jeudi 10 juin 2010

La Turquie à la croisée des chemins, l'AKP divisé


Une semaine après l’arraisonnement de la flottille «Free Palestine» par l’armée israélienne, les débats ont tendance à se déplacer aussi sur le terrain national.


Répondant à Kemal Kılıçdaroğlu, qui avait jugé téméraire et irresponsable l’attitude de l’AKP et du gouvernement dans l’affaire de la flottille, Recep Tayyip Erdoğan l’a accusé de se faire l’avocat d’Israël. La remarque, peu prisée par son destinataire, a néanmoins permis à ce dernier de mettre le doigt sur les divergences de points de vue, qui se sont manifestées, ces derniers jours, au sein même du parti majoritaire. Le nouveau leader du CHP a ainsi estimé que Recep Tayyip Erdoğan ferait mieux de chercher les avocats d’Israël dans son propre camp. Il faisait en l’occurrence allusion au propos abondamment commentés de Fetullah Gülen (photo), qui ont vu les responsables de l’AKP réagir en ordre dispersé. Car, après avoir dénoncé la dureté du comportement israélien dans l’affaire, «Hocaefendi» a vertement critiqué les organisateurs turcs de la flottille et en particulier l’organisation IHH, en estimant que celle-ci avait fait prendre des risques inconsidérés à ses militants, et qu’elle aurait du chercher à obtenir l’accord de l’Etat hébreu avant de lancer une telle opération.

Si cette réaction a ravivé les supputations sur le rôle occulte joué par le «Cheikh de Pennsylvanie» et sur ses liens avec l’Oncle Sam, elle a surtout montré que, même au sein de l’AKP, tout le monde n’appréciait pas de la même façon les dernières orientations de la diplomatie turque et ses velléités à faire apparaître la Turquie sur la scène mondiale comme un pôle émergent contestataire. Bülent Arinç, le vice-premier ministre, d’ordinaire plus virulent, a notamment salué les conseils de modération du maître, en déclarant : «Hocaefendi dit la vérité une fois de plus… Nous devons agir de façon constructive envers et contre tout». Mais, pour sa part, Recep Tayyip Erdoğan a poursuivi ses condamnations de l’assaut conduit par la marine israélienne, tandis qu’Ahmet Davutoğlu faisait savoir qu’il n’y aurait pas de normalisation des relations turco-israéliennes, après ce dernier incident, tant qu’Israël n’aurait pas adopté une attitude plus positive, et en particulier accepté l’enquête internationale impartiale, demandée par le Conseil de sécurité des Nations Unies.

Il semble donc bien que, de plus en plus, deux approches de la politique internationale puissent être décelées, au sein même du parti majoritaire. La première exprimée par le premier ministre et son ministre des affaires étrangères, qui ont été omniprésents ces dernières semaines, tant sur le dossier iranien que sur l’affaire de la flottille, entend signifier l’avènement de la Turquie comme puissance émergente non seulement dans l’aire régionale mais aussi sur la scène internationale. On a vu cette tendance à l’œuvre depuis le sommet nucléaire de Washington, lorsqu’elle a scellé le rapprochement turco-brésilien sur le conflit nucléaire iranien qui a débouché sur l’accord tripartite du 17 mai. Cette vision diplomatique s’est aussi abondamment exprimée à l’occasion de l’affaire de la flottille de Gaza où la Turquie n’a pas hésité à faire face à Israël et à se poser en défenseur du droit international et des Palestiniens. La seconde tendance incarnée, semble-t-il, par des personnalités comme le président Abdullah Gül ou le vice-premier ministre, Bülent Arinç, sans rejeter l’idée d’une montée en puissance de la Turquie sur les scènes régionale et internationale, souhaite que cette ascension soit plus prudente et qu’elle ne se fasse pas au détriment des alliances traditionnelles de la Turquie et en particulier de la relation de celle-ci avec les Etats-Unis. Cette option plus «soft» s’est notamment illustrée sur le dossier du rapprochement turco-arménien, très apprécié par les Occidentaux, à l’occasion duquel Abdullah Gül a joué les premiers rôles, en se rendant à Erevan, pour le fameux match de football ; une démarche que Recep Tayyip Erdoğan a accueillie, comme l’on sait, de façon beaucoup moins enthousiaste.

On sent bien que, ces derniers jours, la Turquie est à la croisée des chemins et que ce qui est en train de se jouer dépasse largement la seule affaire de la flottille, mais concerne directement les relations d’Ankara avec ses alliés occidentaux et par contrecoup son positionnement sur la scène mondiale.

Source : Blog de l'OVIPOT, Jean Marcou, 09.06.2010 (URL : http://ovipot.blogspot.com/2010/06/laffaire-de-la-flottille-fait.html)

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