lundi 28 septembre 2009

Ankara manœuvre habilement entre Bruxelles et Moscou


En signant un important accord énergétique avec la Russie le 6 août 2009, similaire à celui qu'elle avait signé avec l'Union européenne le 13 juillet dernier, la Turquie se positionne à une place essentielle sur l'échiquier énergétique européen. Et gagne considérablement en poids politique et géopolitique.


La visite du Premier ministre russe Vladimir Poutine en Turquie, le 6 août 2009, a été couronnée d'un succès "assez inattendu", se réjouit le webzine moscovite Vzigliad : une vingtaine d'accords de premier plan ont été signés, dont douze dans le domaine énergétique. Ankara a notamment accepté que le gazoduc South Stream, voulu par Moscou, passe dans ses eaux territoriales en mer Noire. L'accord d'Ankara était primordial pour que puisse être lancé un chantier pharaonique de 25 milliards de dollars, piloté par le russe Gazprom et l'italien ENI, censé permettre à l'horizon 2010 d'acheminer en Europe le gaz russe sans passer par l'Ukraine.

Même satisfaction dans les colonnes du quotidien turc Milliyet sous la plume de Sami Kohen : "Si l'on prend en compte les nombreux accords signés et les résultats concrets auxquels Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan [le Premier ministre turc] sont parvenus, on peut sans aucun doute dire que la courte visite de Vladimir Poutine aura été la plus réussie de ces dernières années." Le journaliste analyse les raisons du rapprochemen

t russo-turc : "Ankara voit en la Russie un pays puissant qui respecte ses intérêts économiques et politiques, ainsi que ses efforts pour être un facteur d'équilibre dans la région. La Turquie s'est aussi découvert un grand potentiel économique en Russie, surtout dans les domaines du commerce et du tourisme. Moscou, pour sa part, trouve que la Turquie est un pays qui agit de manière indépendante et impartiale dans la région. Son statut de pays de transit pour le gaz encourage la Russie à lui donner encore plus d'importance. L'atmosphère de méfiance a disparu entre les deux pays, surtout grâce au développement de leurs liens économiques."

Erdal Safak, le rédacteur en chef du quotidien Sabah, appo

rte un autre argument. "En août 2008, pendant la guerre russo-géorgienne, Moscou a changé son point de vue sur la Turquie du fait de la politique équilibrée et mesurée qu'a menée Ankara. Peut-être est-ce une simple coïncidence si Poutine est venu en Turquie à la veille du premier anniversaire de cette guerre, mais le message est simple : les relations entre la Turquie et la Russie ont changé."

Toutefois, le quotidien moscovite en ligne Gazeta.ru reste prudent : "Il n'est pas entièrement garanti que la Turquie ne change pas d'avis" sur South Stream, écrit-il. "Ankara peut mettre à profit ses bonnes relations avec la Russie, soit pour faire accélérer son entrée dans l'Union européenne (UE), soit pour maintenir son indépendance sur l'échiquier international, très avantageuse d'un point de vue géopolitique." Il n'a pas échappé au quotidien que, le 13 juillet 2009, la Turquie avait signé avec l'UE un accord énergétique similaire à celui de South Stream mais, cette fois-ci, pour lancer la construction du gazoduc Nabucco, destiné à acheminer le gaz de la mer Caspienne vers l'Europe sans passer par la Russie et donc à permettre à l'UE de réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis de Moscou. "Entre South Stream et Nabucco, les autorités turques choisiront le projet le plus avantageux économiquement et p

olitiquement", assure Gazeta.ru.

Gila Benmayion, chroniqueuse du quotidien Hürriyet, relève également l'ambiguïté de la situation : "Il ne faut pas oublier que South Stream et Nabucco sont des projets concurrents. Les experts soulignent que, inévitablement, un des projets devra être ajourné faute de financement. Alors pourquoi donner le feu vert à un projet qui met en danger Nabucco ?"

Dans l'immédiat, le rapprochement russo-turc fait e

n tout cas une victime – l'UE –, constate Klaus-Dieter Frankenberger, éditorialiste à la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Pris entre la Russie, qui joue de l'arme énergétique pour peser sur la politique des autres pays et voit le projet Nabucco d'un très mauvais œil, et la Turquie, qui cherche à s'imposer comme étape essentielle entre les pays producteurs d'hydrocarbures et l'Europe, les Vingt-Sept peinent à tirer leur épingle du jeu. En particulier, avoir vu Silvio Berlusconi faire le déplacement à Ankara pour donner sa "bénédiction souriante" au projet South stream, auquel doit participer l'entreprise italienne ENI, irrite le journaliste allemand. "Les expéditions en solo de dirigeants politiques ou de chefs d'entreprise mettent malheureusement à mal tous les appels lancés pour mettre enfin en œuvre une véritable politique énergétique européenne. (...) Pourquoi l'UE s'échine-t-elle en permanence à réduire son propre pouvoir de négociation ?"


Source : Courrier International, article publié le 7 Août 2009 dans la rubrique "A LA UNE > Europe - Moyen-Orient" (à retrouver sur http://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/2009/08/07/ankara-manoeuvre-habilement-entre-bruxelles-et-moscou)


Les principaux flux d'hydrocarbures traversant la Turquie : oléoducs et gazoducs existants et en projet

Source de la carte : http://acturca.wordpress.com/2007/02/21/turquie-la-sublime-por-te-de-lenergie/

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