lundi 7 décembre 2009

Le coup de Pierre Bergé a-t-il coûté cinq millions d'euros au téléthon ?

Près de cinq million d'euros en moins dans la caisse. La différence est trop petite pour être pleinement significative. Mais elle est trop grande pour ne pas interroger: le recul des promesses de dons faites lors du 23e Téléthon est-il, pour tout ou partie, la conséquence de polémique créée par Pierre Bergé ? Riche homme d'affaires, mécène et président de Sidaction, Pierre Bergé avait, ces deux dernières semaines, lancé plusieurs appels dénonçant avec violence la plus importante des opérations caritatives françaises, organisée chaque année par l'Association française contre les myopathies (AFM).

Pierre Bergé a-t-il été entendu quand il a accusé le Téléthon de se comporter comme une «secte» et de « parasiter la générosité des Français »? Le sera-t-il lorsqu'il réclame la mise en oeuvre d'une forme de mutualisation des dons : obtenir, notamment, que les sommes offertes lors du Téléthon ne soient pas uniquement affectées à la lutte contre les myopathies et les maladies orphelines mais qu'elles puissent aussi bénéficier à la lutte contre le sida ? La chose pourrait ne pas être impossible: Martin Hirsch, Haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté vient de proposer la création d'un «Haut conseil à la vie associative» permettant une coordination entre les actions des associations caritatives bénéficiant notamment du soutien de la télévision publique comme c'est le cas du Téléthon et de Sidaction.

Quelques heures avant le lancement du 23e Téléthon Pierre Bergé persistait et signait: en cas de baisse des dons il déclarait «bien vouloir être désigné comme responsable». L'est-il? et si oui est-il coupable?


Prudence

Au total, dans la soirée du samedi 5 décembre, le Téléthon 2009 avait recueilli 90.107.555 d'euros de promesses de dons contre 95.200.125 d'euros promis en 2008; une diminution de plus de 5%. La prudence s'impose toutefois ici à double titre. D'abord parce qu'il ne s'agit que de promesses, qui restent à concrétiser. Ensuite parce que des dons peuvent encore être effectués durant une semaine. C'est ainsi qu'en 2008 le Téléthon avait en définitive permis de réunir 104,9 millions d'euros. Il n'en reste pas moins vrai que cinq millions d'euros manquent aujourd'hui à l'appel. Les responsables de l'AFM (dont certains redoutaient que la baisse soit plus importante) ont tenu à faire bonne figure. Laurence Tiennot-Herment, présidente de l'association a ainsi fait part de sa «grande satisfaction» et expliqué que les difficultés économiques que rencontrent les Français ont pu avoir «un impact négatif sur une partie des donateurs potentiels». Quant à la polémique déclenchée par Pierre Bergé, elle a estimé qu'il s'agissait d'une opération «calculée» et «organisée sciemment» avant le lancement du Téléthon.

Entre autres conséquences cette polémique aura eu pour effet de remettre en lumière la position dominante qu'occupe depuis près de vingt ans l'AFM dans le monde associatif vivant de la charité publique et finançant la recherche médicale. Depuis 1987, les différents Téléthons ont permis de réunir plus d'1,5 milliard d'euros et l'AFM se situe désormais au cœur même de la recherche concernant la génétique médicales et les maladies orphelines.

La situation de monopole dont jouit l'AFM ne va bien évidemment pas sans susciter quelques jalousies dans un monde associatif caritatif où règne une solide concurrence. Elle pose aussi, comme ce fut le cas dans le domaine de la recherche sur le cancer, tous les problèmes inhérents à l'articulation de l'action publique et de la liberté de l'initiative associative. Il y a peu, en réponse aux premières accusations de Pierre Bergé, Valérie Pécresse, ministre de la Recherche, avait tenu à rappeler toute l'importance que le gouvernement accordait aux sommes récoltées par la charité publique et qui financent aujourd'hui en France 70% de la recherche sur les maladies rares: «Les associations permettent, grâce aux appels aux dons qu'elles font, de nourrir la recherche française, et donc le rôle de ces associations est absolument crucial.»

Pour sa part l'AFM se refuse clairement à toute forme d'encadrement ou de mise sous tutelle par la puissance publique; et a fortiori de mutualisation des dons: «L'AFM est une organisation spécifique qui ne relève pas de la logique des organismes de recherche publics. Elle doit faire preuve, en permanence, de réactivité pour s'adapter à l'évolution des connaissances et atteindre le plus rapidement possible son objectif: la guérison des maladies neuromusculaires», faisait-elle valoir en 2004 dans sa réponse au rapport la concernant, assez critique sur différents aspects, de la Cour des Comptes: «Elle a dû faire face à une transformation radicale du contexte scientifique, caractérisée par le passage de la génomique à la mise au point des thérapeutiques et des essais cliniques. Cette transformation s'est traduite par une évolution de ses modalités d'action auparavant essentiellement basées sur des appels d'offres auprès de la recherche publique vers un mode d'action intégrant des partenariats industriels et internationaux. Cette évolution a conduit l'AFM à s'adapter rapidement et à privilégier l'action. Organisation toujours en mouvement, l'AFM refuse de se laisser enfermer dans des procédures trop bureaucratiques qui brideraient sa capacité à agir. Il lui semble que les choix scientifiques qu'elle a faits jusqu'à présent se sont traduits par des résultats incontestables, reconnus par la communauté scientifique et les pouvoirs publics.»


Attaque ciblée

Les attaques de Pierre Bergé sont d'une nature radicalement différente de celles lancées par quelques responsables de l'Eglise catholique à la veille du Téléthon de 2006. Celle-ci demandait que les donateurs opposés, pour des raisons religieuses ou éthiques, à des recherches menées sur des cellules obtenues après destruction d'embryons humains, puissent avoir la garantie que leur don ne soit pas affecté à ce type de financement. L'AFM fit alors valoir que ces recherches n'étaient pas interdites par la loi et qu'elle se refusait à organiser un «fléchage des dons» sur des critères éthiques. Alors que le Téléthon 2005 avait recueilli 99 millions d'euros de promesses de dons celui de 2006 devait atteindre 101 millions.

Rien de semblable aujourd'hui. Avec l'édition 2009, c'est la première fois que l'on observe un recul des dons après une attaque ciblée remettant en cause sinon l'AFM du moins sa position dominante et la nature même du spectacle diffusé durant trente heures par France Télévisions; un spectacle qualifié de «populiste» par Pierre Bergé. Faut-il voir là un début de désamour des Français vis-à-vis de ce qui, depuis 1987, constitue une formidable caisse de résonance caritative et populaire dans l'ensemble du pays? Si tel devait être malheureusement le cas rien ne permet de penser que les sommes (pour partie défiscalisées) qui ne seraient pas données à l'AFM se reporteraient mécaniquement vers d'autres causes, tout aussi nobles.

En toute hypothèse, l'heure semble venue pour l'AFM d'évoluer tout comme doit évoluer le spectacle ritualisé du début du mois de décembre. Le moment semble venu de songer à modifier cette «recette» qui réunit l'exposition d'enfants myopathes et l'exhortation hystérique par des animateurs-bateleurs à l'augmentation continuelle du volume des dons; le tout associé à une accusation désormais récurrente, explicite: ne pas donner c'est condamner les malades alors que les chercheurs sont sur le point de proposer des médicaments salvateurs.

«Aujourd'hui, 30 maladies sont aux portes du médicament. Avec détermination, nous mettrons toutes nos forces pour que le mot ''guérison'' devienne une réalité pour le plus grand nombre, a déclaré la présidente de l'AFM lors du Téléthon 2009, sur le même mode que les années précédentes. C'est l'année où on a des résultats formidables, en thérapies génique et cellulaire, qui ouvrent la voie pas seulement à des maladies rares mais aussi à des maladies bien plus fréquentes.»

La vérité est que des résultats prometteurs ont bien été obtenus en laboratoire à partir de travaux financés (pour partie) par l'AFM, qu'il s'agisse de la création de peau humaine ou d'une forme rare de maladie neurodégénérative (voir Slate des 7 et 20 novembre). L'autre vérité est qu'il faudra encore longtemps avant que ces résultats ne se transforment en de véritables avancées thérapeutiques.

Source : Slate.fr, Jean-Yves Nau, 07.12.2009 (à retrouver sur http://www.slate.fr/story/14097/pierre-berge-responsable-mais-pas-coupable)

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