jeudi 8 octobre 2009

Istanbul, "la ville qui ne dort pas"

Une des publicités qui composent
la campagne de promotion de la manifestion
"Istanbul, Capital Européenne de la Culture 2010"
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Comme chaque soir, tout l’Istanbul branché se presse aux portes du Babylon, au coeur du quartier de Beyoglu, l’épicentre de la vie nocturne de la ville. Le 30 septembre, le club le plus fameux d’Istanbul célébrait en grande pompe ses dix ans d’existence, avec des festivités qui se poursuivront en musique toute la saison.

La petite salle aux murs de brique, devenue un passage obligé pour les musiciens de jazz, électro et fusion, qu’ils soient turcs ou étrangers, s’est propulsée en peu de temps comme la locomotive de la scène culturelle stambouliote. "Contrairement à il y a dix ans, où nous étions marginaux, aujourd’hui, nous sommes totalement "mainstream"", constate, avant de lancer la soirée, Ahmet Ulug, à l’origine du Babylon, avec son frère Mehmet et son copain Cem Yegül. Entendez : le marginal est devenu la règle.

Ce trio de pionniers a réveillé la Turquie en lançant, dès 1989, la compagnie musicale Pozitif et en organisant quelques concerts de jazz avant-gardistes. Leur histoire, on la retrouve chez nombre d’artistes plasticiens ou de musiciens : se former à l’étranger, avant de revenir pour faire bouger son pays.

"Après nos études aux Etats-Unis, confirme Cem Yegül, en sirotant un mojito, nous sommes revenus et, à la fin des années 1980, la Turquie, c’était comme les pays de l’Est. Les gens avaient soif de nouveauté." Ahmet ajoute : "Là-bas, on dépensait tout notre argent dans les concerts, dans les disques et tout notre temps à enregistrer les shows à la radio. Nous voulions faire partager nos découvertes. Il y avait un public pour des musiques moins classiques à Istanbul."

De fil en aiguille, le trio crée son propre label musical, Double Moon, véritable usine à nouveaux talents. "Nous voulions développer notre propre fusion avec la musique turque", expliquent-ils. Ils repèrent Mercan Dede à Montréal (le musicien Arkin Allen, qui mélange électro et transes soufies), et le font découvrir à Istanbul - son concert parisien au Trocadéro, le 4 juillet, a ouvert la Saison turque.

Le trio découvre encore le jazz décapant d’Ilhan Ershahin, un Turc de New York, ou encore les percussions de Burhan Öçal. Le prochain projet de Pozitif : Blackbox, une salle de concert grand format, telle qu’il n’en existe pas encore à Istanbul, qui ouvrira dans le nouveau quartier d’affaires de Maslak, début 2011.

Dans l’effervescence de la movida stambouliote, le Babylon n’est plus seul. Des rives du quartier de Kuruçesme, sur la rive européenne, à Moda, sur le versant asiatique, Istanbul joue et crée sans relâche. "La ville qui ne dort pas " vibre d’une activité artistique trépidante. Les galeries d’art envahissent le quartier chic de Nisantasi, jusque- là dévolu aux magasins de mode. Elles se font remarquer dans les foires internationales d’art, à l’image de Galerist, Nev ou Apel.

Les librairies débordent d’une littérature abondante et l’industrie du cinéma turc se structure, produit quantité de films et résiste sur le marché local aux longs-métrages étrangers, notamment d’Hollywood. Les lieux institutionnels côtoient les collectifs "underground" et les ateliers avant-gardistes tels que Garajistanbul.

"Pour un Français, la culture turque, ça se résume un peu aux loukoums, aux derviches tourneurs et à la danse du ventre, résume Görgün Taner, le directeur de la Fondation pour les arts et la culture d’Istanbul (IKSV) et commissaire de la Saison turque en France. Nous avons tout cela ! Mais aussi Santralistanbul et une Semaine du design. Depuis quinze ans, le mouvement est très rapide, la ville change d’une semaine sur l’autre. 50 % de la population turque a moins de 25 ans. La Turquie est jeune, dynamique, créative, innovante... Le programme de la Saison, de l’art traditionnel à l’art contemporain, reflète tout cela."

Le site Internet de SantralIstanbul

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IKSV est une fondation privée qui a massivement investi dans la culture en organisant, depuis les années 1980, un festival de cinéma, chaque année plus fourni, une biennale d’art contemporain, qui a attiré plus de 100 000 visiteurs cette année, un festival de jazz qui investit les lieux modernes et historiques de la ville, un autre de théâtre... Un véritable "ministère de la culture bis", à l’origine duquel se trouve la famille Eczacibasi, descendant des pharmaciens des sultans.

Faute d’argent public, les grandes dynasties industrielles d’Istanbul sont les principaux mécènes de la vie culturelle, chacune y allant de son musée et de sa galerie d’exposition. Celui des Sabanci a organisé des rétrospectives Picasso et Rodin, sur les rives du Bosphore. Oya Eczacibasi, l’héritière, dirige Istanbul Modern, un musée d’art qui a pris quartier dans d’anciens entrepôts, sur les docks de Karaköy. Ce "petit Beaubourg d’Istanbul" accueille en ce moment les oeuvres de Sarkis, peintre et sculpteur établi en France, qui viendront ensuite clore la Saison turque à Paris, au Centre Pompidou, à partir du 1er février.

Souvent considérée à tort comme un îlot occidentalisé en Turquie, Istanbul, dont la population a doublé en vingt ans, est au contraire le reflet de mille cultures et traditions venues, comme ses habitants, des Balkans, d’Anatolie ou d’Orient. Cette richesse est explorée par le cinéaste allemand d’origine turque Fatih Akin, dans son film Crossing the Bridge, qui est une plongée musicale dans la ville, comme par le travail photographique d’Attila Durak, rassemblé dans son livre Ebru (éd. Actes Sud) : reflet de la diversité culturelle turque. Son exposition est visible à Bordeaux jusqu’au 14 octobre, et donne un aperçu de cette mosaïque turque : Kurdes, Circassiens, Roms, Assyro-Chaldéens, Turkmènes...

Les orchestres traditionnels qui jouent entre les tables des meyhane, des tavernes où l’on déguste meze et raki, dans le quartier de Kumkapi, les musiciens roms du quartier de Sulukule, au pied des remparts de Constantin, les crooners moustachus qui remplissent les "türkü evi" de Kadiköy, des cabarets où l’on reprend à tue-tête et jusqu’à plus soif les tubes du folklore turc classique : cette culture populaire, longtemps snobée par les élites culturelles d’Istanbul, connaît un renouveau, s’immisce dans les beaux quartiers, comme en témoigne le succès de l’orchestre rom de Sulukule, invité au Babylon. L’ONG culturelle Anadolu Kültür, qui a investi l’ancien dépôt de tabac de Constantinople dans le quartier de Tophane, tente aussi d’insuffler cette énergie au reste du pays et notamment à la région kurde, dans le Sud-Est.

"Le décalage qui existe avec les pays les plus développés, la Turquie le comble au galop, estime Görgün Taner. Ce qui manque, c’est que les arts et la culture soient pleinement pris en considération par les autorités centrales et locales. Il y a un gros manque d’infrastructures, et l’argent public est limité : le budget de la culture ne représente que 0,3 % du budget total du pays."

En janvier 2010, Istanbul prendra pour un an le titre de Capitale européenne de la culture et les idées les plus folles se bousculent. Le ministre des affaires européennes, Egemen Bagis, souhaite faire jouer U2 sur le pont du Bosphore, à 65 mètres de haut, entre Europe et Asie.


Source : Turquie Européenne, Guillaume Perrier, 08.10.2009 (à retrouver sur : http://www.turquieeuropeenne.eu/article3533.html). Également publié dans Le Monde du 07.10.2009.


Le site Internet du musée d'art moderne d'Istanbul : Istanbul Modern
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Quelques sites à visiter (sur Internet ou mieux "en live" ... je vous y attends l'été prochain ! ;) ) :

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