenants d’une islamisation de la modernité et ceux qui prônent la sécularisation de la religion.

(1) Nedim Gürsel, La Turquie, une idée neuve en Europe, Empreinte. (2) Altan Gokalp, « Turquie  : les tabous 
d’une démocratie » in la Pensée du midi n° 19, novembre 2006. (3) Idem.

Source : L'Humanité, Hassane Zerrouky, 25.05.2010 (URL : http://www.humanite.fr/2010-05-25_International_La-Turquie-entre-modernite-et-resurgence-identitaire)

mardi 25 mai 2010

Johannes Hahn : "Avant la fin de l'année, la Commission [européenne] aura élaboré un document de politique urbaine"


C'est l'amorce d'une stratégie européenne pour les villes. Le commissaire européen à la politique régionale, Johannes Hahn, s'est dit favorable, vendredi 21 mai, à ce que "la politique urbaine devienne une nouvelle cible de l'Union européenne". L'Autrichien s'exprimait en clôture de la 6e Conférence européenne des villes durables, à Dunkerque, dont les participants venaient de demander à l'Union européenne de reconnaître les collectivités locales comme des acteurs-clés du développement durable et de la lutte contre le changement climatique.

"Le rôle des villes est essentiel : à elles seules, les mesures prises à Londres ont plus d'impact que celles de plusieurs Etats membres de l'Union européenne", a approuvé le représentant de la Commission. Mais au-delà de la reconnaissance symbolique, M. Hahn a esquissé les grandes lignes d'une stratégie inédite : si l'Europe a une politique agricole commune depuis un demi-siècle, elle n'a jamais défini de politique urbaine.

"Avant la fin de l'année, la Commission aura élaboré un document de politique urbaine, avec une vision de la ville européenne d'avenir, des exemples de bonnes pratiques, en abordant les questions de la forme urbaine, de la planification, des transports publics, des espaces verts, etc.", a précisé M. Hahn devant la presse.

La question des finances n'est pas oubliée : "La politique de cohésion va être un véhicule pour transformer cette vision en réalité", assure-t-il. Les villes, qui perçoivent moins de 7 % des fonds structurels européens, demandent que leurs plans climat soient inclus dans la politique de cohésion communautaire, au moment où l'Union planche sur une réforme des fonds structurels et sur son budget pour la période 2014-2020.


"Un soutien plus fort"

Le traité de Lisbonne a jeté les bases de cette évolution, en 2007, en ajoutant aux volets économique et social l'exigence de la cohésion territoriale et en reconnaissant l'autonomie des collectivités.

"Il y a toujours eu une dimension urbaine dans nos politiques de cohésion, mais il n'y a pas d'enveloppe pour la politique urbaine ; notre ambition est un soutien plus fort et plus directement dédié aux aires urbaines dans la prochaine période des fonds structurels, annonce M. Hahn. La politique urbaine est intégrée : logement, transport, efficacité énergétique, activité économique... C'est l'objectif de la Commission d'offrir un programme intégré aux villes à l'intérieur de la politique régionale."

Reste une difficulté de taille : "Nous devrons convaincre les Etats membres que nous avons besoin d'argent pour réaliser cela", admet le commissaire européen. Or la plupart des gouvernements souhaitent avant tout réduire l'enveloppe des fonds de cohésion et certains Etats pourraient voir d'un mauvais oeil leurs collectivités locales gagner en autonomie.

La Commission a pourtant déjà commencé à travailler directement avec les villes sur les questions de climat pour passer outre la frilosité des Etats. En 2009, elle a créé l'Alliance des maires pour aider les villes déterminées à dépasser l'objectif européen de baisse des émissions de CO2 de 20 % d'ici à 2020. Quelque 1 700 villes s'y sont déjà engagées.

lundi 24 mai 2010

Kılıçdaroğlu: "Tek Adam Yerine Parti İçi Demokrasi"


Kılıçdaroğlu CHP Kurultay'ı öncesi, "Bu yapı içinde demokrasi oluşacak buna söz veriyorum. Birinci, ikinci adamlıktan çok biz bir kadro hareketi başlatmalıyız" dedi.

Cumhuriyet Halk Partisi'nin (CHP) 33. Olağan Kurultayı öncesi, Genel Başkanlığa adaylığını açıklayan Kemal Kılıçdaroğlu, NTV'de "Canlı Gaste" programına katılarak Can Dündar'ın sorularını yanıtladı.

Kongre'de yapacağı konuşmada İsmet İnönü'nün "Ahlaklılar da ahlaksızlar kadar cesur olmadıkça toplum düzelmez" sözünü kullanacağını söyleyen Kılıçdaroğlu şu açıklamaları yaptı.


CHP'li küskünler: Küskünleri ben barıştırırım. Küsmek gibi bir lüksümüz yok. Herkesle barışıp Türkiye'nin bütün coğrafyasına gideceğiz; Türkiye'yi bugünkü durumundan çıkarmak istiyoruz. İşçi, çiftçi ve sanayicinin umudu olmak istiyoruz.

Partide değişim: Eleştirilere açığız, ortak aklı egemen kılacağız. Alanlar kendi içinde uzmanlaştı. Bir kişinin, "Her şeyi ben bilirim" demesi bana göre tuhaf. Olabildiğince iyi bir kadro ile yola çıkacağız. CHP'nin çok önemli kadroları var, kendi alanında uzman kişiler var. Yeni yüzler öne çıkacak. Onlar daha fazla konuşacak.

Blok liste ile giriyor: Partide bir kısm "çarşaf" bir kısm "blok" listeden yana. İl başkanlarından gördüğüm eğilim, blok liste yönünde. Parti içinde demokrasiyi yerleştirmek çok önemli; zaman kısıtlı olduğu için bu kurultayda blok liste olacak ama önümüzdeki yıllarda çarşaf liste olacaktır. Kısır çekişmelerden CHP'yi çıkarmak ve halka gitmek, temel felsefe olmalıdır.

Ekonomi politikası: Halkla başladık, halkla devam edeceğiz. Yolsuzluk yapmayacağız, havuzlu villalarda oturmayacağız, ürettiğimizi hakça bölüşeceğiz. Bu ülkede açlar varken rahat yatmayacağız. Mal varlığımı açıkladım, siyasete saydamlığı getirmek zorundayız.

Etnik köken ve inançlar: ("Hakkınızda yazılan inanç ve enik kökenli haberlerle ilgili ne düşünüyorsunuz?" sorusuna) Ben bir insanım, insanımı seviyorum. Yapım meydanda; annemi, babamı tercih etme şansım yok ama onları seviyorum. Bu coğrafyada herkesi kucaklamak zorundayız.

Diğer sol partiler: ("Partilere bir çağrınız olacak mı?" sorusu üzerine) Diğer partilerle henüz dialogumuz olmadı. Aynı amaca hizmet eden insanların, farklı yerlerde olmasını istemem; beraber olmalıyız. "Ülkem için, ülkemin halkı için, işsizliği yenmek için çalışacağım" mantığıyla gelinirse biz kocaman bir aileyiz, herkesi kucaklarız. Bunları kultaydan sonra göreceğiz. Bu yapı içinde demokrasi oluşacak buna söz veriyorum.

Bürokrasi ve siyaset: Bürokrasiyi bilmek büyük bir avantaj; sorunun nasıl çözüleceğini bilirsiniz. Turgut Özal, Süleymen Demirel Recai Kutan da bürokrasiden gelme. Ama Türkiye'yi de şikâyet edilen bürokrasiden kurtaracağız; sanayicimiz bunu görecek.

Deniz Baykal: Üzgün olmamak mümkün mü? Özel yaşamın gizliliği ihlal edildi. Hükümetten beklentimiz bu olayın faillerinin mutlaka bulunması, failler bulunmazsa bu iktidarın üzerinde leke olarak kalacak. Parti için Sayın Baykal'ı önemli mevkilerde görüyorum. Onun bilgi birikimi, deneyimi, olaylara bakışı çok önemli. Kendi adıma söyleyeyim, Baykal'ın özellikle kritik dönemlerde görüşünü almak isterim. ("2012'de Baykal Cumhurbaşkanı olur iddiasıyla ilgili) Sayın Baykal'a çok yakışır. Siyasette engin tecrübesi var, 12 Eylül'de Zincirbozan'da kaldı. Bu deneyimler Sayın Baykal'ın cumhurbaşkanlığı için önemli özellikler.

Önder Sav: Şu andaki Genel Sekreterimiz güçlü konumda. Görevinin sürüp sürmeyeceğine karar vermek için çok erken. Kendisi partiyi tanıyor biliyor, çok saygı duyuyoruz. Birinci, ikinci adamlıktan çok biz bir kadro hareketi başlatmalıyız.

Sınır ötesi operasyon ve açılım: Açılımın ne olduğunu öğrenebilmiş değilim. Halktan gizli açılım olmaz, maya tutmaz. Biz sorunun ne olduğun nereden öğrendik? Oradan gelen Emniyet ve Valilik raporlarından, onların gönderdiği raporlarla mı bakılacak soruna. İçinde sosyologların, psikologların olduğu bilimsel bir çalışma yapılmalıydı. Aç olan kişi ya dağa çıkar ya da mafyaya girer. Önce karnını doyuracaksınız, istihdam yaratacaksınız.

Dersim ve af: Batman'da yaptığım konuşmanın arkasındayım. Bunlar benim sıfırdan söylediğim sözler de değildi. Dersim konusunda söylediklerimin arkasındayım.

Gençler ve kadınlar: Gençliği olmayan partinin, geleceği olmaz. Gençler ve kadınlar çok önemli noktalarda olmalılar. Kadın kolları genel başkanı yoktu uzun süredir, bu da olacak.

Adaylık kararı: Genel Başkanlığa adaylığımı koymayı uzun süre düşündüm, akademisyenlerle, politik çevrelerle görştüm. Kararımı kimseye açıklamamıştım. O sabah sadece eşime söyledim o da yüzünü astı; ailem siyasette olmamı pek istemiyor. Sonra evden çıkıp başvurumu yaptım.


Source : Bianet, 21.05.2010 (URL : http://bianet.org/bianet/siyaset/122165-kilicdaroglu-tek-adam-yerine-parti-ici-demokrasi-dedi?from=bulten)

"Sermaye, Kentsel Dönüşüm ve Varoş: Fakirin Malı, Zenginin Hazinesi ..."


Kent mekânının üretimi, yeniden üretimi ve dönüşümü sermaye birikiminde önemli rol oynamaktadır. Kapitalist üretim tarzının sürdürülebilirliği için kentsel gelişme bir zorunluluktur. Lefebre'ye göre, eğer kapitalizm 20. yüzyılı görebilmişse bunu büyük ölçüde kent mekânını keşfetmesine borçludur. Kapitalist kent mekânının oluşumunu anlamak için kent ve kent-üstü dönüşümlere bakmak gerekir. Toprak rantı, kapitalist üretim sisteminde kentsel gelişmenin önemli bir parçası olup bu süreçteki çatışmaların da temellerinden biri olmaktadır. Toprak, hem konumu hem de arzı açısından sabit olup, yaratılacak rantın mekânsal yapının şekillenmesinde ve birikim sürecinde önemli etkileri vardır. Kentleşme gibi toprak rantı da sadece ekonomik anlamda değil toplumsal ilişkiler bağlamında değerlendirilmelidir. Tarımsal toprakların kentsel toprağa dönüşmesi sürecinde topraktaki iyileştirmeler toprağın değerini artırmaktadır. Kentsel büyüme aracılığıyla da rant yaratılmaktadır. Kent toprağı üzerinde kullanım biçimini değiştirmeye dönük kararlar alınması ve ek sermaye yatırımları yapılması toprağın rantının artırılmasına neden olmaktadır. Kent topraklarının en verimsiz olanları da piyasa açısından özellikle daha karlıdır. Çünkü verimsiz ve değersiz gözüken toprakların çeşitli altyapı yatırımları ile değerli hale getirilmesi halihazırda değerli alanlardan daha fazla rant yaratmaktadır.

1960-1980 Arası: 'Köylü'den Varoşa'a, Öteki'ye Kent Yoksuluna'

1960'lardan itibaren ithal ikameci birikim rejiminin başlamasıyla kentsel rantlar sanayi birikimine bir engel olarak görülmüş ve sermaye kentsel rantlarla ilgilenmemiş, bu yıllarda kaynaklar da sanayi sektörüne aktarılmıştır. Bu dönemde kentsel gelişim daha çok küçük sermayenin ve gecekonduların başatlığında şekillenmiştir. 1980'den sonra yeni birikim rejimi ile üretken sermaye yerine para sermayeye ağırlık veren yeni bir birikim biçimine geçilmesi ile kentsel rantlar ön plana çıkmış, sermaye birikimi kentsel rantlarla desteklenmeye başlanmıştır. 1980 sonrasında kentsel alanlarda gerçekleştirilen dönüşümler neoliberal politikalarla birlikte tam anlamıyla sermayenin mantığına göre şekillenmeye başlamıştır. Kentsel rant artık sermaye birikim sürecinde engel değil aksine sermaye birikimine katkıda bulunan bir unsur olarak öne çıkmaktadır. Bu dönemle beraber kentlerin kendisi sermaye birikiminin ana unsurlarından biri haline gelmeye başlamıştır. "Gecekondu" olarak adlandırılan enformel konut piyasasının konut tarzı da değişen süreçler içinde farklılaşmış ve farklı algılanmaya başlanmıştır. 1980 sonrası gecekondu bölgeleri 1950'lerdeki gibi barınma amaçlı yerler olmaktan çıkıp rant alanları olarak görülmeye başlamıştır. Gecekondu mahalleleri hızla apartmanlaşmaya başlamış, artık kentin formel konut piyasası içinde ve kentin büyümesi ile de merkezi yerler haline gelmişlerdir. Sadece kentin yoksullarının değil artık kentli orta sınıf da yaşamaya başladığı yerler olmuşlardır.

1980 sonrasında neoliberal politikalarla kentlerdeki bölünme ve ayrışma üst sınıfın kendine duvarlar örmesiyle ve ötekilerinden ayrıştırmasıyla sonuçlanmıştır. Bu ayrışma bir süre sonra söyleme de yansımaya başlamış ve dışlanan kesim "varoş" olgusu ile kendini oluşturmuştur. Tehlikeli "öteki", eski kent çeperi/yeni kent merkezindeki bu rantı yüksek yaşam alanlarını ne kadar hak ediyor sorusu bir şekilde sorgulanmaya öncelikle medya aracılığıyla başlanmış ve kaliteli yaşam vurguları hem öteki hem de "kentin rantı yüksek yerlerinde yaşaması gereken insanlar" için kullanılmaya başlanmıştır. Son yıllarda kentle -özellikle İstanbul'la- ilgili bütün çözümsüz problemlerin -deprem nedeniyle güçlendirilecek binalar, artan suç ve suçlunun yaşadığı mekânların temizlenmesi gerekliliğinin- çözümü 1980 sonrasındaki kentsel gelişmenin en dramatik sonucu olarak karşımıza çıkarılan ve şehrin yoksullarının yaşadığı ve varoş diye tanımlanan mahallelerde uygulanan "kentsel dönüşüm" olarak dayatılmaktadır. 17 Ağustos depremi ile başlayan başta İstanbul olmak üzere bütün Türkiye'deki inşaat kalitesine dikkat çeken söylem -"deprem değil binalar öldürür"- karşılığını bir süre sonra bu binaların güçlendirilmesi kentlerin yenilenmesi başta İstanbul olmak üzere depreme hazır olunması, bunun da merkezi otorite tarafından sağlanması gerektiği ile meşru bir zemine taşınmıştır. İnşaat kalitesi düşük binaların yeniden yapımı nedense kendini sadece kentin rantının yüksek olduğu gecekondu bölgelerinde uygulanması gerektiği cevabı ile sonuçlanmaktadır. Kentsel alanların kullanım biçimini değiştirmeye dönük kararlar alınması ve ek sermaye yatırımları yapılması toprağın rantının artmasına neden olmaktadır. Kentsel mekanlarda rantı yüksek alanlar altyapı yatırımları biçimindeki sermaye yatırımları ile rantı daha da yükseltilmektedir. Bu nedenle de kentin her alanı metalaştırılarak verimli hale dönüştürülmesine ilişkin politikalar yaygınlaşmaktadır. Çok hızlı büyüyen kentlerde altyapı kapasitesinin yetersizliği kent toprağının gelişimini zorlaştırmakta ve toprak fiyatlarının artmasına neden olmaktadır. Bu nedenle eskiden kentin çeperinde kalan gecekondu alanları -bugünün varoşları- artık kentin merkezi haline gelmiş ve coğrafi olarak avantajlı durumdaki bu mekanların artan rantı nerdeyse bakanlık derecesinde yetkilerle donatılmış TOKİ aracılığıyla büyük sermayeye sunulmaktadır. Sermayenin talebi doğrultusunda siyasi otoritenin müdahaleleri, mekanın örgütlenmesinde belirleyici olmaktadır. Bu müdahaleler sonucunda kentsel rantların dağılımını etkilemekte ve kentsel mekanını değiştirmektedir.


1990-2000'ler: Moda 'Kentsel Dönüşüm'

2000'li yıllardan itibaren de pek çok ülkede uygulanan yapısal reformlarla beraber uluslararası inşaat sermayesinin serbest hareketi sağlanmaya çalışılmıştır. Türkiye'de de bu süreç yapısal uyum reformları ve geniş yetkilerle tekrar yaratılan TOKİ aracılığıyla hayata geçirilmeye sağlanmıştır. TOKİ, AKP iktidarı ile kentsel gelişimin asıl belirleyicisi olmaya başlamış bunun da ateşleyicisi "kentsel dönüşüm" projeleri olmuştur. TOKİ'nin kendi internet sayfasında bulunan "TOKİ'nin kentsel dönüşüm için aradığı özellikler: Teknik verilere bağlı olarak (jeolojik durum, zemin özellikleri, tarihi ve doğal miras); tasfiyesi zorunlu alanlar, afet bölgeleri; Kentsel arazi değeri yüksek ancak yapılaşma kalitesi düşük, sosyal donatı hizmetinden yoksun ve kentsel kimliğe uyumsuz alanlar dönüşüm projelerine konu edilmektedir" açıklaması ile rantı yüksek, coğrafi olarak avantajlı mekânları dönüşüme konu ettiğini açıkla belirtmektedir. Bu dönüşüm sürecinde toprağın potansiyel kullanıcıları veya toprağı yeniden geliştirecek olanlar ile toprak üzerinde bulunan kullanıcılar arasında doğrudan bir çatışma oluşmaktadır. Bu çatışmanın en büyük tarafı olan TOKİ'nin başkanı Erdoğan Bayraktar ise 2004 yılında düzenlenen IV. Gayrimenkul Zirvesi'nde "TOKİ, programı çerçevesinde özellikle gecekondu dönüşüm projelerine büyük önem vermektedir. Gecekondu dönüşümü ile kaçak ve çarpık kentsel alanların iyileştirilmesi, ayrıca eşzamanlı olarak yeni ve planlı kentsel arsa üretimini sağlamak suretiyle hem kent merkezlerinde bulunan değerli arsaların, kentin prestijini arttıracak özel proje alanları olarak geliştirilmesini sağlayabilecek..." şeklinde açıklaması ile çatışmanın kaynağının bir rant paylaşım süreci olduğunu açıkça belirtmektedir. Bu süreç sonunda kentin değerlerinin sermaye birikiminde kullanıldığını söylemde de görmekteyiz; "barınma hakkı" yerine artık "konut sorunu" kavramı kullanılmaktadır. Artık varoşların yerlileri bugüne kadar yaşadıkları mahallelerde kentsel dönüşüm sonrası yapılan havuzlu, güvenlikli, spor kompleksi gibi imkânları olan lüks konutlara mortgage sayesinde "kira öder gibi" taksitlerle alma "hakkına" sahiplerdi. TOKİ, 2985 Sayılı Toplu Konut Kanunu 1984 yılında yürürlüğe girmiş, 1990 yılında da 412 Sayılı Kanun Hükmünde Kararnameyle, dar ve orta gelirli ailelerin konut ihtiyacını karşılamak misyonuyla kurulmuştur. Oysa 6 Ağustos 2003 tarihinde 4966 sayılı Kanunla TOKİ'ye verilen "konut sektörü ile ilgili şirketler kurmak veya şirketlere ortak olmak, yurtiçi ve yurt dışında doğrudan veya iştirakleri aracılığıyla konut uygulamaları yapmak ve kaynak sağlanmasını teminen kâr amaçlı projeler geliştirmek" hakkıyla beraber - TMMOB'un 2009'da yayınladığı rapora göre- toplam TOKİ projelerinin sadece yüzde 22'si alt ve orta sınıfa yönelik yapılmakta olduğu görülmektedir. Bu alt gelir grubuna yönelik projelerde sağlıksız ve kalitesiz evler olarak karşımıza çıkmaktadır.

1990 sonrasında kentin suç depoları olarak gösterilen ve artık kentin merkezinde olan yerler söylemde de "varoş" ile ötekileştirilerek buraların suçun ve suçlunun kaynağı olduğu ve artık içimizde yaşadığı ve her an tehlike ile yaşadığımız korkusu kentlinin hayatına ve hayat pratiğine yerleştirilmiştir. Kentli bu söylemle beraber kent çevresindeki korunaklı sitelerde yaşamayan başlamış, kentin tehlikesinden kendini ve ailesini korumasının yolunun kentin tehlikelerinden uzakta durmasıyla mümkün olduğuna, bunu da kentten uzaklaşarak tehlikelerin bir şekilde içeri giremeyeceği yaşam tarzına sığınarak sağlayabileceğine inanmıştır. Bu korunaklı siteler kent merkezine -işyerine, okuluna, alışveriş merkezine- ne kadar yakın olursa o kadar da gözde mekânlar olmaktadırlar. Kentsel dönüşümle bu korunaklı siteler artık kent merkezinin kalbine yerleşebileceklerdir. Böylece yoksullar kent dışına gönderilirken hem suçun yok olduğu düşünülmekte hem de kent merkezinin en değerli alanları bu değeri hak eden insanlara mekan olmaya başlamaktadır. Lipietz'e göre, tekel rantı kendilerini alt sınıflardan ayırmak ya da arzu ettikleri bölgede yasamak için üst ve orta sınıflar tarafından ödenmektedir. Kentsel dönüşümlerle yaşadıkları kent merkezine yakın ya da coğrafi olarak avantajlı mahallelerden gönderilen "varoşlular" sayesinde burada yaşamayı hak eden yeni yerleşikleri bu şans karşısında Lipietz'in tekel rantını ödemeye razı olmaktadırlar. Kentin tarihsel merkezlerine yakın ulaşım ağlarına hâkim çöküntü bölgeleri de kentsel dönüşümün bir diğer ayağını oluşturmaktadır. Kentsel rantın bölüşümü rantın oluşumu sırasında gerçekleşmekte yani rant oluşurken bölüşüm sürecide başlamaktadır. Kentsel dönüşüm projeleri oluşan rantta siyasi otorite aracılığıyla sermayenin yeniden bölüşüme açması olarak değerlendirilebilir. Bu yeniden bölüşümün aktörleri ise finans sermaye ve yerli ve yabancı büyük inşaat firmaları olmaktadır. İstanbul Büyükşehir Belediye Başkanı Kadir Topbaş: "Bizim şimdiye kadar yaptığımız kentsel dönüşüm projeleri 3-5 binlik. Halbuki İstanbul'daki 1,3 milyon binanın yarısından fazlasının yıkılarak yeniden inşa edilmesi kaçınılmaz. Biz İstanbul'a yatırım yapmak isteyen yabancı sermayeyi kentsel dönüşüm projesine yönlendireceğiz..." açıklaması ile yabancı inşaat firmalarını İstanbul'u yeniden inşaya çağırmaktadır. PricewaterhouseCoopers ve Urban Land Institute işbirliği ile gerçekleşen ‘Gayrimenkulde Gelişen Trendler 2010 Avrupa' raporuna göre; İstanbul gelişme beklenen şehirlerarasında ilk sırada yer almakta ve yabancı yatırımcının en büyük beklentisi de yatırım yapacakları ülkelerdeki yasal düzenlemelerin sorunsuzca işleyebilmesidir.



Sonuç Hep Yoksulluk, Eşitsizlik...

Bu sürecin sonunda yaratılan rant sayesinde birikim sağlayan bir kesim olduğu gibi mağdurları da yaratılan rantın mekanına sahip olan "varoşlu"lardır. Yaşadıkları alanlardan edilen kent yoksulları bu ayrışma sonucunda kamusal hizmet alabilme imkânlarından da daha az faydalanmaya başlayacaklar, 1950'lerden itibaren fordist üretim sürecinde kentin maliyetini ödeyerek ucuz işgücünden yararlanılan ve artık tamamen dışlanan kesim olmaya başlayacaklar, özellikle kentin hizmet sektöründe çalışan yoksullar kent dışına gönderilmeleri nedeniyle var olan işlerini kaybetme ya da ekstra ulaşım masrafı ile karşı karşıya kalmaya başlayacaklar ve var olan sosyal ilişkilerini -komşuluk mahalle dayanışması- tamamen kaybedeceklerdir. Kapitalist birikim sürecinde önemli ölçüde kentsel mekân üzerinden gerçekleştirilmesi kentsel dönüşüm uygulamaların önüne geçilmesini zorlaştırmaktadır. Ancak, bu birikim sürecinin daha insanı bir içerik kazanması için ciddi bir mücadele süreci dönüşüm uygulamalarının bir kısmının iptali ile sonuçlanabilir ve kentin insanı ve tarihi dokusunun tahrip edilmesine engel olabilir. Bu nedenle sivil toplum kuruluşları ve muhalif güçlere önemli sorumluluklar düşmektedir. "Sermaye sizin ama kent bizim" diyebilecek inisiyatif olmaksızın bu sürecin önüne geçilmesi oldukça zordur.

Source : Birgün, Serpil Bozkulak, 17.05.2010 (URL : http://www.arkitera.com/news.php?action=displayNewsItem&ID=53294)

L'élection de Kemal Kılıçdaroğlu à la tête du CHP va-t-elle transformer la vie politique turque ?


Kemal Kılıçdaroğlu a été élu, samedi 22 mai, à la tête du CHP par le 33e congrès du parti dont les participants enthousiastes ont accueilli leur nouveau leader aux cris de «Kemal premier ministre !» Cette élection était attendue depuis qu’au début de la semaine Kemal Kılıçdaroğlu avait déclaré sa candidature, anéantissant définitivement les tentatives de retour de Deniz Baykal. Pour nombre d’experts la voie du changement aura été ouverte par une série d’évolutions intervenues à l’intérieur du parti. Il y a une semaine, en effet, 77 délégués provinciaux (sur 81), 60 députés (sur 93) et surtout Önder Sav, le tout puissant secrétaire général du CHP (ami de Deniz Baykal depuis plus de 50 ans), avaient apporté leur soutien à celui qu’on appelle «le Ghandi de la Turquie», eu égard à sa ressemblance physique et morale avec l’ex-leader indien. Toutefois, force est de reconnaître que l’arrivée à la tête du CHP de la seule personnalité dont l’aura dépasse de très loin les frontières de l’organisation du parti, s’est inéluctablement imposée. Par sa démission, Deniz Baykal avait créé un vide politique destiné à n’être comblé que par son seul retour mais, au fil des jours, ce scénario déjà joué il y a dix ans, est apparu de plus en plus illusoire. Dès lors, tandis que l’espoir du renouveau commençait à poindre dans les milieux laïques, la nécessité du changement a fini par s’imposer, même au sein de l’administration du parti qui semblait pourtant définitivement acquise à Deniz Baykal.


L’élection de Kemal Kılıçdaroğlu ne concerne pas que les équilibres politiques internes du parti kémaliste, elle est susceptible de transformer le cours de la vie politique turque dans les prochains mois. Pour beaucoup, y compris dans les milieux laïques, Deniz Baykal est celui qui a perdu 4 élections générales (1995, 1999, 2002 et 2007) et qui est responsable d’une dégradation de l’image du CHP dans l’opinion publique, en bref celui qui bloque, depuis des années, le renouveau de la gauche turque. Par sa réputation d’homme intègre, par l’élan qu’il a su créer lors des dernières élections locales à Istanbul, Kemal Kılıçdaroğlu serait donc véritablement l’homme de la situation.

Il est vrai que les atouts du nouveau leader sont nombreux. De par sa formation, c’est un homme de dossier doté de solides compétences économiques, financières et sociales. À l’origine inspecteur au ministère des finances, il a exercé de multiples fonctions, participant notamment à la gestion de fonds de pension, siégeant au sein du conseil d’administration de la «İş Bankası» (l’une des principales banques turques) ou présidant l’association de défense des contribuables. Authentique homme de gauche depuis sa jeunesse, il n’a pourtant été élu que tardivement au parlement (2002), mais s’est distingué depuis en se faisant le champion de la lutte contre la corruption, un thème qui a été au centre de sa campagne de candidat à la mairie d’Istanbul, au printemps 2009. Hier, lors du discours qu’il a prononcé devant le Congrès du CHP, Kemal Kılıçdaroğlu, a mis en avant cet engagement et ce profil. Tout en affichant les priorités sociales de son programme (lutte contre le chômage et la pauvreté), il a durement attaqué la classe politique au pouvoir, en l’accusant de séjourner dans des hôtels 7 étoiles, d’abuser des jets privés et des voitures de fonction, ou d’envoyer ses enfants étudier aux Etats-Unis. Il s’en est pris aussi à «l’empire de la peur» que le gouvernement actuel aurait contribué à instaurer pour interdire les critiques le concernant, et pour étendre son emprise sur la presse et les médias.

Un autre atout du nouveau leader du CHP est d’être originaire de la province kurde alévi de Tunceli (Dersim). Car, pour étendre son influence, le CHP devra impérativement retrouver un rayonnement dans l’Est du pays d’où il est désormais quasiment absent. Pour ce faire, il faudra néanmoins revoir la ligne nationaliste et sectaire adoptée, ces dernières années, par Deniz Baykal, à l’égard de la question kurde. On se souvient notamment que le CHP avait violemment combattu l’ouverture démocratique kurde et que, pendant les débats parlementaires sur ce projet, l’un de ses membres, Onur Öymen, avait même scandalisé Kurdes et Alévis en mettant sur le même plan les massacres de Dersim de 1938 et la Guerre d’indépendance (cf. notre édition du 22 novembre 2009). L’entreprise de Kemal Kılıçdaroğlu sera en l’occurrence d’autant plus difficile que certains membres et électeurs du parti restent assez chauvins et seront peut-être méfiants à son égard. Certains s’interrogent ainsi sur la capacité de Kemal Kılıçdaroğlu à prendre en main l’appareil du parti et à impulser les changements annoncés. Quelques fidèles de Baykal (Savcı Sayan, Mesut Değer, Yılmaz Ateş et le tristement célèbre Onur Öymen) devraient être écartés de la direction du parti, tandis que Gürsel Tekin, le responsable stambouliote de celui-ci devrait en devenir le numéro 2, mais le secrétaire général Önder Sav et sa garde rapprochée, qui se sont ralliés à la candidature de Kemal Kılıçdaroğlu et lui ont permis de triompher, conserveront probablement leurs positions.

Pourtant, ces handicaps pèsent peu actuellement par rapport aux espoirs qu’a fait naître, dans le camp laïque, l’élection de ce nouveau leader. S’il parvient à incarner une ligne politique innovante rassemblant ceux qui constituent l’électorat traditionnel du CHP, ceux qui continuent à voter pour lui en se pinçant le nez, et ceux qui donnent leur voix à l’AKP moins par réelle conviction que pour marquer leur rejet de l’Etat profond, «Gandhi Kemal» peut espérer défier celui qu’il a appelé, samedi, «Recep Bey» (Monsieur Recep, nouvelle appellation plus commune préférée à celle plus sarcastique et plus guindée de «premier ministre», utilisée généralement par Deniz Baykal). En ce sens, l’arrivée de Kemal Kılıçdaroğlu au plus haut niveau du jeu politique turc, a de quoi inquiéter l’AKP, au moment même où la formation gouvernementale a initié une révision constitutionnelle incertaine, qui doit faire l’objet d’un référendum, le 12 septembre prochain. Ce référendum pourrait être le baptême du feu pour le nouveau leader du CHP, à condition que le paquet de révision constitutionnelle, soumis par le parti kémaliste à la Cour constitutionnelle le 17 mai dernier, ne soit pas annulé. En tout état de cause, des élections législatives devant avoir lieu l’année prochaine, on peut dire d’ors et déjà que l’arrivée de ce nouveau leader à la tête du parti kémaliste risque de lancer rapidement des débats de campagne électorale, et que dans un tel contexte, «Kemal Bey» sera sans doute un adversaire beaucoup moins facile pour «Recep Bey» que «Deniz Bey».

Source : Blog de l'OVIPOT, Jean Marcou, 23.05.2010 (URL : http://ovipot.blogspot.com/2010/05/kemal-klcdaroglu-elu-nouveau-leader-du.html)

mardi 18 mai 2010

La Cour des comptes dénonce le système scolaire français


C'est le constat dramatique d'un dysfonctionnement généralisé, de la maternelle à la fin du lycée, que tire la Cour des comptes de son analyse du système scolaire français. Présenté mercredi 12 mai lors d'une conférence de presse, le rapport de la Cour (200 pages), intitulé "L'éducation nationale face à l'objectif de la réussite de tous les élèves", repose sur deux ans d'auditions des meilleurs spécialistes de notre système éducatif et une enquête de terrain dans 60 établissements de six académies (Aix-Marseille, Bordeaux, Clermont-Ferrand, Orléans-Tours, Montpellier, Paris et Versailles), ainsi qu'en Ecosse, Espagne et Suisse.

Contrairement à ce que pensent nombre de Français de leur école – et malgré un budget qui est le premier de l'Etat –, la politique de l'éducation nationale aggrave les inégalités et produit trop souvent de l'échec. Un constat dû en grande partie au fait que le système impose et empile d'en haut ses directives et ses réformes sans tenir compte des besoins de l'élève ni vérifier leur efficacité sur le terrain.

Un échec aussi à aller chercher dans le fait que "l'école secondaire est encore gérée sur la base de décrets datant de 1950, quand on avait 5 % de bacheliers !" Pour inverser la tendance et renouer avec la "réussite de tous les élèves", le rapport préconise de placer enfin réellement l'élève "au cœur du système", notamment en tenant compte de ses manques et de ses besoins.

D'autre part, en changeant radicalement d'approche dans la gestion du système : "Il est désormais impératif de remplacer la logique de l'offre scolaire – qui repose sur des moyens alloués en fonction des programmes : tant d'heures de cours, qui signifient tant d'enseignants, qui signifient tel budget –, par une logique fondée sur la demande, c'est-à-dire sur une connaissance nettement plus précise des besoins des élèves", insiste le rapport.

Au cours de leur enquête, menée de fin 2007 à septembre 2009, les conseillers de la troisième chambre ont ressenti "un grand intérêt du terrain, qui supplie que ça bouge, mais aussi un fort découragement et épuisement devant les effets d'annonce".

En conclusion, le rapport de la Cour énumère 13 propositions réparties en quatre grands chapitres. Elles vont de la reforme de la gestion du système éducatif à la révision de l'organisation des emplois du temps et des rythmes scolaires, en passant par la réorganisation des classes (quels élèves dans quelles classes ?), l'affectation des enseignants (quels enseignants devant quels élèves ?) et une refonte de l'aide apportée aux élèves en difficulté.


Une nouvelle gouvernance

Le rapport de la Cour des comptes, pointe un "hiatus" important entre les coûts et les performances de notre école : "La France est le pays de l'OCDE où le retard scolaire à 15 ans est le plus important (…), un de ceux où les écarts de résultats entre élèves se sont le plus accrus [et] où l'impact de l'origine sociale sur les résultats des élèves est le plus élevé ", souligne le rapport.

Si elle continue de la sorte, elle ne pourra jamais atteindre ses objectifs de 80 % d'une classe d'âge au niveau du bac et 50 % avec un diplôme du supérieur. Aujourd'hui, la France est loin du compte, avec seulement 25 % d'une classe d'âge au niveau de la licence (bac + 3). Pour lutter contre l'échec scolaire, le rapport propose "d'accroître le financement du traitement de la difficulté scolaire à l'école primaire", où commence à se construire l'échec.

Il souligne aussi l'importance de "mettre fin à une allocation des moyens uniforme", sans prise en compte des écarts et des objectifs entre établissements. "Entre un lycée qui a 100 % de réussite au bac et un autre qui n'a que 40 % de réussite, il n'y a que 10 % d'écart dans les moyens horaires alloués", dénonce la Cour. Elle remarque au passage que le ministère ne connaît même pas précisément les coûts de sa politique de lutte contre l'échec, "ce qui empêche de déterminer quels dispositifs doivent être maintenus ou supprimés".


S'adapter aux besoins de l'élève

Dans ce domaine, tout est à revoir car l'élève, qui est prétendument au centre du système, est en fait "le dernier servi", dénonce la Cour. A commencer par le temps et les rythmes scolaires qui ne lui sont absolument pas adaptés. Surtout pour ceux déjà en difficulté, qui peuvent dépasser la journée de six heures de cours quand ils ont aussi à suivre ceux de soutien scolaire, en sus des heures de cours ordinaires.

Les redoublements, qui sont le plus souvent inefficaces et coûteux, devraient être revus à la baisse et les économies ainsi faites allouées "au financement d'actions d'accompagnement personnalisé". Il faut "arrêter de dire que tous les élèves doivent avoir le même nombre d'heures de mathématiques et que le soutien est le même pour tout le monde", martèle Jean Picq.

Pour le président de la troisième chambre de la Cour des comptes, rédactrice du rapport, "l'égalitarisme de notre système maintient l'inégalité". La composition des classes est aussi visée par le rapport, qui note que leur "hétérogénéité est plus vécue comme une contrainte que comme un objectif louable".

La Cour pointe encore du doigt une orientation qui se fait par défaut et sur la base de l'échec. La troisième chambre, confirme ce qu'elle avait été la première à pointer, dans un précédent rapport : le risque de ghettoïsation des établissements les plus difficiles qui voient fuir leurs meilleurs élèves du fait de l'assouplissement de la carte scolaire.


Des enseignants plus efficaces

Dans son rapport, la Cour relève que l'affectation des enseignants n'est pas faite en fonction de leurs compétences et des élèves qu'ils auront en face d'eux. Il faut, dit-elle, "définir un cadre réglementaire conforme à la diversité de leurs missions" : enseignement disciplinaire, mais aussi coordination des équipes pédagogiques, accompagnement personnalisé (suivi, aide méthodologique, dispositifs spécifiques, conseil en orientation…). "Un accord annuel arrêté entre les enseignants et les responsables des établissements [devrait] définir les modalités pratiques de répartition de ces missions", estime le rapport.


Des établissements responsabilités

La Cour demande "que ce soient les équipes pédagogiques qui déterminent les modalités de répartition des moyens d'enseignement et d'accompagnement personnalisé". Une mesure révolutionnaire que le ministère ne peut accepter, car elle reviendrait à le destituer.

Enfin, elle propose de systématiser les affectations "sur profil" des responsables et des enseignants des établissements les plus difficiles, et de les évaluer à partir des "bonnes pratiques relevées en France et à l'étranger".


Le rapport de la Cour sort une semaine après celui de l'Institut Montaigne l'école primaire. Beaucoup plus complet, il enfonce le même clou : la réforme de fond en comble de notre système scolaire est urgente. Surtout quand on est supposé élaborer une société de la connaissance.

Reste à savoir si le ministère aura le courage de s'y atteler, tant le changement de cap implique de changements en matière de politique éducative.


Source : LeMonde.fr, Rubrique Société, Marc Dupuis, 12.05.2010 (URL : http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/05/12/la-cour-des-comptes-denonce-le-systeme-scolaire-francais_1350226_3224.html)

"Europe : Angela Merkel face à l'histoire ?"

L'Europe, qui était autrefois une vocation, est devenue au mieux un instrument, au pire un fardeau. Seuls Angela Merkel et Nicolas Sarkozy peuvent ensemble la relancer.

C'était il y a dix ans. Joschka Fischer, alors leader des Verts allemands et ministre des Affaires étrangères, prononçait un discours sur les finalités de l'Europe à l'université Humboldt de Berlin. Fischer proposait l'adoption d'une constitution afin de créer une Fédération européenne. C'est le dernier grand discours «européen» d'un dirigeant allemand. D'autres avant lui, avaient lancé des idées pour approfondir l'intégration européenne et pour doter la monnaie unique d'un répondant économique voire politique. Si le mérite d'avoir pris l'initiative de la construction européenne revient à la France, en 1950, comme le rappelle Helmut Schmidt, qui à 91 ans passés continue de jeter un regard lucide sur la politique internationale, les Allemands ont tenté à plusieurs reprises de prendre le relais avec des initiatives audacieuses. Les Français y ont répondu par un silence assourdissant.

Depuis le discours de Joschka Fischer, le souverainisme a gagné du terrain outre-Rhin. L'Europe, qui était autrefois une vocation, est devenue au mieux un instrument, au pire un fardeau. La République fédérale a toujours été le plus gros contributeur au budget communautaire. Les avantages politiques qu'elle tirait de son appartenance à l'UE (Union Européenne) et sa puissance économique justifiaient cette situation aux yeux des dirigeants et de l'opinion. Aujourd'hui, tout se passe comme si les Allemands payaient simplement pour les autres.

La récente crise de l'euro exige un sursaut politique si l'Europe doit redevenir une zone d'innovation et de prospérité et ne pas se réduire à un gendarme budgétaire. Mais qui saisira l'occasion pour, comme disent les Allemands, sauter en dehors de son ombre?

Angela Merkel, naguère parée des lauriers de femme politique la plus puissante d'Europe, n'a pas été à la hauteur de sa réputation. Dans la crise actuelle, elle apparait comme une gestionnaire sourcilleuse des deniers nationaux, une politicienne préoccupée par le score de son parti dans des élections régionales, certainement pas comme un «homme d'Etat», conscient des enjeux historiques. En bonne physicienne, la chancelière est une technicienne qui applique à la politique les règles des sciences dures. La méthode lui a jusqu'à présent réussi, pour s'imposer au sein de son propre parti démocrate-chrétien, arriver au pouvoir et s'y maintenir avec différents alliés. Elle maîtrise parfaitement l'alchimie des forces. Sans cette habileté, elle n'aurait jamais réussi à écarter les barons de la démocratie-chrétienne, à commencer par Helmut Kohl et son héritier malheureux, Wolfgang Schäuble, dont elle a fait son ministre des finances.

Angela Merkel n'est pas la chef naturelle de la démocratie-chrétienne. Elle est une femme dans un parti dominé par les hommes, une Allemande de l'Est dans un parti rhénan, une protestante dans un parti surtout catholique, une divorcée au milieu de bien-pensants. Elle est arrivée à la présidence de la démocratie-chrétienne puis à la chancellerie parce qu'elle a su jouer les uns contre les autres les hommes forts de son parti, sans à priori idéologique, sans grande vision stratégique, ou plus exactement en épousant les variations idéologiques du moment. Ultra-libérale avant les élections de 2005, elle a mené pendant quatre ans une politique sociale centriste avec les sociaux-démocrates avant de chercher la coopération avec les libéraux, des «alliés de choix», dont elle savait pertinemment que les exigences fiscales étaient non seulement injustes mais irréalistes.

Ses adversaires au sein de la démocratie-chrétienne - elle n'en manque pas - lui feraient volontiers porter la responsabilité de la gifle électorale reçue en Rhénanie du Nord Westphalie. Le parti a perdu plus de dix points au scrutin régional du 9 mai. Cependant, elle reste le responsable politique le plus populaire d'Allemagne et les barons locaux qui pourraient contester son pouvoir ont encore besoin d'elle. De plus, ils ne sont pas d'accord entre eux et s'ils leur venaient l'idée de la remplacer, il leur faudrait un chef de file qu'ils n'ont pas.

La défaite électorale de Rhénanie du Nord Westphalie a au moins un avantage pour la chancelière. Elle lui a permis de remettre à sa place le turbulent chef des libéraux - et ministre des affaires étrangères - qui par ses déclarations intempestives sur les chômeurs et la décadence de l'empire romain, n'a pas peu contribué à la débandade. Angela Merkel n'a pas attendu deux jours après les élections pour enterrer définitivement les baisses d'impôts réclamées non sans démagogie par les libéraux.

Malgré la perte probable de la majorité au Bundesrat, la chambre des Etats, elle se retrouve dans une position favorable qui devrait lui permettre, enfin, de prendre des décisions sans être obnubilée par les prochaines élections. Au moins pendant un an. 2011 sera une super année électorale avec sept scrutins régionaux. En attendant, Angela Merkel dispose d'un créneau pour laisser tomber l'arithmétique politicienne et tutoyer l'Histoire. Trouvera-t-elle l'inspiration d'une grande politique européenne qui renouerait avec la vision des pères fondateurs? On dira que l'eurofatigue qui a gagné presque tous les peuples depuis l'interminable débat sur le traité de Lisbonne ne favorise guère une relance audacieuse. La crise est passée par là et a changé la donne.

Toutefois, comme l'écrit encore Helmut Schmidt, il faut être au moins deux pour relancer l'Europe. Les Allemands ne peuvent rien sans les Français, et inversement. Alors que les Britanniques vont se maintenir à une distance prudente de Bruxelles, il revient à Angela Merkel et à Nicolas Sarkozy de montrer la voie d'une intégration économique et politique qui exigerait des sacrifices de souverainetés. Après avoir, ensemble, privilégié la coopération entre gouvernements aux dépens des institutions communautaires, ce serait un changement radical auquel ni la chancelière allemande ni le président français ne semblent vraiment préparés. Mais s'ils n'agissent par conviction, peut-être peuvent-ils le faire par nécessité.

Source : Slate.fr, Daniel Vernet, 18.05.2010 (URL : http://www.slate.fr/story/21341/angela-merkel-europe-crise-tentations-souverainistes)

mardi 11 mai 2010

Mustafa Akyol : vaincre l'intolérance, source de toutes les tensions sociales en Turquie


La semaine dernière, j’ai reçu un courrier électronique de la part d’un étudiant me demandant conseil pour un devoir. Il désirait avoir mon “point de vue” pour écrire sur un sujet délicat : “les complots contre la Turquie : affrontements entre droite et gauche, alevis [minorité musulmane hétérodoxe] et sunnites, Turques et Kurdes, etc.”. Je lui ai répondu brièvement : “Je vous conseillerais de ne pas aborder ces sujets du point de vue du ‘complot contre la Turquie’.” Le lendemain, nouveau courrier : “Pouvez-vous quand même m’aider au sujet des complots contre la Turquie ? — Justement, je ne crois pas en l’existence de tels complots !” répliquai-je.

Depuis, je n’ai pas de nouvelles, mais je sais que ma réponse n’aura guère convaincu cet étudiant, ni les millions de Turcs qui sont persuadés que des puissances obscures conspirent inlassablement contre notre beau pays. C’est quasiment un acte de foi national. Ce serait également l’explication ultime des tensions politiques que nous observons “entre droite et gauche, entre alevis et sunnites, entre Turques et Kurdes, etc.”.

Peut-être nous autres Turcs avons-nous une tendance naturelle à la paranoïa – une tendance soigneusement cultivée par le gouvernement. C’est l’une des premières choses que l’on apprend à l’école. Nous apprenons à lire, à écrire, à respecter nos aînés et aussi à nous méfier du tout nouveau traité de Sèvres. Ce traité, signé en 1920, a marqué le démembrement de l’Empire ottoman. Aujourd’hui, très peu de gens s’en souviennent dans le monde, à l’exception de quelques historiens, mais tous les Turcs le connaissent par cœur. L’Etat se charge de garder ce souvenir bien vivant dans les consciences et les idéologues partisans d’un Etat fort n’oublient pas de rappeler aux citoyens que ce traité est toujours dans les tiroirs des puissances occidentales, qui n’attendent qu’une bonne occasion de voir l’Histoire se répéter.

Il m’a fallu un certain temps pour comprendre pourquoi l’Etat alimentait sciemment cette paranoïa. Ma première révélation date de ma lecture de 1984, de George Orwell, roman dans lequel un parti justifie son pouvoir totalitaire en se référant à des ennemis extérieurs imaginaires. Certes, 1984 est une fiction, et la situation en Turquie est loin d’être aussi catastrophique, mais la logique est la même : créer des ennemis (intérieurs ou extérieurs) pour obtenir l’obéissance aveugle des citoyens. La foi en ces “complots contre la Turquie” permet en outre à l’Etat turc de ne pas aborder les véritables ­problèmes de notre société. C’est également un excellent moyen de cacher l’incompétence d’un gouvernement qui n’a fait qu’aggraver la situation. Prenez l’exemple de la question kurde. Depuis des décennies, le discours officiel est le même : il existe des puissances étrangères qui souhaitent diviser et affaiblir la Turquie. Elles exploitent des différences mineures au sein de notre société pour créer de larges fractures. Elles paient des citoyens non patriotes pour lancer des actions de trahison et de rébellion contre l’Etat. Mais notre Etat souverain les écrasera bientôt.

Comme vous pouvez le constater, ces propos sous-entendent deux choses : d’une part, il n’y a pas de problème kurde ; d’autre part, l’Etat turc n’est coupable de rien. En réalité, je pense qu’il a toujours existé une question kurde, qui s’est peu à peu transformée en nationalisme kurde. L’Etat turc, avec sa politique tyrannique de “turquisation” des Kurdes et la répression brutale de leur opposition, a involontairement jeté de l’huile sur le feu. Cette théorie du complot est largement sponsorisée par le gouvernement, et ses principaux défenseurs sont également de grands adorateurs de l’Etat, autrement dit les kémalistes et autres nationalistes. Notons toutefois que les autres partis politiques ne sont pas immunisés contre ce genre de pensée. Leurs théories du complot ne sont simplement pas les mêmes.

Je dois même dire que certains représentants “de gauche” semblent également atteints par cette paranoïa. (Les guillemets me paraissent indiqués, en ce sens que même les marxistes réformés de la Turquie d’aujourd’hui ne sont plus vraiment “de gauche”.) Ils ne sont toutefois que l’autre face de l’idéologie kémaliste. Alors que ces derniers rejettent toutes les fautes sur les “puissances étrangères”, la “gauche” dont je parle vitupère contre l’Etat kémaliste, et notamment l’armée.

N’étant pourtant pas un fervent défenseur de l’armée turque ou des autres institutions kémalistes, j’estime néanmoins que cette position est un peu exagérée. Tout d’abord, je ne pense pas que les kémalistes soient des êtres cruels se plaisant à répandre le sang des Turcs dans les rues. Ce sont plutôt des patriotes. Le problème, c’est que leur patriotisme favorise l’autoritarisme plutôt que la démocratie et la liberté.

L’autre reproche que je ferais aux théories du complot “de gauche”, c’est qu’elles tendent à laver la société de toute responsabilité et ignorent les véritables problèmes. Même si certains épisodes de violence dans l’histoire turque – comme les affrontements entre alevis et sunnites dans les années 1970 – étaient effectivement liés à des “provocations” de l’Etat, ils n’auraient jamais été possibles sans la profonde intolérance de notre société. Il nous faut à présent reconnaître que cette intolérance est la source de toutes les tensions sociales dans notre pays. Si nous parvenons à nous en guérir, aucun “complot contre ­la Turquie” – si tant est qu’il en existe un – ne pourra nous arrêter.


Source : Courrier International, Rubrique À la Une > Moyen-Orient - Article turc : Hürriyet, Mustafa Akyol, 22.04.2010 (URL : http://www.courrierinternational.com/article/2010/04/22/pourquoi-notre-societe-est-frappee-de-paranoia)


Deux voies possibles à l'issue des élections britanniques


Un héros shakespearien. Tel aura été Gordon Brown, jusqu'à son dernier discours de Premier ministre. C'est ainsi que Jonathan Friedland, l'éditorialiste du Guardian, résume le parcours gouvernemental de l'ombrageux Écossais — tour à tour Othello, prisonnier de sa rivalité obsessionnelle avec Tony Blair; Hamlet, perdu par ses atermoiements alors qu'il pouvait, en 2007, prendre le risque d'une élection qui lui aurait peut-être donné la légitimité démocratique dont il manquait tout en offrant au Labour l'exploit d'un quatrième mandat consécutif; Macbeth, enfin, voyant depuis le 10 Downing Street s'avancer la forêt de Birnam — en l'occurrence les équipes de négociateurs conservateurs et libéraux-démocrates, sur le point de parvenir à un accord qui leur permettrait d'en découdre avec le New Labour.

La messe n'est pas encore dite, pourtant. En proposant sa démission, décoche une dernière flèche qui pourrait inciter Nick Clegg, le leader des libéraux-démocrates, à y regarder à deux fois. Celui-ci joue en effet une partie de poker complexe avec les deux grands partis britanniques. L'enjeu? Rien de moins qu'une réforme électorale qui pourrait bouleverser le paysage politique. La fin du bipartisme au Royaume-Uni est régulièrement annoncée depuis 30 ans. C'est pourtant toujours la logique implacable du scrutin majoritaire à un tour qui s'impose.


* Logique arithmétique contre logique programmatique

Après quelques semaines de «Cleggmania» — pour laquelle le leader «Lib Dem» peut d'ailleurs remercier la BBC, qui lui a accordé de figurer dans les débats télévisés à égalité avec les deux grands candidats — les anciens équilibres se sont finalement rétablis. Clegg pourrait très bien choisir de laisser un gouvernement minoritaire conservateur s'installer au 10 Downing Street. Mais il sait sans doute qu'il y a là pour le vieux parti de Lloyd George, laminé par près d'un siècle de démocratie de masse et de vote «de classe», une chance historique de redistribuer les cartes.

Si Clegg se laisse tenter — comme il semble l'être — par l'aventure gouvernementale, deux voies sont possibles. La plus logique, arithmétiquement du moins, serait une coalition entre libéraux et Tories, qui donnerait au nouveau gouvernement une solide majorité aux Communes et rassurerait les marchés financiers en ces temps de turbulences.

En apparence contre-nature, puisque les «Lib Dems» ont mené une campagne plutôt de centre-gauche, centrée, tout comme celle des travaillistes, sur le slogan d'une Grande-Bretagne «plus juste», cette alliance a des chances très sérieuses de se concrétiser. Le compromis se fonderait sur deux piliers: d'abord, la gestion de la sortie de crise et la rigueur — mais tempérées, pour plaire aux «Lib Dems», par des choix plus «équitables» en matière fiscale et budgétaire que ce que prévoit le programme conservateur (qui envisage par exemple de baisser l'impôt sur les successions tout en pratiquant des «coupes» dans les services publics); ensuite et surtout, l'organisation d'un référendum sur l'introduction d'une dose de proportionnelle dans les scrutins législatifs (à laquelle les Tories sont opposés mais que Cameron est prêt à soumettre au verdict populaire), avant de nouvelles élections dans deux ans.


* Un attelage "pluriel" instable

L'autre option, beaucoup plus incertaine et périlleuse, vient pourtant de gagner en crédibilité depuis le courageux désistement de Gordon Brown. Il s'agirait, selon les termes somme toute justifiés du Premier ministre sortant, de rassembler la «majorité progressiste» qui existe bel et bien en Grande-Bretagne. Les «Lib Dems», mais aussi les sociaux-démocrates nord-irlandais et les nationalistes écossais et gallois pourraient former un attelage «pluriel», plus instable — et même, sans doute, soumis à des négociations incessantes — mais aussi idéologiquement plus cohérent, pour traverser la crise en s'efforçant de préserver les valeurs de solidarité et de justice sociale.

Les «Lib Dems» pourraient alors obtenir la réforme électorale souhaitée sans même passer par un référendum, ainsi que l'application de certains points clés de leur programme — par exemple des baisses d'impôt pour les bas revenus, des mesures de discrimination positive dans l'éducation, la «débureaucratisation» des services publics, etc.

Une telle coalition pourrait abandonner les mesures travaillistes critiquées comme attentatoires aux libertés individuelles (comme la mise en place de cartes d'identité ou certains excès de la législation antiterroriste) et s'attaquer au chantier de la régulation financière en menant — enfin — la bataille contre les intérêts de la City, que les «Lib Dems» sont plus disposés à mener que les grands partis de gouvernement.


* Logique de coalition

A terme, l'aboutissement des négociations dans un sens ou dans l'autre pourrait, avec la réforme électorale, redessiner le paysage politique du Royaume-Uni. Si la poussée attendue des «Lib Dems» n'a pas eu lieu le 7 mai, un tiers des électeurs n'ont pas voté pour les deux grands partis et les anciennes logiques de classe n'ont plus court. Alors que les formations régionales galloise et écossaise se sont solidement installées dans le paysage politique, les dernières années ont été marquées par les progrès de petites formations, en particulier le parti anti-européen UKIP et l'extrême droite du BNP, aux élections locales et européennes.

Le système de «vote alternatif» (avec classement des candidats par préférence) aujourd'hui envisagé assurerait une représentation parlementaire plus fidèle du spectre des opinions mais ne favoriserait pas nécessairement les petites formations. Sur le papier, la construction d'une majorité à Westminster deviendrait presque inévitablement un jeu à trois. Le Labour et les Tories seraient contraints de sortir du confort dans lequel ils s'étaient installés depuis les années 1920, le mode de scrutin du «premier arrivé» leur garantissant toujours un nombre de sièges assuré par le seul jeu de la sociologie des circonscriptions. Ils devraient désormais se plier à des logiques de coalition étrangères à leur culture.


* La mue de David Cameron

Mais les conséquences d'une telle réforme pourraient être beaucoup plus imprévisibles. En effet, le parti libéral sortirait de la position confortable de l'éternel opposant, rassemblant les déçus de tous bords, qui lui a somme toute très bien réussi au cours de la dernière décennie — avec l'apparition de bastions locaux enviables, comme la Mairie de Liverpool — pour devoir enfin assumer des choix politiques.

L'unité entre son aile droite, sceptique vis-à-vis de l'Etat et attachée à la liberté du marché — dont Nick Clegg lui-même est issu — et son aile gauche social-démocrate, qui envisageait il n'y a pas si longtemps, avec son ex-leader Paddy Ashdown, la fusion avec le Labour, y résisterait-elle? Rien n'est moins sûr. Le choix du pouvoir est aussi, pour Clegg, un saut dans l'inconnu. Avec une dose de proportionnelle, on peut d'ailleurs imaginer à terme d'autres recompositions — le mode de scrutin actuel ayant favorisé, outre l'émergence de cet ovni politique qu'est le parti «Lib Dem», l'unité de la gauche au sein du Labour (que l'on a constaté dernièrement avec l'appui maintenu des grands syndicats au Labour, malgré le peu d'attention que leur a accordé Tony Blair) comme l'unité de la droite au sein du parti Tory, de ses franges les plus extrêmes à sa composante centriste.

Le jeu est rendu d'autant plus complexe que c'est peut-être, à court terme, le futur partenaire de coalition des libéraux qui tirera son épingle du jeu. David Cameron pourrait parachever l'aggiornamento de son parti et solder définitivement les comptes du thatchérisme, en faisant accepter à son aile droite une attitude plus clémente vis-à-vis des plus fragiles, une certaine bienveillance envers les services publics d'éducation et de santé (toujours honnis par une partie des Tories, restés fidèles à la Dame de Fer) et la mise en sourdine de l'euroscepticisme viscéral du parti, auquel Cameron a jusqu'ici choisi de donner des gages mais que les «Lib Dems» ne sauraient accepter sans se renier.


* Nouvelle jeunesse travailliste

Ce scénario «à l'allemande» pourrait se conclure dans deux ans par une majorité absolue pour les conservateurs, une fois levées les dernières préventions des électeurs centristes contre le vieux parti Tory, qui se charge régulièrement de rappeler ses penchants oligarchiques (incarnés par son mécène, l'expatrié fiscal Lord Ashcroft), nationalistes (sur la question de l'immigration notamment) et sa doctrine sociale toute entière pétrie de morale victorienne à ceux qui avaient cru trop vite à la mue initiée par Cameron.

A voir l'empressement de ce dernier à discuter avec les «Lib Dems» et l'attitude très conciliante des Tories ces derniers jours, alors même qu'ils sont les seuls en Grande-Bretagne à pouvoir prétendre gouverner seuls, forts de leur majorité relative à la Chambre des Communes, on se demande si ce n'est pas cette tentation du recentrage ne guide pas la stratégie actuelle du leader conservateur. Elle lui permettrait d'en découdre, au nom de l'esprit de compromis et du réalisme politique, avec sa propre aile dure, et David Cameron mériterait alors réellement son surnom de «Tony Blair de droite».

Quant aux travaillistes, qui avec 29% des voix, ont évité de justesse la réédition de leur débâcle historique de 1983, ils pourraient trouver une nouvelle jeunesse et renouveler leur programme au contact des «Lib Dems», qui ont défendu pendant la campagne - et ces dernières années, sur l'Irak notamment - des idées qui parlent au «peuple de gauche» comme à la classe moyenne déçue du blairisme. Le Labour se doterait avant l'automne d'un nouveau leader, sans doute un quadragénaire comme David Miliband, l'héritier de Tony Blair, ou Ed Balls, le plus fidèle lieutenant de Gordon Brown.

Epargné par l'usure et le discrédit moral qui frappent la génération précédente des barons travaillistes, dont l'ascension politique remonte aux années 1980, le nouveau chef du Labour jouirait de toute l'autorité assurée par une propulsion précoce au 10 Downing Street et serait sans doute en mesure de renouveler à la fois le programme et l'image du parti.

Par une curieuse ironie de l'histoire, les travaillistes seraient alors en meilleure position pour affronter le suffrage universel qu'en 2010 — malgré le désamour dont ils souffrent aujourd'hui, leur positionnement idéologique et leur bilan depuis 1997 ans ont tout de même, et la campagne électorale l'a encore montré, profondément influencé les termes du débat politique en Grande-Bretagne — les «nouveaux Tories» comme les «Lib Dems» apparaissant eux aussi comme des héritiers de la «troisième voie». Mais aujourd'hui, c'est plutôt l'attelage Cameron-Clegg, c'est-à-dire le rassemblement de ceux qui, depuis 13 ans, veulent mettre fin au règne — autrefois sans partage — du New Labour, qui semble tenir la corde.


Source : Slate.fr, Robert Landy, 11.05.2010 (URL : http://www.slate.fr/story/21197/royaume-uni-troisieme-voie-brown-cameron-clegg)