dimanche 28 février 2010

Le sauna des macaques

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Source :
LeFigaro.fr, rubrique 24 heures photo, 26.02.2010 (à retrouver sur http://www.lefigaro.fr/photos/2010/02/22/01013-20100222DIMWWW00726-24-heures-photo.php)

mercredi 24 février 2010

Being a grad student... / Être thésard...






Source : Jorge Cham - at http://www.phdcomics.com/comics.php

En Turquie, "les équilibres politiques sont en train de changer"

La journée d’hier a vu un nouveau développement spectaculaire dans l’affaire Balyoz, révélée, le 19 janvier dernier, par le journal «Taraf» (cf. notre édition du 21 janvier 2010). Près d’une cinquantaine d’officiers, dont 11 généraux à la retraite, ont été placés en garde-à-vue, au cours d’une opération de très grande ampleur, menée à Ankara, Istanbul, Bursa et Izmir. Parmi les personnes arrêtées, on relève les noms de généraux qui occupaient des fonctions de premier plan en 2003, au moment où le plan Balyoz a été conçu, notamment : le général Ibrahim Fırtına, ancien chef de l’armée de l’air, l’amiral Özden Örnek, ancien chef de la marine, le général Suha Tanyeli, ancien chef du Centre d’études et de recherches stratégiques de l’état-major, le général Ergin Saygun, ancien commandant de la 1ère Armée (au sein de laquelle le plan Balyoz a été préparé) ou le général Engin Alan, ancien chef des forces spéciales, connu pour avoir dirigé, en 1999, l’opération qui devait aboutir à l’arrestation du leader kurde du PKK, Abdullah Öcalan. Toutes ces personnes sont accusées d’avoir tenté de renverser le gouvernement.

Cette opération fait suite à une authentification des documents qui ont été à la base de la révélation du plan Balyoz (CD, documents signés… ). On s’attendait, certes, à des arrestations dans cette affaire, mais on ne pensait pas que celles-ci viendraient aussi vite et qu’elles frapperaient aussi haut. La rapidité de la démarche montrerait donc la détermination des procureurs à aller jusqu’au bout, en intégrant de surcroît l’affaire Balyoz dans l’enquête Ergenekon. Le chef d’état-major, İlker Başbuğ semble avoir été le premier surpris par la soudaineté de ce coup de filet, puisqu’il a dû annuler, à la dernière minute, une visite de deux jours en Égypte… Se souvenant que l’affaire Balyoz avait abouti à la révélation de l’identité de 137 journalistes que l’armée aurait considérés comme de possibles collaborateurs si les complots préparés avaient été mis en œuvre (cf. notre édition du 23 janvier 2010), certains prédisent maintenant une vague d’arrestations dans les milieux médiatiques…

Les arrestations d’hier révèlent aussi les dissensions existant au sein de l’armée, car elles ont frappé en priorité un quarteron de militaires qui se trouvaient dans l’entourage de l’ancien chef d’état-major, Hilmi Özkök, entre 2002 et 2006 (sur la photo qui date de cette époque, Hilmi Özkök, à l’extrême gauche, siège aux côtés des chefs des armées de terre -Aytaş Yalman-, mer -Özden Örnek-, air -Ibrahim Fırtına- et du général commandant la Gendarmerie -Şener Eruygur-, à l’extrême droite) . À plusieurs reprises, ces généraux auraient conçu des plans pour déstabiliser le gouvernement de l’AKP, nouvellement élu, alors même que le général Özkök se serait efforcé de faire avorter de telles tentatives. Pour l’heure, en tout cas, İlker Başbuğ, le chef d’état major en exercice, se retrouve dans une position particulièrement inconfortable, pris entre la nécessité de composer avec le gouvernement ou la justice, et celle de ne pas mécontenter ses propres troupes, dont une bonne partie est de plus en plus exaspérée par les enquêtes judiciaires en cours. Toutefois, on doit observer que si l’armée reste un monde à part en Turquie, les récentes affaires, qui l’ont secouée, incitent à penser qu’elle est devenue une structure de plus en plus perméable. Car, ce sont bien des fuites militaires internes qui ont dévoilé les différents scandales qui minent aujourd’hui le prestige de l’institution.

On ne peut manquer de remarquer également que la vague d’arrestations d’hier survient au moment même où la justice affiche ses divisions, notamment dans le contexte de l’affaire d’Erzincan (cf. notre édition du 17 février 2010) qui a défrayé la chronique la semaine dernière. Affaiblissement de l’armée, affrontements au sein de la justice, tout confirme donc que les équilibres politiques sont en train de changer : l’institution militaire, d’acteur dominant est en passe de devenir un acteur dominé. Pour mesurer, à cet égard, l’évolution qui est en cours, observons simplement qu’en avril 2007 la publication des carnets du général Örnek qui relataient deux tentatives de putsch ayant pour nom de code «Ayışığı» (Lumière de lune) et «Sarıkız» (Fille blonde) avait entrainé la fermeture à l’hebdomadaire «Nokta», alors qu’aujourd’hui ces mêmes complots conduisent le même amiral devant la justice. Indubitablement la démilitarisation est en marche, reste à savoir quelle est la nature du nouveau système qui s’installe progressivement…

Source : OVIPOT, Jean Marcou, 23.02.2010 (à retrouver sur http://ovipot.blogspot.com/2010/02/turquie-vague-spectaculaire.html)

lundi 22 février 2010

L'Afghanistan : des boys débraillés perdus dans la montagne

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Source : LeFigaro.fr, rubrique 24 heures photo, 22.02.2010 (à retrouver sur http://www.lefigaro.fr/photos/2010/02/15/01013-20100215DIMWWW00707-24-heures-photo.php)

jeudi 18 février 2010

Grands-mères et "jeunes malfrats" de Nairobi communiquent via les arts martiaux

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Source : LeFigaro.fr, rubrique 24 heures photo, 18.02.2010 (à retrouver sur http://www.lefigaro.fr/photos/2010/02/15/01013-20100215DIMWWW00707-24-heures-photo.php)

mercredi 17 février 2010

Comment la France est devenue moche


Echangeurs, lotissements, zones commerciales, alignements de ronds-points… Depuis les années 60, la ville s’est mise à dévorer la campagne. Une fatalité ? Non : le résultat de choix politiques et économiques. Historique illustré de ces métastases pé­riurbaines.



Un gros bourg et des fermes perdues dans le bocage, des murs de granit, des toits d'ardoise, des tas de foin, des vaches... Et pour rejoindre Brest, à quelques kilomètres au sud, une bonne route départementale goudronnée. C'était ça, Gouesnou, pendant des décennies, un paysage quasi immuable. Jean-Marc voit le jour dans la ferme de ses parents en 1963. Il a 5 ans lorsqu'un gars de Brest, Jean Cam, a l'idée bizarre d'installer en plein champ un drôle de magasin en parpaing et en tôle qu'il appelle Rallye. Quatre ans plus tard, les élus créent un peu plus au nord, à Kergaradec, un proto­­type, une ZAC, « zone d'aménagement concerté » : les hangars y poussent un par un. Un hypermarché Leclerc s'installe au bout de la nouvelle voie express qui se cons­truit par tronçons entre Brest et Rennes. Puis viennent La Hutte, Conforama et les meubles Jean Richou... 300 hectares de terre fertile disparaissent sous le bitume des parkings et des rocades. Quelques maisons se retrouvent enclavées çà et là. La départementale devient une belle quatre-voies sur laquelle filent à vive allure R16, 504 et Ami 8. Un quartier chic voit le jour, toujours en pleine nature, qui porte un nom de rêve : la Vallée verte...

C'est à ce moment-là que ça s'est compliqué pour les parents de Jean-Marc. Avec l'élargissement de la départementale, ils sont expropriés d'un bon bout de terrain et ne peuvent plus emmener leurs vaches de l'autre côté de la quatre-voies. Ils s'adaptent tant bien que mal, confectionnent des produits laitiers pour le centre Leclerc, avant de se reconvertir : la jolie ferme Quentel est au­jourd'hui une des salles de réception les plus courues de Bretagne. Les fermes voisines deviennent gîte rural ou centre équestre. La Vallée verte, elle, se retrouve cernée de rangées de pavillons moins chics : « Nous, on a eu de la chance, grâce à la proximité de l'aéroport, les terres tout autour de la ferme sont restées inconstructibles. » Aujourd'hui, quand il quitte son bout de verdure préservé pour aller à Brest, Jean-Marc contourne juste la zone de Kergaradec, tellement il trouve ça moche : « C'est à qui fera le plus grand panneau, rajoutera le plus de fanions. Comme si tout le monde hurlait en même temps ses messages publicitaires. »

Ça s'est passé près de chez Jean-Marc, à Brest, mais aussi près de chez nous, près de chez vous, à Marseille, Toulouse, Lyon, Metz ou Lille, puis aux abords des villes moyennes, et désormais des plus petites. Avec un formidable coup d'accélérateur depuis les années 1982-1983 et les lois de décentralisation Defferre. Partout, la même trilogie – infrastructures routières, zones commerciales, lotissements – concourt à l'étalement urbain le plus spectaculaire d'Europe : tous les dix ans, l'équivalent d'un département français disparaît sous le béton, le bitume, les panneaux, la tôle.

Il n'y a rien à comprendre, a-t-on jugé pendant des années, juste à prendre acte de la modernité à l'œuvre, une sorte de chaos naturel et spontané, prix à payer pour la « croissance » de notre bien-être matériel. Les élites intellectuelles de ce pays oscillent entre répulsion (« c'est moche, les entrées de ville »), fascination (« vive le chaos, ça fait Wim Wenders ! ») et indifférence : elles habitent en centre-ville... Rien à comprendre, vraiment ? En 2003, l'architecte urbaniste David Man­gin prend le temps d'y réfléchir quelques mois et sort un an plus tard son formidable bouquin, La Ville franchisée, qui reste l'analyse la plus pertinente des métastases pé­riurbaines. Il faut en finir, dit Mangin, avec l'idée que ce « chaos sort de terre tout seul ». Il résulte au contraire « de rapports de forces politiques, de visions idéologiques, de cultures techniques ».

Lorsque apparaissent les premiers supermarchés, au début des années 60, la France ne compte que 200 kilomètres d'autoroutes, un morceau de périphérique parisien, aucune autre rocade, pas le moin­dre rond-point... et un architecte-urbaniste visionnaire, Le Corbusier ! Celui-ci a compris très tôt l'hégémonie à venir de la voiture, à laquelle il est favorable. Dès 1933, avec des confrères qu'il a réunis à Athènes, il a imaginé de découper les villes de fa­çon rationnelle, en quatre zones cor­respondant à quatre « fonctions » : la vie, le travail, les loisirs et les infrastructures routières. L'Etat s'empare de l'idée, on entre dans l'ère des « zones », ZUP, ZAC, etc. (1) Et puis il faut « rattraper » l'Allemagne et son insolent réseau d'autoroutes ! Du pain bénit pour notre illustre corps d'ingénieurs des Ponts et Chaussées. La France inscrit dans la loi (loi Pasqua, 1998) que tout citoyen doit se trouver à moins de quarante-cinq minutes d'une entrée ou d'une sortie d'autoroute ! Des itinéraires de contournement des villes sont construits, le territoire se couvre d'échangeurs, de bre­telles et de rocades. Vingt ans plus tard, les enfilades de ronds-points à l'anglaise, trop nombreux et trop grands, parachèvent le travail : ils jouent, constate Mangin, « le rôle de diffuseurs de l'étalement dans le nouveau Meccano urbain qui se met en place ».


L'empire du hangar
Ceux qui ont vite compris le potentiel que leur offrait ce quadrillage de bitume – foncier pas cher et abondant, accessibilité et visibilité formidables –, ce sont les nouveaux opérateurs du commerce. Ils s'appellent Leclerc en Bretagne, Auchan dans le Nord, Casino dans la région stéphanoise. Leur stratégie : se faire connaître sur leur terroir d'origine, saturer un territoire pour étouffer la concurrence, puis s'étendre à d'autres régions. « Localisations et accès sont repérés et négociés en amont, explique Mangin, auprès des propriétaires privés, des élus, des aménageurs de ZAC et des directions départemen­tales de l'Equipement. » Conçus à l'américaine – « no parking, no business » –, les hypermarchés raisonnent en termes de « flux » de voitures et de « zones de chalandise » : ils com­mencent par aspirer les consommateurs des centres-villes en attendant que les lotissements viennent boucher les trous du maillage routier... Aujourd'hui, la France, championne mondiale de la grande distribution – elle exporte son glorieux modèle jusqu'en Chine – compte 1 400 hypermarchés (de plus de 2 500 mètres carrés) et 8 000 supermarchés... Et pour quel bilan ! « En cassant les prix sur quelques rares mais symbo­liques produits, les grandes surfaces se sont enrichies en ruinant les pompes à essence, les commerces de bouche, les drogueries, les quincailleries, des milliers de commerces indépendants spécialisés ou de proximité, des milliers d'artisans, et même des milliers de producteurs et fournisseurs. Les résultats sont objectivement inacceptables. Avec, en plus, des prix supérieurs à ceux de nos voisins eu­ropéens ! » Ce n'est pas un dangereux contestataire qui dresse ce constat, mais Jean-Paul Charié, député UMP du Loiret (hélas décédé en novembre dernier), dans un rapport sur l'urbanisme commercial rédigé en mars 2009. La logique des grandes surfaces a vidé les centres-villes de leurs commerces, a favorisé la malbouffe, contraint de nombreuses entrepri­ses à délocaliser. Elle a fabriqué des emplois précaires et des chômeurs. C'est une spécificité très française – 70 % du chiffre d'affaires commercial est réalisé en périphérie des villes, contre 30 % en Allemagne.

L'homme le plus riche de France ? Gérard Mulliez, fondateur du groupe familial Auchan. Une nébuleuse d'entreprises dont le poids estimé en fait le premier annonceur publicitaire et le troisième employeur du pays. Difficile de résister à son influence, ou à celle des Leclerc, Carrefour, Intermarché, aménageurs en chef de l'Hexagone. Jusqu'à la loi de modernisation de l'économie votée en 2008, l'implantation des grandes surfaces n'était d'ailleurs pas soumise au droit de l'urbanisme, mais au seul droit commercial. Aucune règle n'était édictée quant à la forme ou à l'aspect des bâtiments, seule la surface comptait, donnant lieu à des marchandages peu re­luisants avec les élus : laisse-moi construire mon supermarché, je financerai ton club sportif... « L'aménagement du territoire soumis aux puissances financières débouche toujours sur des effets pervers, poursuit le rapport Charié. Comment un élu peut-il facilement refuser un projet parasite si c'est par ailleurs une source de financement pour le budget communal ? » A fortiori s'il est maire d'une petite ville, désormais en première ligne. Car l'hypermarché de première génération s'est « fractionné ». Decathlon, Norauto, Leroy-Merlin, Kiabi, Cultura... c'est aussi le groupe Auchan ! Autant de MSS (moyennes surfaces spécialisées) qui investissent de nouvelles petites ZAC, où McDonald's côtoie désormais Biocoop... Pas un bourg qui n'accueille le visiteur par un bazar bariolé : « C'est partout le même alignement de cubes et de parallélé­pipèdes en tôle ondulée, le même pullulement de pancartes et d'enseignes », se désole Jean-Pierre Sueur, sénateur socialiste du même Loiret, qui a déposé une proposition de loi à l'automne dernier. Son objectif : que « tous les documents d'urbanisme assurent la qualité urbaine, architecturale et paysagère des entrées de ville ». Plein de bonnes idées, le texte a été adopté il y a deux mois par la majorité sénatoriale UMP, qui l'a vidé de sa substance – plus aucune mesure contraignante.


Le rêve pavillonnaire
Tandis que nos compatriotes s'accoutumaient à naviguer le week-end d'un parking à l'autre, les quartiers pavillonnaires ont fleuri. Il faut dire qu'ils n'ont pas vraiment eu d'autre choix, les Français, face à une crise du logement qui sévit depuis la Seconde Guerre mondiale. Alors que la population du pays était stable depuis le milieu du XIXe siècle – 40 millions d'habitants –, le baby-boom, l'accélération de l'exode rural, le recours à l'immigration puis l'arrivée des rapatriés d'Algérie changent la donne : il faut construire, vite, pour éradiquer les taudis urbains. Ce sera, pendant vingt ans, la politique des grands ensembles, à laquelle la circulaire Guichard de 1973 met brutalement fin. Place au rêve pavillonnaire ! Certes, dans les années 20, les débuts de l'exode rural avaient donné naissance aux premiers lotissements – les fameux pavillons Loucheur des faubourgs parisiens. Mais cette fois, on change d'échelle. Rêve de tous les Français, le pavillon ? C'est ce que serinent, depuis Valéry Giscard d'Estaing, tous les gouvernements, qui appuient leur politique sur le rejet des grands ensembles et sur « notre mémoire rurale » – souvenons-nous de l'affiche bucolique de François Mitterrand en 1981, la force tranquille du clocher.

« Pourtant, le pavillon, c'est avant tout un choix contraint », constate David Mangin. Les centres-villes étant devenus inabordables, les familles pas très riches – elles sont la grande majorité – sont condamnées à l'exil périurbain. Et elles le resteront tant que manquera une bonne offre résidentielle collective. Alors, comme l'a observé l'urbaniste Bruno Fortier, « on tartine du lotissement au kilomètre », c'est facile et pas cher. Conçue par un promoteur-constructeur, la maison est un « produit », à commander sur catalogue. Où que l'on aille, le marché ne sait fournir que des lotissements avec des rues « en raquette », des parcelles de même taille, des maisons posées sur leur sous-sol de béton ; tant pis pour le raccord visuel avec la ville ancienne. Les plantes des jardins sont achetées en promotion à la jardinerie du coin ; tant pis pour la flore locale et le paysage. La puissance publique y met du sien : incapable d'assurer la con­tinuité urbaine, elle croit compenser en imposant les règles draconiennes des Plans locaux d'urbanisme (PLU). Les Directions départementales de l'Equipement (DDE) imposent leurs normes, et les architectes des Bâtiments de France (ABF) homogénéisent à coups de pastiches régionalistes. Allez essayer de construire une maison en bois ou un peu personnalisée dans un lotissement ! « Les gens qui essaient se font flinguer, dit David Mangin. Ils doivent s'expliquer avec le maire, déposer trois permis, il y a des recours... Ils sont découragés. »


Les dégâts de la décentralisation
« Pendant très longtemps l'urbanisme a été une affaire d'Etat en France », rappelle Thierry Paquot, philosophe de l'urbain et éditeur de la revue Urbanisme. Mais, à partir des années 80, les gouvernements, de droite ou de gauche, ont délégué à d'autres la fabrication de la ville. L'Etat s'est mis au service du privé : « Le meilleur exemple, c'est Laurent Fabius, qui "offre" à Eurodisney une ligne de RER que les habitants de Marne-la-Vallée réclamaient sans succès depuis des années ! » En 1983, les lois de décentralisation donnent tout pouvoir aux maires en matière de permis de construire « et la catastrophe commence, estime Thierry Paquot. La plupart des élus sont totalement incompétents en matière d'urbanisme, et de plus ont un goût exécrable ». Ils se reposent sur les promoteurs pour produire du clés en main. « L'habitat se banalise et conduit à cette France moche qui nie totalement l'esprit des lieux. » Frédéric Bonnet, architecte-conseil de l'Etat en Haute-Vienne, confirme : « Dans un rayon de 40 kilomètres autour de Limoges, tous les villages ont construit dix, quinze, vingt maisons pour des habitants qui ne se rendent jamais dans le centre-bourg, puisqu'ils travaillent tous... à Limoges. » Le mécanisme est simple : pour lutter contre l'exode rural, pour éviter la fermeture de l'école, la commune fait construire un lotissement, qui amène de nouveaux arrivants. Mais les enfants scolarisés grandissent et s'en vont. Il faut créer un second lotissement pour attirer de nouvelles familles. C'est la fuite en avant. Le mitage du paysage est renforcé par la spéculation foncière. Difficile pour le maire d'une petite commune de refuser à des voisins agri­culteurs la constructibilité sachant que le prix du terrain à lotir est alors multiplié par dix ou vingt. Et voilà comment la France consomme pour son « urbanisation » deux fois plus de terres agricoles que l'Allemagne : « Il faut en finir avec la politique urbaine coordonnée au niveau de la commune, ce n'est pas la bonne échelle », conclut Frédéric Bonnet.


Un développement pas durable
L'urbanisme raconte ce que nous sommes. Le Moyen Age a eu ses villes fortifiées et ses cathédrales, le XIXe siècle ses boulevards et ses lycées. Nous avons nos hangars commerciaux et nos lotissements. Les pare-brise de nos voitures sont des écrans de télévision, et nos villes ressemblent à une soirée sur TF1 : un long tunnel de publicité (la zone commerciale et ses pancartes) suivi d'une émission guimauve (le centre muséifié). Cette périurbanisation vorace s'opère en silence – les revues d'architecture l'ignorent. Elle a été peu visitée par le roman, le documentaire ou la fiction. Aux Etats-Unis, des films comme American Beauty, la série Desperate Housewives ont raconté l'ennui qui suinte des quartiers pavillonnaires. En France, il manque un Balzac contemporain pour décrire la comédie urbaine. « La ville n'est pas objet de débat, analyse Annie Fourcaut, historienne de la vie citadine. On débat de l'école, pas de la ville, sans voir que la secon­de conditionne la première. Peut-être parce que les Français ne sont pas un peuple urbain. Il a fallu attendre 1931 pour que la population des villes égale celle des campagnes, des décennies après les Anglais et les Allemands. » Alors, il n'y aurait pas d'autre modèle de vie que celui qui consiste à prendre sa voiture tous les matins pour faire des kilomètres jusqu'à son travail, par des routes saturées et des ronds-points engorgés, pour revenir le soir dans sa maison après être allé faire le plein chez Carrefour ? « L'inflexion, sur le plan des idées, a commencé, se réjouit Bruno Fortier. Depuis trois ou quatre ans, tout le monde dit : on arrête les conneries, on se calme, on redensi­fie, on réurbanise intelligemment, on cesse de dévorer les terrains agri­coles... Mais fabriquer un urbanisme plus évolué, avec un rapport à la nature plus riche, comme ce que l'on voit aux Pays-Bas, au Danemark ou en Allemagne, ça va coûter un peu plus cher ! »


L'impératif écologique supplantera-t-il l'impéritie politique ? Durant l'été 2008, quand le prix de l'essence s'est envolé, le chiffre d'affaires de certaines zones commerciales s'est effondré. Affolés, les habitants des lotissements ont réclamé des lignes de bus à leur maire. « Depuis la fin des grands ensembles, la France n'avait plus de projet urbain collectif, rappelle Annie Fourcaut. Le développement durable pourrait en cons­tituer un. » Alors rêvons un instant à ce que pourrait être une « ville passante », comme l'appelle David Mangin, une ville désintoxiquée de la voiture, désenclavée, oublieuse des artères qui segmentent et des zones privatisées et sécurisées, une ville de faubourgs dont les fonctions – habitat, travail, commerce, loisirs – seraient à nouveau mélangées, une ville hybride, métissée, où chacun mettrait un peu du sien... Trop tard ?


Le pavillon, un choix ?
Sur la carte du Comité du tourisme de la Haute-Vienne, les villages dessinés ressemblent tous à celui de l'affiche du candidat Mitterrand en 1981. Et en vrai ? Au sud-ouest de Limoges, au-delà de la zone commerciale, Boisseuil s'est couvert de lotissements. L'un d'eux se termine. Des dizaines de pavillons bas, parfois pas loin du cabanon amélioré. Il est loin « l'éco-quartier », dernière marotte de nos élus. C'est la France qui se lève tôt, qui fait des heures sup, mais n'a pas de quoi s'offrir plus. A 5 kilomètres de là, à Pierre-Buffière, vieux bourg de 1 200 habitants, on tombe sur 21 parcelles, au bord des champs. Anne, « nounou », et son mari, fonctionnaire, sont venus « pour la qualité de vie ». De toute façon, « Limoges, c'était bien trop cher ». Bien sûr, « 80 % des gens qui habitent ici travaillent à Limoges. Il faut tout faire en voiture ». Même son de cloche à Eybouleuf, 400 habitants à peine, à 16 kilomètres au nord. Le manque d'argent, toujours... « Avec la crise, les gens sont mutés et obligés de revendre », dit Louis, ancien routier. « Construire, c'est meilleur marché que de louer », explique quand même Fernand, retraité des abattoirs, qui a eu sa maison dès 1982. Depuis, combien ont poussé autour ? « Une, deux... neuf ! » Et d'autres plus loin. Tous les commerces ont coulé. « Les campagnes, maintenant, c'est des dortoirs. Mais les gens y sont plus heureux qu'en ville. » X.J.

(1) La ZUP (zone à urbaniser en priorité), procédure d'urbanisme créée en 1959 , a permis la construction des grands ensembles. La ZAC (zone d'aménagement concerté) s'est substituée à la ZUP en 1967, pour faciliter la concertation entre collectivités publiques et promoteurs privés.

(2) Reprenant les attributions des Ponts et Chaussées (réseaux routiers, règlements d'urbanisme, etc.), les Directions départementales de l'Equipement (DDE) ont été créées en 1967. Depuis les lois de décentralisation, elles relèvent des conseils généraux. Le 1er janvier, elles ont fusionné avec les Directions départementales de l'Agriculture et de la Forêt, devenant DDT (Directions départementale des territoires). Elles sont donc désormais censées se préoccuper de développement durable...


Source : Telerama.fr, 16.02.2010, Xavier de Jarcy et Vincent Remy - Photos Patrick Messina - Télérama n° 3135(à retrouver sur http://www.telerama.fr/monde/comment-la-france-est-devenue-moche,52457.php)


A lire : La Ville franchisée, Formes et structures de la ville contemporaine, de David Mangin, 2004, éd. de la Villette, 480 p., 35 €


mardi 16 février 2010

Megalopolis, un nouveau magazine conçu par de jeunes journalistes du "très grand Paris" - Premier numéro dans les kiosques depuis hier


Après plusieurs mois de travail, le premier numéro de Megalopolis est disponible en kiosque.

Pour un prix modique, 3€ (soit la moitié d’un paquet de cigarettes ou deux cafés au comptoir), vous saurez enfin pourquoi ça pue dans le métro, vous flânerez au milieu des péniches et des conteneurs du port de Gennevilliers et vous apprendrez à connaître les vieilles dames qui font le trottoir à la Madeleine, entre Fauchon et Hédiard. Bref, vous vivrez l’authentique grand Paris, celui qui appartient à tous les habitants de la métropole.


Megalopolis est un magazine bimestriel de 48 pages distribué en Île-de-France, fondé par de jeunes journalistes épris de presse écrite, d’Internet, de reportages et d’enquêtes de qualité.

A travers ce site et notre magazine papier, nous souhaitons:

Accompagner l’émergence du Grand Paris. Le chemin vers la création d’un véritable Grand Paris
 est encore long. La première ambition de Megalopolis est d’accompagner ce mouvement, tout en se 
détachant des questions purement institutionnelles. Sport, culture, enquêtes de société ou journalisme 
politique, Megalopolis repose les questions à l’échelle de la métropole.

Créer une communauté métropolitaine. Il y a dans l’espace du Grand Paris un immense déficit
 de connaissance. Nous vivons à quelques kilomètres les uns des autres, et pourtant, nous restons
cloisonnés, incapables d’aller voir ce qui se passe tout près. Megalopolis veut montrer les lieux, les
personnages et les événements de ce Grand Paris auquel il est urgent de donner chair.

Etre le magazine de la «génération Grand Paris». Ils sont nombreux ceux qui, comme nous, trouvent 
archaïque le fonctionnement de la capitale. C’est à cette génération en
 perpétuel mouvement, cette génération qui se déplace dans la métropole et ringardise au quotidien 
l’opposition Paris/banlieues, que nous nous adressons et à qui nous donnons la parole.


Le sommaire du numéro 1 :

* 360: Ce périph’ là, c’est fini !

* Enquête: Régionales 2010: Tout ça pour ça !

* Bienvenue chez… Jean-François Copé, le petit père de Meaux.

* La bonne question: Pourquoi ça pue dans le métro ?

* L’envers du quartier: La Madeleine, Ta grand-mère la p*** !

* Tête à Tête: Java, le groupe.

* L’anticipation: Paris 2050. Yes We Canicule

* Hot Spot: Port de Gennevilliers, Enlarge your péniche.

* Point-de-chute: Canal 93, Scène-Saint-Denis style.

* La Gueule: Mano à Mano. Ecrivain.

*La Balade: Martine et les passagers de la nuit

*C’était mieux avant (ou pas): Plat du Pied Identité. Retour sur les clubs de foot communautaire en IDF.

* Vue d’ailleurs: Le Sénégal, Wade coule son bronze.


Source : http://www.megalopolismag.com/

L'obsession de "l'ennemi intérieur" conduit des enfants kurdes à être jugés comme des terroristes en Turquie


Poursuivis par la justice turque pour avoir manifesté leur soutien au PKK, traités comme des adultes, ils peuvent être condamnés à vingt ans de prison.

La photo de Berivan qui est accrochée au mur du salon familial, au-dessus d’un bouquet en plastique, a fait la une de tous les journaux. Avec son sourire timide, cette adolescente est devenue le symbole de la montée de la répression judiciaire turque contre les enfants kurdes qui participent à des manifestations de soutien à la guérilla du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan).

La jeune fille de 15 ans a été arrêtée le 9 octobre à Batman, dans l’est de la Turquie, au cours d’un rassemblement interdit. Fin janvier, une cour criminelle spéciale l’a reconnue coupable de « crimes commis au nom d’une organisation illégale », « manifestations hors la loi » et « actes de propagande pour une organisation illégale ». Verdict : sept ans et neuf mois de prison. « Ma fille est traitée comme la pire des criminelles, même un meurtrier peut s’en sortir mieux, se révolte Meryem, sa mère. Ils l’ont ramassée dans la rue et en ont fait une terroriste. »

À son procès, Berivan, ouvrière dans une usine d’emballage de vêtements, a déclaré ne pas comprendre la signification du mot « propagande ». Incarcérée depuis quatre mois, elle envoie à sa « maman chérie » de longues lettres sur du papier décoré de fleurs roses. « Je voudrais n’avoir jamais été séparée de toi, c’est si dur d’être ici, sors-moi de là », supplie-t-elle dans une écriture appliquée.


"Une vaste comédie"

Comme Berivan, 83 autres mineurs se trouvent dans la prison de Diyarbakir, la grande ville kurde de Turquie, déjà condamnés ou en attente de jugement. Ces deux dernières années en Turquie, selon un décompte de l’Association des droits de l’homme (IHD), 3 000 enfants sont poursuivis pour avoir pris part à des manifestations, essentiellement dans les régions de l’est du pays. Les jets de pierres et de cocktails Molotov contre les forces de l’ordre ou une simple présence à un meeting tombent sous le coup de la loi antiterroriste et sont punis de très lourdes peines de prison.

Depuis 2006, à la suite d’un durcissement de la législation, les plus de 15 ans sont jugés comme des adultes, en violation de la convention onusienne relative aux droits de l’enfant, signée par la Turquie. « Certains se voient condamnés à vingt ans de prison, sans réduction de peine, s’insurge Canan Atabay, une avocate de Diyarbakir. Prononcer de telles sentences pour des jets de pierres ressemble à une vaste comédie alors que l’avenir de ces enfants est en jeu. C’est l’arsenal législatif qu’il faut revoir de fond en comble. » L’un de ses vingt-deux clients mineurs, âgé de 16 ans, est accusé d’avoir lancé des cocktails Molotov. Il encourt jusqu’à 44 ans de prison.


"Ils sont tous en prison"

Le Parlement est censé s’attaquer à la situation des « enfants terroristes » depuis novembre. Mais le projet de loi n’a toujours pas été inscrit à l’ordre du jour. Victime de l’enlisement de cette « ouverture démocratique » que le gouvernement islamo-conservateur avait promis afin de répondre aux revendications des 12 millions de Kurdes de Turquie. Même si les mesures prévues sont votées, « il sera toujours possible de condamner à une peine supérieure à dix ans » et l’option de la prison restera la norme, selon l’Association des droits de l’homme de Diyarbakir. « Ces jeunes en prison sont les enfants des Kurdes qui ont été tués ou torturés par l’État turc, dont les villages ont été rasés, estime Arif Akkaya, porte-parole d’un collectif de familles, en faisant référence au conflit qui a fait plus de 45 000 morts depuis 1984. Une telle expérience ne peut conduire qu’à leur radicalisation. »

Mehmet, 17 ans, fait partie de la génération de l’« Intifada kurde », comme les médias l’ont surnommée. Remis en liberté provisoire en novembre dernier, l’adolescent avait été arrêté en mars 2008 alors qu’il manifestait pour dénoncer les opérations de l’armée turque contre les bases arrière du PKK en Irak. « Je risque vingt-cinq ans pour des cocktails Molotov, mais dans mon dossier, il n’y a qu’une photo de moi les bras croisés », assure-t-il.

D’une voix tranquille, qui n’a pas encore fini sa mue, le jeune garçon raconte qu’il a eu le temps de réfléchir derrière les barreaux : « La seule explication que j’ai trouvée à ce qui m’arrive c’est que je suis kurde. Mon rêve est désormais de rejoindre l’organisation dans la montagne et de me battre pour mon peuple. » Et l’engagement politique ? « Regardez le résultat, ils sont tous en prison », rétorque-t-il. Depuis l’interdiction en décembre par la Cour constitutionnelle du parti pro kurde, qui était accusé de liens avec le PKK, une centaine de ses membres a été arrêtée. Plusieurs dizaines, dont huit maires, sont toujours détenues.

Source : LeFigaro.fr, Laure Marchand, 11.02.2010 (à retrouver sur http://www.lefigaro.fr/international/2010/02/11/01003-20100211ARTFIG00395-ces-enfants-kurdes-juges-comme-des-terroristes-.php)

lundi 15 février 2010

Photomania Magnum


Magnum Photos L'Expo sur
Slate.fr, c'est chaque jour une sélection de photos magnifiques ... pour le plaisir des yeux !

Mes trois albums préférés du mois passé ...


Rebel without a cause
le beau et énigmatique James Dean dans les rues de New-York et ailleurs
http://lexpo.slate.fr/20100208/ETATS-UNIS—A une répétition pour une la television, 1955.
© Dennis Stock / Magnum Photos


Cinémagie

Frissons et éclats de rire dans les salles obscures
http://lexpo.slate.fr/20100108/
Etats-Unis, 1958.
© Wayne Miller / Magnum Photos


Avant l'écran, le papier
Comment lire partout tout le temps !
http://lexpo.slate.fr/20100122/MUNICH, Allemagne—Soleil printanier à la Glyptothèque, 1950.
© Herbert List / Magnum Photos


Source : http://lexpo.slate.fr

Perspectives critiques sur "Istanbul Capitale Européenne de la Culture 2010"

"Hors des sentiers battus, nous avons demandé à des personnalités du monde des arts de nous livrer leur propre vision de la ville la plus contrastée de Turquie. Entre l’Orient et l’Occident, Europeans vous propose cette semaine un parfum d’Istanbul."

La vidéo sur : http://fr.euronews.net/2010/01/22/istanbul-capitale-europeenne-de-la-culture-2010/.

Source : Euronews, 22.01.2010

Entretien sans langue de bois avec le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan

Processus d'adhésion européenne, question kurde, relations avec l'Arménie, relations turco-israéliennes et question palestinienne ...
Entretien vidéo sans langue de bois avec le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan à l'occasion du lancement d'Euronews en turc :
"les Etats membres ont commis une erreur historique en acceptant la partie sud de Chypre dans l’Union".

Source : Euronews, 30.01.2010 - http://fr.euronews.net/2010/01/30/recep-tayyip-erdogancertains-etats-membres-de-l-union-n-agissent-pas-honnetement/

Jérusalem: la judaïsation par le béton


« Va voir ce qu'il se passe à Jérusalem-Est. » Lors de mon premier passage dans les Territoires palestiniens occupés en novembre 2009, c'est certainement la phrase que j'ai le plus entendue. Alors, j'y suis retournée. Ma première étape a été Silwan, situé au sud-est de la vieille ville, et les destructions de maison. Des soldats protègent les sites pendant que le bulldozer démolit des maisons palestiniennes construites -pour tout ou partie- illégalement. A l'extérieur, les affaires des familles sont entreposées. Tout le monde assiste à la scène, impuissant. Les Israéliens prévoient de démolir 88 maisons pour créer un site archéologique.

Sur place, de nombreux observateurs sont présents. Je retrouve Maya, une jeune Israélienne qui fait partie du mouvement des Refuznik. Observatrice pour ICAHD, le comité israélien contre les destructions de maisons, elle ne mâche pas ses mots: «C'est un nettoyage ethnique. Le but est de vider Jérusalem de sa population arabe.» Pourtant, ces constructions sont illégales, non? «Les Palestiniens n'ont pas le choix. Un plan d'urbanisation est nécessaire à la construction de logements à Jérusalem. La municipalité n'en prévoit pas pour les secteurs constructibles par les Palestiniens.» Soit 13% de Jérusalem-Est, occupée depuis 1967 par Israël, une occupation non reconnue par la communauté internationale... «Quand des experts ou des ONG présentent des plans, ils sont toujours refusés.» Alors que j'assiste à la troisième destruction de la journée, un Palestinien m'interpelle. Au-dessus de cette habitation, un bâtiment israélien, en plein cœur de Silwan. Facile à repérer, il est drapé d'un immense étendard aux couleurs du pays. «Cet immeuble n'a jamais reçu la moindre autorisation de la municipalité. Mais celui-là, ils ne vont jamais le détruire», fulmine-t-il.

Chaque année, en moyenne, une petite centaine de maisons sont détruite. En 2009, 103 habitations ont croulé sous les bulldozers. Les Palestiniens paient la démolition de leur propre bâtisse, alors, il arrive qu'ils fassent le travail eux-mêmes... par souci d'économie. Cruellement ironique non?


Droit(s) au retour

«Jérusalem est la ville la plus importante du monde pour les juifs. Mais des quartiers de Jérusalem-Est sont en ce moment occupés par les Arabes, comme Sheikh Jarrah ou Silwan. Ils nous reviennent. Des juifs avaient acquis des terrains autour du tombeau de Shimon Ha'Tzadik avant 1948. Nous avons été expulsés, nous avons le droit de retourner sur nos terres», explique sous couvert d'anonymat le directeur d'une association de colons juifs de Jérusalem.

Selon les autorités palestiniennes, la partie orientale de la Ville Sainte représente plus du tiers (37%) des implantations juives dans les Territoires palestiniens. A l'heure actuelle, près de 200.000 Israéliens résident à Jérusalem-Est, presque autant que les 270.000 Palestiniens.

Qui eux aussi demandent le droit au retour. Pourtant, la justice israélienne semble l'accorder plus facilement aux familles juives. La preuve à Sheikh Jarrah, quartier clé de la colonisation à Jérusalem-Est. Situé au nord de la vieille ville et proche de l'ouest de la ville, il est encadré de colonies. Là, pas de destructions de maison -du moins, je n'en ai pas vues- mais des expropriations.


Epée de Damoclès au-dessus du toit

Les familles el-Ghawi, Hannoun et el-Kurd sont les premières (d'une longue série?) lésées. Expulsées récemment de leur logement, elles vivent maintenant sur le macadam devant leurs maisons enguirlandées de drapeaux israéliens. «Les Israéliens estiment que le quartier de Sheikh Jarrah est le leur. Le tombeau de Shimon Ha'Tzadik serait situé non loin de là et cela leur donnerait le droit au retour?!», s'enflamme Randa, une jeune Palestinienne de 18 ans. Shimon Ha'Tzadik serait le grand prêtre juif, Simon le Juste, devant lequel Alexandre le Grand se prosterna. «Une figure importante pour les Juifs», m'assure mon colon anonyme. Vingt-quatre autres familles vivent avec cette épée de Damoclès au-dessus de leur toit.

Les avis d'expulsion envers ces familles ont été émis par la Haute Cour de justice israélienne saisie par les colons. Depuis 1972 et le début de ce combat juridique, s'est entamé un marathon administratif. Entre 2006 et 2008, les colons ont fourni des documents spécifiant que des juifs vivaient à Jérusalem-Est... sans préciser la localisation de ces résidences. L'avocat des familles palestiniennes, Hosni Abu Hussein, a lui rapporté de Turquie des avis de propriété datant de l'empire ottoman.


Sans logement, sans carte

Lors de la construction, en 1956, de ces maisons par l'UNRWA, l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, le terrain était jordanien, mais pour tous les territoires faisant partie de l'empire ottoman jusqu'en 1920, le cadastre se trouve à Istanbul. La Haute Cour de justice a tranché: les maisons reviennent aux colons. «Aucun juif n'a jamais vécu sur ce terrain. Et même si c'était le cas, très bien, mais qu'on nous laisse nous aussi rentrer dans nos villes et nos villages respectifs», déplore Nasser el-Ghawi dont la famille, réfugiée depuis 1948, a été expulsée le 2 août dernier.

Et la judaïsation pourrait être plus que rapide que prévu. Sans logement, les Palestiniens jérusalémites perdront vite leur carte de «résident permanent de Jérusalem». Considérés comme des étrangers en Israël, ils doivent chaque année justifier leur résidence en honorant notamment leur taxe d'habitation. En 2009, 4.577 palestiniens ont perdu cette carte bleue. Ou comment changer la démographie d'une ville et affaiblir les chances de l'Autorité palestinienne de faire de Jérusalem-Est la capitale de leur futur Etat... si un accord de paix est signé.


Source : Slate.fr, Julie Schneider, 05.02.2009 (à retrouver sur http://www.slate.fr/story/16911/jerusalem-demolition-constructions-illegales-expulsions-palestiniens)