lundi 12 avril 2010

Recep Tayyip Erdoğan, conciliant sur l'adhésion et l'immigration, offensif sur la sécurité au Moyen-Orient


Après la visite en demi-teinte du président Abdullah Gül à Paris, l’année dernière, pour l’ouverture de la saison turque, celle premier ministre Recep Tayyip Erdoğan, les 6 et 7 avril derniers, à l’occasion de la clôture de cette manifestation de coopération culturelle, apparaissait à bien des observateurs comme le déplacement de tous les dangers. On sait que la France est actuellement l’un des pays membres de l’UE les plus opposés à la candidature européenne d’Ankara et que le premier ministre turc est par ailleurs facilement enclin à ne pas mâcher ses mots. Eu égard à ce contexte délicat, le bilan du séjour parisien du premier ministre turc apparaît donc comme plutôt positif, mais Recep Tayyip Erdoğan avait peut-être déjà l’esprit ailleurs….


Tout en venant la tête haute, fort des derniers résultats économiques flatteurs de son pays (croissance positive de 6% au 4e semestre 2009), c’est plutôt la méthode douce que le chef du gouvernement turc avait choisi pour faire valoir sa cause. Sûr de lui (n’avait-il pas déclaré en Bosnie, quelques heures avant son arrivée à Paris : «tôt ou tard nous adhérerons à l’UE»), Recep Tayyip Erdoğan s’est voulu plutôt pédagogue, dans un pays dont les dirigeants actuels restent à convaincre. À l’occasion d’une interview donnée au quotidien «Le Figaro» et parue le jour de son arrivée à Paris, il a rappelé que la France n’avait pas toujours été hostile à l’adhésion de la Turquie, et souligné la vitalité des relations économiques et culturelles qui existent actuellement entre les deux pays. Évoquant la visite récente d’Angela Merkel, qualifiée par lui-même de «fructueuse», il a invité le président Sarkozy en Turquie, afin qu’il puisse se rendre compte que celle-ci a beaucoup changé et qu’elle ne sera «pas un fardeau pour l’Europe» à l’instar de pays que les Européens ont admis un peu trop vite pour des raisons politiques, ce qui les amènent aujourd’hui à payer le prix fort d’adhésions qui ont été, selon lui, prématurées.

Conciliant Recep Tayyip Erdoğan l’a été aussi sur le terrain de l’immigration, un domaine particulièrement sensible en France, ces derniers temps. Incitant à l’intégration, 6000 immigrés turcs venus l’entendre prononcer un long discours, il a condamné l’assimilation et redit qu’il la considérait comme «un crime contre l’humanité.» Mais, il a surtout demandé à ses compatriotes, sans cesser d’être des Turcs, d’être aussi des Européens et des Français à part entière : « Chacun d’entre vous êtes les diplomates de la Turquie dans le pays dans lequel vous vivez, s’il vous plaît, apprenez la langue du pays dans lequel vous vivez, soyez actifs dans la vie culturelle et sociale… La France vous a donné le droit à la double nationalité, pourquoi vous ne la demandez pas ? Ne soyez pas réticents, ne soyez pas timides, utilisez le droit que la France vous donne… » Alors même que ce genre de discours a souvent été ressenti dans d’autres pays d’Europe (Allemagne, Belgique) comme une attitude tendant à remettre en cause l’intégration d’importantes communautés immigrés, le premier ministre turc a estimé que la France restait «l’amie et l’alliée de la Turquie» et s’est même réjoui qu’elle accueille bien les immigrants turcs, en louant «la bienveillance de l’administration française». Cela ne l’a pourtant pas empêché, comme en Allemagne, de revendiquer la création d’écoles turques en France, car, a-t-il expliqué, ce pays a plusieurs écoles et collèges en Turquie. Ce discours, tout en nuances, aura donc bien confirmé que le chef du gouvernement turc fait de plus en plus des communautés turcs importantes existant dans un certain nombre de pays européens importants (Allemagne, Belgique, Pays-Bas, France), un atout important pour la candidature d’Ankara à l’UE.

Mais l’essentiel n’était-il pas ailleurs ? Eu égard, à l’agenda international des prochains jours, l’escapade de Recep Tayyip Erdoğan en France, n’était peut-être qu’une étape sur la route qui doit le mener à Washington, où se tiendra les 12 et 13 avril prochains, le sommet sur la sécurité nucléaire. Sur ce sujet-là, en tout cas, le premier ministre turc s’est montré beaucoup plus offensif pour exposer sa propre conception de la sécurité au Moyen-Orient. Sur l’Iran, sur le conflit du Proche-Orient et sur les risques de prolifération nucléaire, il a suivi la ligne qui lui vaut à l’heure actuelle le soutien, pour ne pas dire l’admiration du monde arabo-musulman. À Paris, lors d’une rencontre particulièrement significative avec la presse, puisque tenue le 7 avril, quelques heures avant un déjeuner de travail avec le président français, le leader de l’AKP a qualifié Israël de «principale menace pour la paix régionale», en invoquant le rapport Goldstone sur l’offensive israélienne à Gaza. Quant à l’Iran, le chef du gouvernement turc a répété «que son programme nucléaire est uniquement civil» et qu’on ne pouvait pas mettre en accusation un pays pour un risque d’extension militaire que l’AIEA elle-même ne qualifie que de «probabilité». L’argument final, développé par Recep Tayyip Erdoğan, a été une nouvelle fois que l’Etat hébreu possède officieusement l’arme nucléaire et qu’il n’adhère pas au Traité de non prolifération (TNP). Cette tirade, qui a peut-être incité Benyamin Nétanyahou à ne pas se rendre à Washington, en dit long sur l’état d’esprit qui est celui du premier ministre turc avant son arrivée à Washington pour un sommet nucléaire où il y a fort à parier qu’il sera avant tout le représentant d’une puissance régionale qui ne cesse de s’affirmer.

Source : OVIPOT, Jean Marcou, 11.04.2010 (URL : http://ovipot.blogspot.com/2010/04/recep-tayyip-erdogan-paris-les-yeux.html)

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