mercredi 2 décembre 2009

Médias et politique : "Le bal des petites phrases politiques"


Du lundi 7h40 au dimanche 19h, les politiques se succèdent dans les radios et télévisions. Au micro, langue de bois et phrases toutes faites. Notre manuel de rhétorique.

Quel courage, ce Jean-Michel Aphatie! Tous les matins, le journaliste prépare des questions pour ses invités, sur RTL à 7h50. En face, inlassablement, des ministres et dirigeants politiques déclament des réponses anticipées, sans égards pour le chroniqueur, qui malgré ses efforts obtient peu de réponses fraîches. En plus du créneau d'Apathie, une dizaine de grandes interviews politiques en direct rythment chaque journée, soit 50 entretiens par semaine.

- Il y a les quotidiens:
7h40 - Les 4 Vérités, France 2 7h50 - L'invité de Jean-Michel Aphatie, RTL 8h15 - L'invité du matin, France Info 8h20 - L'invité de Jean-Pierre Elkabbach, Europe 1 8h20 - L'invité de Nicolas Demorand, France Inter 8h30 - Bourdin, RMC et BFMTV 12h15 - L'invité de Christophe Barbier, LCI 18h - Le Talk Orange Le Figaro18h15 - L'invité du soir, France Info 18h48 - Europe 1 Soir • 19h30 - Canal+ Le Grand Journal

- Et les hebdomadaires
Mercredi à 19h30 - France Inter «Questions du mercredi»Dimanche à 10h - Europe 1 - Grand rendez-vous • 14h20 Radio J • 17h Politique, iTélé • 18h - La tribune BFMTV DailymotionLe Grand Jury RTL Le Figaro LCI.
• 18h20


Les partis s'organisent pour contrôler ce circuit: la semaine dernière, les membres de la majorité ont occupé 20 de ces créneaux, contre à peine 10 pour la gauche. Sur tout le PAF, au total, on a vu une dizaine de ministres, dont Laurent Wauquiez trois fois (Canal+ lundi, LCI mardi, Europe 1 jeudi), Roselyne Bachelot deux fois (France 2 lundi, France Info mardi) et Nadine Morano deux fois (France Info mercredi, RMC jeudi).

Les porte-voix de l'UMP remportent le gros lot. Xavier Bertrand, Frédéric Lefebvre, Dominique Paillé, respectivement secrétaire général, porte-parole et porte-parole adjoint de l'UMP, ont eu droit à dix invitations en une semaine (LCP, France 24, LCI, France 3, France 5, RMC/BFMTV, NRJ12 et le prestigieux Grand Jury RTL, dimanche, pour Bertrand). Et cette semaine ? Pas moins de 9 ministres sur les antennes rien que lundi - 7h40 : Xavier Bertrand (France 2); 7h50 : Bernard Kouchner (RTL); 8h15 : Jean-François Copé (France Info); 8h20: Michel Barnier (Europe 1); 8h20 : Hervé Morin (France Inter); 8h30 : Roselyne Bachelot (RMC/BFMTV); 18h : Hubert Falco et Michel Barnier (Le Talk Orange Le Figaro); 18h48 : Martin Hirsch (Europe 1).

En marketing, on parlerait d'un «très fort taux de pénétration».


Dans cette tournée des popottes audiovisuelles, les mêmes formules, chaque fois répétées avec le même entrain. Parfois, un entretien particulièrement pugnace permet de montrer et démonter l'argumentaire clés en main: ce sont les «éléments de langage» arrêtés par exemple à l'Elysée sur tel dossier. Pour les décoder, Slate vous propose ce manuel de rhétorique 1.0 à l'usage des professionnels de la petite phrase.


1 : LES SUPPORTEURS FANTÔMES

Question: «Alors, monsieur le ministre, ça râle dans les campagnes ! Votre politique mécontente jusque dans vos propres rangs!» La suppression de la taxe professionnelle ou la création de la taxe carbone, par exemple, ont suscité de forts remous dans votre majorité. Dans ce cas, une seule réponse s'impose : ne reconnaissez aucune erreur. Inventez plutôt des supporteurs fantômes et faites-leur approuver votre politique. A quoi d'autres serviraient les majorités silencieuses?

Exemples

Moi j'ai reçu beaucoup beaucoup de courriers de personnes qui me disent c'est formidable de m'avoir offert 200 euros en chèque emploi services universel, je vais pouvoir payer un peu de femme de ménage, un peu de garde d'enfant, ce que je pouvais pas faire.

Christine Lagarde, Europe 1, 06/07/09

J'étais très surpris parce que sur un sujet comme celui-ci c'est pas un débat qui intéresse seulement les parlementaires, dès lundi, j'ai reçu nombre de réactions au siège du Mouvement populaire, des mails, des appels téléphoniques et vous me dites qu'il y a débat, la proportion était grosso modo trois quarts, un quart. Trois quarts qui disaient, nous ne sommes pas favorables à la remise en cause du bouclier fiscal...

Xavier Bertrand, Le Talk Orange Le Figaro, 18/03/09

J'étais la semaine dernière dans le Calvados et le message de nos militants, de nos sympathisants, de nos électeurs, c'est: faut pas se laisser distraire, il faut rester concentré sur nos valeurs, il faut rester concentré sur nos priorités: l'emploi, la sécurité, le refus des augmentations d'impôts...

Xavier Bertrand, Europe 1, 15/10/09


2 : LES CONTRADICTEURS IDIOTS

Vous devez maintenant défendre la politique du gouvernement sur des questions essentielles (économie, emploi, valeurs). Les journalistes ne reconnaissent pas toujours votre volontarisme et sous-estiment vos résultats. Solution : inventez des adversaires qui disent des choses idiotes; prenez leur contre-pied et paraissez plus intelligent en quelques secondes.

Exemples:

D'ailleurs, qu'est-ce qu'on disait avant la crise? Que le politique ne servait plus à rien, que c'était la libre-concurrence, que c'était la libre-compétition qui agissait. Eh bien cette crise a permis de démontrer qu'il y avait le retour du politique et que le volontarisme politique façon Sarkozy eh ben ça marchait et ça avait sans doute permis à la France, notamment avec son plan de relance fondé sur l'investissement, de mieux résister.

Christian Estrosi, France Inter, 23/9/09

La différence aujourd'hui, c'est entre ceux qui pensent qu'on peut continuer comme avant à notre petit rythme et ceux qui pensent qu'il faut changer les choses parce que le modèle français a de l'avenir à une condition, qu'on n'ait pas peur, qu'on ait le courage de le réformer.

Xavier Bertrand, Europe 1, 23/6/09


3 : LE DEBAT SALUTAIRE

Si le «fronde» interne persiste et «fissure» le bloc majoritaire, les journalistes insisteront pour vous le faire avouer. Pas question: sortez la carte du débat salutaire. Elle a très bien marché quand une vingtaine de sénateurs, regroupés autour de Jean-Pierre Raffarin, ont menacé Nicolas Sarkozy de ne pas voter la suppression de la taxe professionnelle par voie de presse. Pour avoir assisté à une violente engueulade entre le sénateur et ses collègues dans les couloirs du Sénat, je peux vous certifier que cela n'avait rien d'un échange courtois.

Exemples:

Quand il n'y a pas du tout de débat on dit, oh la la, tout le monde pense la même chose, tout le monde est sur la même ligne, pourquoi y'a pas de débat chez vous ? Moi je préfère qu'il y ait des débats, francs... et c'est plutôt salutaire.

Xavier Bertrand, France Info, 3/11/09

Il faut arrêter avec cette idée que quand les parlementaires coproduisent les réformes c'est pour diviser. C'est pas pour diviser, c'est pour améliorer parce qu'ils sont dans le débat.

Jean-François Copé, LCI, 2/11/09

C'est un appel à la discussion de Jean-Pierre Raffarin... c'est un appel au dialogue, ce qui est bien naturel d'ailleurs.

Eric Woerth, RTL, 2/11/09

Quand vous avez des sujets aussi lourds, qui concernent directement les sujets locaux, vous voudriez que ça se passe sans débat ? Bien sûr que non. S'il n'y avait pas de débat, vous seriez les premiers à me poser la question, est-ce qu'on n'a pas une majorité qui est un peu trop au garde-à-vous ? Maintenant qu'effectivement il y a des vrais débats, vous me dites, ah attention c'est la crise. C'est ni l'un, ni l'autre. Les débats sont logiques, ils sont normaux et je les souhaite.

Benoist Apparu, Le Talk Orange Le Figaro, 5/11/09


4 : L'AMBITION POUR LES IDEES

«Serez-vous candidat? Préparez-vous votre entrée au gouvernement? Allez-vous diriger le Parti socialiste?» Seuls les vantards ont de l'ambition. La prudence recommande de ne jamais déclarer une candidature avant d'avoir la certitude de gagner. Soyez plutôt candidat au débat d'idées. Rappelez que les Français sont fatigués des manœuvres d'appareil et attendent autre chose que des ambitions personnelles.

Exemples :

Non la réponse, vous savez, c'est cette espèce de jeu de saut d'obstacles où à chaque fois qu'on a une responsabilité on pense à celle d'après. Déjà je vais essayer de survire à cette responsabilité de porte-parole qui, je le mesure bien, sera une rude tache.

Laurent Wauquiez, interrogé sur une future candidature à l'Elysée, RTL, 20/06/07

Ben écoutez, un avenir qu'on construit mais qui n'est pas tourné vers moi-même, je crois que c'est très important en France quand on est engagé en politique de regarder autour de soi et de regarder ce que ressentent nos concitoyens.

Dominique de Villepin, interrogé sur sa vision de son propre avenir politique, France Inter, 28/10/09

Ça n'est pas d'actualité... Personne ne me mettra la pression sur quoique ce soit. Aujourd'hui je suis engagée dans un travail en profondeur, dans un combat corps à corps dans les municipales...

Ségolène Royal, interrogée sur son éventuelle candidature au poste de Premier secrétaire du Parti socialiste, RTL, 20/01/08)

Pour le moment il ne s'agit pas d'être candidat, je vous dis clairement aujourd'hui il faut se rassembler derrière notre président... pour défendre son institution.

Jean-Pierre Raffarin, interrogé sur son éventuelle candidature à la présidence du Sénat, qu'il finira par officialiser, Le Talk Orange Le Figaro, 9/6/08


5 : LES FRANÇAIS

Une polémique assaille votre gouvernement ou votre parti. Qui sera tête de liste? Le ministre va-t-il démissionner ? Pourquoi les couacs se multiplient-ils ? Vous ne devez jamais paraître affaibli. Faites donc dire aux Français que la question ne les intéresse pas.Vous seuls savez ce qui importe à leurs yeux, en l'occurrence un sujet qui n'a rien à voir avec ce que le journaliste veut savoir.

Exemples:

Et aujourd'hui vous savez, nos électeurs, veulent pas qu'on essaie de faire un drame de tel ou tel sujet, ils veulent qu'on soit sur les priorités, y'a que ça qui les intéresse.

Xavier Bertrand, interrogé sur la non-application de la loi sur les tests ADN, Le Talk Orange Le Figaro, 18/9/09

Je dis simplement qu'il y a des sujets graves en France : le chômage, la crise financière dont on parlait à l'instant ; et je trouve que pour moi, il y a des priorités beaucoup plus importantes pour les Français et la vie des Français.

Rachida Dati, interrogée sur des propos de Brice Hortefeux, RTL, 15/09/2009

Mon attention, je vais vous dire, et ce n'est pas de la langue de bois, elle est toute entière tournée vers les producteurs de lait qui n'arrivent plus à vivre correctement en France.

Bruno Le Maire, interrogé sur le procès Clearstream, RTL, 18/9/09

Notre préoccupation actuellement c'est pas nos affaires internes, c'est pas ce qui intéresse les Français, c'est de faire renaître la gauche, à l'intérieur de la gauche c'est de faire renaître le Parti socialiste parce que la France et les Français en ont besoin, c'est ça l'important.

François Lamy, interrogée sur les fraudes au Parti socialiste, Europe 1, 14/9/09


6 : LA RIME ET L'HOMOPHONIE

En toute occasion, un beau martelage publicitaire vaut cent mots.

Exemples :

L'Europe a besoin de pédagogie, elle a pas besoin de démagogie.

Xavier Bertrand, Le Talk Orange Le Figaro, 30/6/08

Les socialistes ont préféré la démagogie à l'écologie.

Xavier Bertrand, Europe 1, 31/8/09

Vous savez la règle est simple: il ne doit y avoir ni territoire oublié, ni population négligée, ni déliquance tolérée.

Brice Hortefeux, Europe1, 01/09/09

Ce qui lui manque à Valérie Pécresse c'est justement cette capacité à rassembler au-delà de son camp et je dirais au-delà de son clan.

Jean-Paul Huchon, Europe 1

Un parti ce sont des additions, pas des soustractions.

Arnaud Montebourg, RTL, 26/11/08

Continuer la relance, réguler la finance.

Christine Lagarde, RTL Le Grand Jury, 27/9/09

Je veux vous dire que quand la France cherche à apaiser, c'est dommage qu'une collectivité locale cherche à attiser.

Jean-Pierre Raffarin, en allusion à Bertrand Delanoë, maire de Paris, RTL, 28/4/08

D'accord pour se mettre en ligne, pas d'accord pour s'aligner.

Henri Emmanuelli, interrogé sur l'alignement des régimes spéciaux de retraite sur le privé ou le public, RTL, 12/09/07

La gestion doit être rigoureuse, mais la rigueur n'est pas d'actualité.

André Santini, LCI, 06/09/07

La retraite, ce n'est pas la mise en retrait mais l'occasion de retraiter sa vie.

Françoise de Panafieu, réunion publique, 13/12/07


7 : LE CHIASME

Comme la rime et l'homophobie, le chiasme est un jackpot rhétorique. Les journalistes radio et télé adorent les chiasmes et les conservent systématiquement au montage, car ils durent souvent moins des 25 secondes requises. N'oubliez pas que les phrases interminables et impossibles à couper finissent toujours à la poubelle du 20h. Le tout-info donne une prime à la petite phrase bien roulée, celle qui sonne bien.

Exemples :

Au lieu que le parti contribue à fabriquer l'opinion, ce qui était son rôle depuis tout le temps, désormais c'est l'opinion qui va faire le parti.

Laurent Fabius, Europe 1, 24/8/09

La vérité, c'est qu'il existe des régimes spéciaux de retraites qui ne correspondent pas à des métiers pénibles et qu'il existe des métiers pénibles qui ne correspondent pas à un régime spécial de retraite.

Nicolas Sarkozy, ouverture d'un salon agricole, Rennes, 11/09/07

Les prévisions, c'est pas notre travail, mon travail à moi c'est d'essayer de faire mieux que les prévisions.

Laurent Wauquiez, RTL, 27/10/09

Je ne serai pas un aussi bon député si je n'étais pas maire, ni un aussi bon maire si je n'étais pas député.

Yves Jégo, débat au Café de Flore, 19/10/07


8 : PAS LU

Des propos désobligeants ou politiquement embêtants d'un collègue du gouvernement sont cités dans la presse. Les soutenez-vous ou les condamnez-vous? Le journaliste vous demande de choisir entre votre conscience et votre loyauté, c'est-à-dire entre votre avenir ou vos électeurs. Un dilemme impossible. Bottez en touche. Ces propos, vous ne les avez tout simplement pas entendus. Ce livre? Quel livre? Vous ne l'avez pas lu.

Exemples:

Excusez-moi parce que j'ai travaillé jour et nuit toute cette semaine et je n'ai pas eu le temps de suivre tous les aspects de cette polémique, certainement passionnante et que je retrouverai en revenant à Paris. Honnêtement, j'ai été bien occupé ici par des dossiers extrêmement lourds et je n'ai pas pu suivre les péripéties de toute cette actualité, mais je suis sûr qu'elle a été passionnante.

Nicolas Sarkozy, conférence de presse du G20 à Pittsburgh, interrogé sur les propos de Brice Hortefeux, 25/9/09

Je peux pas vous répondre sur des écrits que je ne connais pas, euh, puisque vous m'y encouragez je regarderai ce livre... qui est paru encore une fois voici longtemps, je ne sais pas dans quel contexte cela a été écrit, dans quel contexte il a été présenté, mais en revanche ce que je sais c'est que c'est un ministre de la Culture qui est aujourd'hui totalement, unanimement reconnu et salué pour ses compétences et son action.

Brice Hortefeux, interrogé sur le livre de Frédéric Mitterrand, "La mauvaise vie", RTL, 8/10/09

Vous avez été choqué par la lecture des carnets noirs d'Yves Bertrand dans "Le Point", la semaine dernière ?
- Je vais vous dire, je n'ai pas lu ces carnets. Je n'ai pas eu connaissance...
- Mais vous avez lu "Le Point" comme nous ?
- Non, je n'ai pas lu "Le Point" comme vous.
- Ah c'est dommage ! J'aurais dû vous le donner, hier soir, tiens !
- Et je n'ai pas eu connaissance de ces carnets. On peut s'étonner des conditions dans lesquelles de telles publications interviennent et quel est l'intérêt de telles publications. Je ne crois pas qu'elles contribuent en aucune façon à la bonne démocratie.

Dominique de Villepin, interrogé par Jean-Michel Aphatie, RTL, 17/10/08.


Source : Slate, Ivan Couronne, 02.12.2009 (à retrouver sur http://www.slate.fr/story/13791/petites-phrases-politiques)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire