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dimanche 13 juin 2010

Kılıçdaroğlu (CHP) s'inquiète du tournant pris par la politique étrangère turque, l'AKP lui fait pression sur l'UE


Le 13 juin 2010, lors d’un meeting à Amasra sur la mer Noire, Kemal Kılıçdaroğlu a vivement critiqué les choix diplomatiques du gouvernement de l’AKP en déclarant que le parti au pouvoir avait déplacé l’axe des équilibres de la politique étrangère turque. « Dans bien des milieux qui comptent, on commence à s’interroger sérieusement sur notre changement d’axe, c’est le résultat de la politique de l’AKP », a déclaré le leader du CHP avant de poursuivre : « Il y a une crise de confiance avec l’Ouest du fait de cette politique, l’AKP doit corriger le tir immédiatement, si ce n’est pas fait, les résultats seront encore pires dans un très proche avenir. » Selon lui, cette nouvelle diplomatie dévoile en réalité le vrai visage de l’AKP. En s’exprimant de la sorte, le leader kémaliste a voulu se faire l’écho de l’inquiétude que ressent à l’heure actuelle une frange de l’opinion publique turque, en particulier ses élites occidentalisées que le « Non » de leur pays, le 9 juin dernier, au Conseil de sécurité des Nations Unies, inquiètent au plus haut point. Nombre de ces élites, et plus généralement les gens issus des milieux laïques, déclarent avoir peur du tour pris par la politique étrangère turque depuis quelques semaines, suite aux derniers développements du dossier nucléaire iranien et aux réactions du premier ministre à l’affaire de la flottille. Il y a dans cette opinion le sentiment qu’un tournant a été pris, et que celui-ci n’aurait pas que des enjeux diplomatiques mais qu’il conforterait la dimension islamique, pour ne pas dire islamiste de l’AKP.


C’est également des bords de la mer Noire, lors d’un meeting à Rize, que Recep Tayyip Erdoğan ( évoqué la diplomatie turque actuelle pour répondre à Kemal Kiliçdaroglu : « Ceux qui pensent que la politique étrangère a changé d’axe sont incapables de comprendre le nouveau rôle que joue la Turquie et le caractère multidimensionnelle qu’a pris sa politique étrangère. » Au lendemain du vote négatif formulé par la Turquie à l’égard du projet de sanctions contre l’Iran, la semaine dernière, le premier ministre turc avait déjà infirmé l’idée que la Turquie se détournait de l’Ouest en qualifiant même un tel point de vue de « sale propagande ». Mais il s’en était pris aussi à l’Union Européenne (UE) en estimant que la politique étrangère suivie par la Turquie était aussi un message adressé « à ceux qui au sein de l’Europe veulent créer des obstacles à l’adhésion turque. » Il avait surenchéri en déclarant que l’UE était même actuellement soumise à un test quant à la sincérité de ses intentions à l’égard de la Turquie et qu’elle ne s’en rendait même pas compte. Dimanche, à Rize, Recep Tayyip Erdoğan, après sa réponse au leader kémaliste, a de nouveau adressé un message à l’UE, en lui reprochant de faire trainer l’intégration de la Turquie depuis 50 ans. « Il n’y a pas d’autres pays dans le cas de la Turquie. Nous avons mis en place un ministère spécial pour notre candidature, confié à Egemen Bağış, qui a rang de ministre d’Etat. Nous faisons tout ce que nous pouvons, mais ils continuent à nous maintenir en dehors. », a-t-il déclaré avant de conclure que si l’UE voulait démontrer qu’elle n’était pas un club chrétien, elle devrait admettre la Turquie en son sein.

Répondant à Nicolas Bourcier, à l’occasion d’une interview parue dans Le Monde, le 12 juin, Abdullah Gül a lui aussi évoqué la candidature de son pays à l’UE, mais en des termes plus nuancés. Estimant que « l’UE ne facilitait pas les choses » et que la Turquie devait aussi faire le nécessaire pour intégrer l’acquis communautaire, le président de la République a surtout évoqué, pour sa part, la cécité stratégique qui serait celle des Européens, en estimant que si l’UE ouvrait enfin les yeux, elle intégrerait la Turquie rapidement. Il a regretté en particulier que Bruxelles ne se fasse pas assez entendre sur la scène internationale, ce que l’affaire de la flottille et le dossier nucléaire iranien auraient à nouveau montré, avant de laisser entendre que l’intégration de la Turquie rendrait l’Europe plus forte.

Les derniers développements de la politique internationale, qui ont vu la Turquie aux avant-postes, risquent sans doute d’accroître la pression sur les Européens afin qu’ils précisent leurs intentions, quant au devenir de la candidature turque. Le gouvernement turc est de plus en plus impatient et temps des réponses dilatoires semble être révolu.

Source : Blog de l'OVIPOT, Jean Marcou, 13.06.2010 (URL : http://ovipot.blogspot.com/2010/06/kemal-klcdaroglu-sinquiete-des.html)

samedi 12 juin 2010

Jean Marcou analyse le "non" turc au Conseil de sécurité des Nations Unies : "la Turquie n’est plus un allié contraint du bloc occidental"


Pour la quatrième fois depuis 2006, le Conseil de sécurité des Nations Unies a infligé, le 9 juin 2010, un nouveau train de sanctions à l’Iran, ce dernier ayant refusé de cesser ses activités nucléaires sensibles. Cette décision initiée par les Etats-Unis et soutenue par les autres membres permanents du Conseil de Sécurité, a été adoptée par 12 votes contre 2 et une abstention. La Turquie et le Brésil ont voté contre et le Liban s’est abstenu. Compte tenu des derniers développements de l’actualité politique internationale, le «Non» turc n’est pas vraiment une surprise, mais il constitue un tournant qui a relancé, ces derniers jours, les supputations sur les orientations prises par la politique étrangère d’Ankara et la fameuse question : «La Turquie se détourne-t-elle de l’Occident ?»

Le refus d’Ankara de voter les sanctions proposées par les Etats-Unis vient confirmer une ligne constante de la diplomatie turque, au cours de l’année qui vient de s’écouler. Alors même qu’en septembre 2009, la découverte des nouvelles activités nucléaires de l’Iran avait amené le groupe des Six à brandir la menace de nouvelles sanctions contre la République islamique, la Turquie a défendu envers et contre tout l’idée qu’il fallait privilégier la voie diplomatique, en se posant en médiateur du conflit. N’hésitant pas à qualifier Mahmoud Ahmadinejad « d’ami », critiquant les pays occidentaux qui suspectent l’Iran de fabriquer un armement nucléaire dont eux se sont dotés et dont Israël est officieusement le détenteur, Recep Tayyip Erdoğan n’a cessé par la suite d’affirmer qu’une solution diplomatique restait possible. Cette position a atteint son paroxysme par la suite, au printemps 2010, lorsqu’elle a rencontré celle du Brésil, refusant lui aussi la perspective de nouvelles sanctions contre l’Iran. Ainsi à la mi-avril 2010, lors du sommet sur la sécurité nucléaire de Washington, Ankara et Brasilia se sont retrouvées côte à côte pour abjurer les Etats-Unis de ne pas abandonner les négociations avec Téhéran. Le 17 avril 2010, surtout, la Turquie et le Brésil ont signé un accord avec l’Iran reprenant la proposition faite par l’AIEA de fournir à la République islamique le combustible enrichi à 20% dont elle a besoin, notamment pour un réacteur de recherche médical, contre la livraison des stocks d’uranium qu’elle a enrichis. Cet accord présenté par ses signataires comme la solution au conflit n’a pourtant pas convaincu les Etats-Unis, car l’Iran ne s’est pas engagé à stopper sa production d’uranium enrichi. Avec le soutien de tous les membres permanents du Conseil de sécurité, y compris la Chine et la Russie, Washington a donc immédiatement répondu à l’accord tripartite du 17 mai par le projet de sanctions qui a été adopté, mercredi.

La sensation provoquée par le refus turc de ce projet a été accrue par le contexte politique international des deux dernières semaines. Il y a 15 jours, en effet, la totalité des membres signataires du TNP (Traité de Non Prolifération nucléaire) ont adopté une décision convoquant en 2012 une conférence dont l’objectif sera de promouvoir la dénucléarisation du Moyen-Orient, et demandé à l’Etat hébreu de renoncer à la bombe atomique, d’adhérer au TNP et de soumettre ses installations nucléaires aux inspections internationales. Par la suite, après le raid israélien sur le «Mavi Marmara», le 31 mai, la Turquie et Israël se sont affrontés au plus haut niveau, notamment au Conseil de Sécurité des Nations Unies où Ankara est parvenue à faire adopter un texte condamnant Tel-Aviv, en demandant une enquête internationale.

La portée de la décision d’Ankara de ne pas voter les sanctions proposées contre l’Iran doit être aussi examinée au regard de l’évolution plus globale suivie par la diplomatie turque depuis l’arrivée de l’AKP au pouvoir. En 2003, le Parlement turc avait refusé le débarquement sur son territoire de troupes américaines devant ouvrir un deuxième front en Irak. Il faut rappeler néanmoins qu’à l’époque cette décision avait été adoptée contre l’avis de Recep Tayyip Erdoğan et de son gouvernement. Plus généralement depuis sa réélection en 2007, le gouvernement de l’AKP n’a cessé de suivre une stratégie qui tend à faire apparaître la Turquie comme une puissance régionale et à accroître sa marge de manœuvre à l’égard des Américains. En août 2008, la diplomatie turque s’était montrée prudente lors du conflit Russo-Géorgien en donnant des gages à Moscou de sa neutralités et en faisant respecter scrupuleusement aux navires de secours envoyés par Washington les obligations du Traité de Montreux, pour le passage des détroits (Dardanelles, Bosphore) donnant accès à la mer Noire. Quelques mois plus tard, Ankara avait contesté la nomination au secrétariat général de l’OTAN du danois Anders Fogh Rasmussen à qui elle reprochait implicitement son soutien à l’intervention américaine en Irak et son refus de censurer, dans son pays, la publication les caricatures du prophète Mahomet, alors qu’il était premier ministre. À la fin de l’année 2009, la Turquie faisait de nouveau entendre sa différence, en refusant de céder à l’invitation américaine d’accroître son contingent militaire en Afghanistan.

Le secrétaire américain à la défense, Robert Gates, s’est dit «déçu» par le vote négatif de la Turquie au Conseil de sécurité, le 9 juin 2010, tout en reconnaissant que «des alliés ne sont pas toujours d’accord sur tout». Toutefois, il a également estimé que l’attitude des pays européens à l’égard de la candidature turque à l’UE n’était pas étrangère à cette situation, en déclarant en particulier : «S’il y a quoique ce soit de vrai dans la notion que la Turquie se penche à l’est, c’est largement selon moi parce qu’elle y a été poussée, poussée par certains en Europe qui refusent de donner à la Turquie le genre de liens organiques qu’elle recherche avec l’Occident.» Cette opinion a été corroborée par le ministre italien des affaires étrangères, Franco Frattini, qui a estimé que les Européens avaient commis «l’erreur» de pousser la Turquie vers l’est au lieu de l’attirer à eux. Pour sa part, le premier ministre turc a démenti l’idée que la Turquie se détournait de l’Occident en la qualifiant même de «sale propagande». Le 10 juin 2010, lors d’un forum économique turco-arabe, à Istanbul, il a expliqué que voter des sanctions diplomatiques contre l’Iran la veille aurait été un «acte déshonorant » équivalent à «se renier soi-même», après l’accord tripartite du 17 mai dernier.

En fait, il est indiscutable que le «Non» turc du 9 juin au Conseil de sécurité confirme tant la montée de la Turquie dans son espace régional que sa forte présence désormais sur la scène mondiale. Cette situation change probablement la nature même de la candidature turque à l’UE. Longtemps confinée dans un statut de poste avancé de l’Europe au Proche-Orient, la Turquie n’a pas coupé le cordon ombilical avec ses alliés occidentaux mais, jouant de ses atouts économiques et stratégiques, elle estime qu’elle dispose à leur égard d’une marge de manœuvre accentuée. Toutefois, cette marge de manœuvre n’est pas extensible à l’extrême. À cet égard, c’est aussi la rhétorique employée ces derniers temps par la diplomatie turque et nombre d’attitudes adoptées par ses principaux acteurs qui suscitent des interrogations chez ses alliés occidentaux. Car une chose est d’affirmer la nécessité de privilégier le dialogue sur le dossier nucléaire iranien, autre chose est de proclamer son amitié avec le leader de la République islamique. Une chose est de dénoncer le blocus israélien de Gaza, autre chose est s’afficher aux côtés du Hamas. Pour s’affirmer en tant que puissance régionale et tirer parti de sa profondeur stratégique, la Turquie n’est pas obligée de donner des gages aux acteurs les plus radicaux du monde arabo-musulman, au risque de plonger ses alliés occidentaux dans une perplexité qui pourrait se muer rapidement en sérieux doute. Mais il est vrai aussi que les Occidentaux, et les Européens en particulier, doivent en retour prendre conscience de la position que ce pays a acquis aujourd’hui dans le monde en cessant de le considérer comme une marche de leur Empire pour lui reconnaître la place et les fonctions qui lui reviennent dans le nouvel ordre international. Ce qui a changé finalement depuis la guerre froide, c’est que la Turquie n’est plus un allié contraint du bloc occidental. Dès lors, ce dernier pour préserver cette alliance devra de plus en plus gagner la Turquie, s’il ne veut pas la perdre.

Source : Blog de l'OVIPOT, Jean Marcou, 12.06.2010 (URL : http://ovipot.blogspot.com/2010/06/sanctions-contre-liran-au-conseil-de.html)

mercredi 26 mai 2010

La Turquie, la culture, la démocratie, l'armée et la laïcité ...


À cheval sur l’Europe, l’Asie centrale 
et le Moyen-Orient, la Turquie, qui est 
à un tournant de son histoire, s’interroge. Adhésion à l’UE, démocratie, 
question kurde, devoir mémoriel (massacres d’Arméniens 
de 1915), poids de l’armée et laïcité sont au cœur des débats.


Des tulipes. Jaunes, rouges, blanches. On ne voit que ça dans les parcs et jardins d’Istanbul. Pourquoi cette fleur ? Parce que c’est le symbole de l’Empire ottoman. Après plus de quatre-vingts ans de kémalisme, la Turquie semble renouer avec son passé. « Dans les milieux intellectuels comme dans les couches sociales défavorisées, une certaine forme de passéisme gagne du terrain. Et la nostalgie ottomane, qui a été occultée, revient en force, notamment sur la scène politique et culturelle », écrit Nedim Gürsel (1). Tant et si bien que le programme d’« Istanbul, capitale européenne de la culture 2010 » (470 projets artistiques et culturels) a fait en sorte de raviver cette nostalgie à travers des spectacles en sons et lumières, des expositions, la littérature, les arts, les concerts et la restauration des vestiges de l’ancienne capitale ottomane. Mais le passé hittite, romain et byzantin n’est pas oublié, non plus que la période contemporaine.


La culture est en train d’agoniser

Envers du décor ! « Capitale de la culture européenne ? », s’étonne Emre. « Jusque-là, on n’a rien vu. On ne peut pas dire que les 14 millions de Stambouliotes soient concernés », ajoute-t-il. « C’est superficiel ! C’est pour donner l’impression à l’Union européenne que la Turquie maintient le cap », estime Maya Arakon, professeur de relations internationales à l’université Yeditepe d’Istanbul. Selon elle, « la culture est en train d’agoniser. Faute d’investissements, le centre culturel Atatürk a fermé et on n’en a pas ouvert de nouveaux. Le plus vieux cinéma d’Istanbul, Emek, au plafond de style baroque, créé en 1923, situé dans un immeuble datant de 1860 sur l‘avenue Istiklal en contrebas de la place Taksim, risque de disparaître ». L’immeuble va laisser place à un centre commercial en verre et béton ! Architectes et intellectuels se battent pour le sauver. « Fermer ce cinéma a un sens symbolique », ajoute-t-elle. « Rien n’est fait pour vraiment valoriser le patrimoine ancien », constate un artiste indépendant rencontré à Sultanahmet. « On est en train de faire du vieux Istanbul une cité touristique, tandis que le peuple est de plus en plus repoussé vers les lointaines banlieues. »

Symboles de la modernité mais aussi lieux de contestation politique, la place Taksim et l’avenue Istiklal, immense voie piétonnière dans la partie européenne de la ville. Ici, dit-on, transitent deux millions de personnes par jour ! Ce samedi, autour du monument en hommage à Mustapha Kemal et à ses compagnons, des lycéens membres d’un parti d’extrême gauche exigent un accès plus démocratique à l’enseignement supérieur. Plus haut, autour d’un stand, une exposition de photos sur le dur métier des hommes du feu organisé par le syndicat des pompiers d’Istanbul dénonçant la sous-traitance du métier au profit d’entreprises privées. À proximité, des militants de l’AKP (Parti de la justice et du développement, issu de la mouvance islamiste) distribuent des roses aux femmes. En contrebas, de jeunes militants du Parti communiste de Turquie (PCK) distribuent des tracts dénonçant le « régime fasciste » turc  ! Tous appellent à la mobilisation pour le 1er Mai : pour la première fois dans l’histoire de ce pays, syndicats et organisations de masse ont été autorisés à commémorer la Fête du travail. Les années précédentes, sur cette place, le 1er Mai était le théâtre de heurts violents entre manifestants et forces de police. Tout comme a été autorisée (pour la première fois) la commémoration des massacres de masse d’Arméniens de 1915. Est-ce à dire que la Turquie sous le gouvernement de l’AKP se démocratise ? « Non et oui », répond Fatih Polat, journaliste au quotidien Evrensel, organe de l’Emep (Parti du travail de Turquie, gauche marxiste). « Un des succès de l’AKP est d’avoir fait reculer le poids de l’armée dans la vie publique », explique-t-il. « Pour le reste, il y a beaucoup à dire. Par exemple, concernant la révision constitutionnelle, il est peu probable que l’article 1, qui parle de nation turque, ignorant l’existence des minorités dont les Kurdes, soit modifié. Si ce gouvernement a autorisé la création d’une chaîne de télé en langue kurde (TRT 6), ce qui est une bonne chose, il n’en reste pas moins qu’il a demandé à Bruxelles d’interdire ROJ TV, basée en Belgique, sous prétexte qu’elle est proche du PKK (Parti du travail du Kurdistan, en lutte armée contre Ankara). Autres exemples : le maire de Sur (Kurdistan) ainsi que 1 200 membres du DTP (Parti pour une société démocratique, interdit avant de devenir BDP, Parti de la paix et de la démocratie) sont incarcérés. Deux de ses dirigeants, les députés Ahmet Türc et Aysel Thgluk, sont interdits de parole. La condamnation récente de Leila Zana en premier appel à trois ans de prison a choqué l’opinion et provoqué un fort mouvement de sympathie en sa faveur en Turquie », poursuit-il. Pour avoir déclaré au Parlement lors d’un débat retransmis par la télé publique turque qu’« une guerre se déroule en ce moment même en Turquie » à propos de la situation au Kurdistan, la députée kurde Sebahat Tuncel s’est fait violemment tancer par le président du Parlement et insulter par des députés du CHP (kémaliste) et du MHP (ultranationaliste).


Une région sous tension extrême

Mais signe que la question kurde n’est plus taboue : la réaction de la pop star turque Hakan Peker, qui a interpellé publiquement lors d’un concert à Istanbul le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, au sujet du Kurdistan. « On aurait dû régler le problème kurde il y a dix ans », s’inquiète Ebru Kus Sen, du comité d’organisation d’Istanbul capitale européenne de la culture. La jeune femme craint « que ce soit plus difficile aujourd’hui, tant les positions des uns et des autres se sont radicalisées ». En effet, pas un jour ne passe sans qu’un soldat turc ou des membres du PKK soient tués dans cette région sous tension extrême.

Quant à l’armée, qui se veut la gardienne des dogmes kémalistes dont la laïcité, et qui par trois fois a renversé des gouvernements, elle entretient des rapports crispés avec le gouvernement AKP. De fait, elle a usé de divers moyens pour le renverser  : il y a eu la proposition du gouvernement de levée de l’interdiction du port du foulard par les étudiantes à l’université avec à la clé une tentative d’interdiction de l’AKP par la Cour constitutionnelle sous prétexte d’atteinte à la laïcité, puis la tentative d’empêcher l’élection à la présidence turque d’Abdullah Gül en 2008, ce qui a provoqué des élections législatives anticipées remportées par ce même AKP en juillet de la même année … L’affaire Energekon en 2009-2010, du nom d’une organisation clandestine ultranationaliste regroupant des officiers supérieurs de l’armée à la retraite, démantelée après la découverte d’un plan de déstabilisation du pays : assassinats d’hommes politiques, de journalistes et d’intellectuels, attentats à la bombe, provocations d’incidents armés à la frontière turco-grecque, bombardement de mosquées islamistes ! Le tout visant à créer une situation d’instabilité généralisée propice à une intervention militaire avec à la clé la proclamation de l’état d’urgence, la dissolution du gouvernement et du Parlement ! L’affaire, qui a fait grand bruit, est loin d’être terminée. Plusieurs dizaines d’officiers supérieurs à la retraite ont été interpellés. La « grande muette » se défend. « Nos soldats crient Allah Akbar quand ils combattent l’ennemi. Comment ose-t-on nous accuser de vouloir bombarder des mosquées », s’indigne l’un de ses responsables ! « Mon sentiment est que l’armée ne s’est pas rendu compte que les temps ont changé, que la guerre froide est terminée et que rien ne peut plus être caché », assure Maya Arakon.

Pour l’heure, cette affaire Energekon semble servir le Premier ministre et son parti, l’AKP. Aussi, profitant que l’armée soit sur la défensive, ont-ils décidé d’enfoncer le clou. Le Parlement vient en effet d’adopter un projet de révision constitutionnelle qui sera soumis à un référendum. But de l’opération : réduire l’influence de l’armée et celle de ses relais kémalistes au sein des institutions étatiques. Sont visés le puissant Conseil supérieur de la magistrature (HSYK), qui nomme les magistrats et la Cour constitutionnelle, deux bastions kémalistes laïques en conflit ouvert avec l’AKP, dont ils ont tenté d’interdire l’activité. Au nom d’une « laïcité infiniment plus dure que la laïcité française » et d’une conception de la nation turque niant l’identité kurde (2), ces deux institutions sont derrière les interdictions d’activité des partis et des députés kurdes, du port du foulard par les étudiantes à l’université et dans les institutions publiques, les poursuites contre les intellectuels appelant à un travail de mémoire sur les massacres d’Arméniens. D’où, à travers cette révision constitutionnelle, la volonté de rendre plus difficile la dissolution des partis politiques par le HSYK et la Cour constitutionnelle. L’opposition laïque, qui soupçonne l’AKP d’avoir un « agenda caché », affirme que le but de cette révision constitutionnelle est d’islamiser en « douceur » la société turque.

Abderrahmane Dilipak, écrivain et journaliste au Valeit Daily News, membre de Human Rights Watch, ténor de l’islamisme turc, qui dénonce « la théocratie laïco-kémaliste », s’en félicite  : il soutient la révision constitutionnelle. « La laïcité  ? Je ne suis ni pour ni contre. C’est un prétexte pour empêcher la société d’avancer. On est dans un pays musulman où on ne peut pas pratiquer librement sa religion. On essaie de l’emprisonner dans les mosquées », affirme-t-il sans se démonter. La Turquie, pays émergent, membre du G20 mais aussi deuxième puissance militaire de l’Otan, qui a doublé son PIB en cinq ans, à cheval sur le Moyen-Orient, l’Asie centrale et l’Europe dont elle veut être membre, puissance régionale incontournable, est à un tournant de son histoire. La modernisation à l’occidentale imposée avec une main de fer par les kémalistes, qui n’est pas, selon Altan Golpak, « un projet de modernité », semble avoir atteint ses limites (3). Si une majorité de Turcs reste attachée à la laïcité, l’islam turc n’a pas encore tout à fait tranché en son sein le vieux débat opposant les tenants d’une islamisation de la modernité et ceux qui prônent la sécularisation de la religion.

(1) Nedim Gürsel, La Turquie, une idée neuve en Europe, Empreinte. (2) Altan Gokalp, « Turquie  : les tabous 
d’une démocratie » in la Pensée du midi n° 19, novembre 2006. (3) Idem.

Source : L'Humanité, Hassane Zerrouky, 25.05.2010 (URL : http://www.humanite.fr/2010-05-25_International_La-Turquie-entre-modernite-et-resurgence-identitaire)

lundi 12 avril 2010

Recep Tayyip Erdoğan, conciliant sur l'adhésion et l'immigration, offensif sur la sécurité au Moyen-Orient


Après la visite en demi-teinte du président Abdullah Gül à Paris, l’année dernière, pour l’ouverture de la saison turque, celle premier ministre Recep Tayyip Erdoğan, les 6 et 7 avril derniers, à l’occasion de la clôture de cette manifestation de coopération culturelle, apparaissait à bien des observateurs comme le déplacement de tous les dangers. On sait que la France est actuellement l’un des pays membres de l’UE les plus opposés à la candidature européenne d’Ankara et que le premier ministre turc est par ailleurs facilement enclin à ne pas mâcher ses mots. Eu égard à ce contexte délicat, le bilan du séjour parisien du premier ministre turc apparaît donc comme plutôt positif, mais Recep Tayyip Erdoğan avait peut-être déjà l’esprit ailleurs….


Tout en venant la tête haute, fort des derniers résultats économiques flatteurs de son pays (croissance positive de 6% au 4e semestre 2009), c’est plutôt la méthode douce que le chef du gouvernement turc avait choisi pour faire valoir sa cause. Sûr de lui (n’avait-il pas déclaré en Bosnie, quelques heures avant son arrivée à Paris : «tôt ou tard nous adhérerons à l’UE»), Recep Tayyip Erdoğan s’est voulu plutôt pédagogue, dans un pays dont les dirigeants actuels restent à convaincre. À l’occasion d’une interview donnée au quotidien «Le Figaro» et parue le jour de son arrivée à Paris, il a rappelé que la France n’avait pas toujours été hostile à l’adhésion de la Turquie, et souligné la vitalité des relations économiques et culturelles qui existent actuellement entre les deux pays. Évoquant la visite récente d’Angela Merkel, qualifiée par lui-même de «fructueuse», il a invité le président Sarkozy en Turquie, afin qu’il puisse se rendre compte que celle-ci a beaucoup changé et qu’elle ne sera «pas un fardeau pour l’Europe» à l’instar de pays que les Européens ont admis un peu trop vite pour des raisons politiques, ce qui les amènent aujourd’hui à payer le prix fort d’adhésions qui ont été, selon lui, prématurées.

Conciliant Recep Tayyip Erdoğan l’a été aussi sur le terrain de l’immigration, un domaine particulièrement sensible en France, ces derniers temps. Incitant à l’intégration, 6000 immigrés turcs venus l’entendre prononcer un long discours, il a condamné l’assimilation et redit qu’il la considérait comme «un crime contre l’humanité.» Mais, il a surtout demandé à ses compatriotes, sans cesser d’être des Turcs, d’être aussi des Européens et des Français à part entière : « Chacun d’entre vous êtes les diplomates de la Turquie dans le pays dans lequel vous vivez, s’il vous plaît, apprenez la langue du pays dans lequel vous vivez, soyez actifs dans la vie culturelle et sociale… La France vous a donné le droit à la double nationalité, pourquoi vous ne la demandez pas ? Ne soyez pas réticents, ne soyez pas timides, utilisez le droit que la France vous donne… » Alors même que ce genre de discours a souvent été ressenti dans d’autres pays d’Europe (Allemagne, Belgique) comme une attitude tendant à remettre en cause l’intégration d’importantes communautés immigrés, le premier ministre turc a estimé que la France restait «l’amie et l’alliée de la Turquie» et s’est même réjoui qu’elle accueille bien les immigrants turcs, en louant «la bienveillance de l’administration française». Cela ne l’a pourtant pas empêché, comme en Allemagne, de revendiquer la création d’écoles turques en France, car, a-t-il expliqué, ce pays a plusieurs écoles et collèges en Turquie. Ce discours, tout en nuances, aura donc bien confirmé que le chef du gouvernement turc fait de plus en plus des communautés turcs importantes existant dans un certain nombre de pays européens importants (Allemagne, Belgique, Pays-Bas, France), un atout important pour la candidature d’Ankara à l’UE.

Mais l’essentiel n’était-il pas ailleurs ? Eu égard, à l’agenda international des prochains jours, l’escapade de Recep Tayyip Erdoğan en France, n’était peut-être qu’une étape sur la route qui doit le mener à Washington, où se tiendra les 12 et 13 avril prochains, le sommet sur la sécurité nucléaire. Sur ce sujet-là, en tout cas, le premier ministre turc s’est montré beaucoup plus offensif pour exposer sa propre conception de la sécurité au Moyen-Orient. Sur l’Iran, sur le conflit du Proche-Orient et sur les risques de prolifération nucléaire, il a suivi la ligne qui lui vaut à l’heure actuelle le soutien, pour ne pas dire l’admiration du monde arabo-musulman. À Paris, lors d’une rencontre particulièrement significative avec la presse, puisque tenue le 7 avril, quelques heures avant un déjeuner de travail avec le président français, le leader de l’AKP a qualifié Israël de «principale menace pour la paix régionale», en invoquant le rapport Goldstone sur l’offensive israélienne à Gaza. Quant à l’Iran, le chef du gouvernement turc a répété «que son programme nucléaire est uniquement civil» et qu’on ne pouvait pas mettre en accusation un pays pour un risque d’extension militaire que l’AIEA elle-même ne qualifie que de «probabilité». L’argument final, développé par Recep Tayyip Erdoğan, a été une nouvelle fois que l’Etat hébreu possède officieusement l’arme nucléaire et qu’il n’adhère pas au Traité de non prolifération (TNP). Cette tirade, qui a peut-être incité Benyamin Nétanyahou à ne pas se rendre à Washington, en dit long sur l’état d’esprit qui est celui du premier ministre turc avant son arrivée à Washington pour un sommet nucléaire où il y a fort à parier qu’il sera avant tout le représentant d’une puissance régionale qui ne cesse de s’affirmer.

Source : OVIPOT, Jean Marcou, 11.04.2010 (URL : http://ovipot.blogspot.com/2010/04/recep-tayyip-erdogan-paris-les-yeux.html)

dimanche 28 mars 2010

La mue des turcophiles de Turquie Européenne


La Turquie change profondément. Turquie Européenne doit s’adapter. 2004. La polémique sur l’adhésion de la Turquie bat son plein en Europe, en France. La date de début des négociations d’adhésion approche et l’UE se cherche une position défendable. Elle se débat dans un double paradoxe.

- Celui d’un nain politique élargi aux dimensions d’un continent, suscitant des attentes et des espoirs qui la dépassent et la rendent d’autant plus désespérante.

- La question turque vient la cueillir alors que, tout légitimement, se pose celle de la place de l’UE dans une globalisation qui vient d’essuyer le choc du 11 septembre : comment éviter le choc des civilisations et faire face à la montée des sentiments anti-islam partout sur le vieux continent ? Équation délicate s’il en est.

Les enjeux sont énormes, les passions déchaînées. D’un côté comme de l’autre. On entend toutes sortes d’arguments éculés et erronés concernant les risques présentés par une candidature turque, plus généralement par la Turquie. Des simplifications éhontées, des explications sommaires, un vrai processus de diabolisation entre des Européens, des Français certains de défendre, de faire valoir une certaine identité et des Turcs tout aussi assurés de défendre cette européanité qui constitue une part importante de leur propre identité. Et qui dit identité, dit passion.

Turquie Européenne (TE) est fondée à cette date, dans ce contexte. Avec cette envie qui nous brûlait les lèvres et les esprits, de dire, d’expliquer la Turquie que nous connaissions, que nous aimons. Autre cri du cœur. Mouvement largement spontané et inorganisé, l’élan Turquie Européenne a pourtant su se maintenir sur la durée. De part et d’autre, les arguments ont été fourbis, travaillés, élaborés, critiqués. Les positions ont parfois bougé, des lignes se sont estompées, d’un côté comme de l’autre lorsque le débat parvenait, entre deux échéances électorales, à échapper à ce surplus de passion qui a pu parfois nous desservir tout autant que nos contradicteurs.

Mais voilà après tant d’années, la persévérance de Turquie Européenne l’a maintenue dans le débat, de moins en moins dans la polémique, de plus en plus dans l’information, l’éclairage, l’observation des processus à l’œuvre en Turquie. Et insensiblement Turquie Européenne a changé, malgré elle, à l’image de cette Turquie qui mute sous nos yeux. De la défense de la pertinence d’une candidature turque à l’UE, TE est passée à l’éclairage des processus à l’œuvre dans la société turque – montée de la société civile, démocratisation, urbanisation, … - pensant à juste titre que la meilleure chance de la Turquie pour une éventuelle adhésion se tenait précisément dans ces processus d’émergence.


Une inflexion majeure

Aujourd’hui après six ans d’existence, TE ne peut plus envisager son action et son discours de la même façon que trois ou quatre ans plus tôt. L’inflexion majeure s’est produite en 2007. Le 19 janvier de cette année, le journaliste Hrant Dink était assassiné. 200 000 Turcs descendent dans la rue pour ses obsèques. Personne n’a encore mesuré l’ampleur de l’inflexion : c’est un geste massif, majeur et spontané de la société turque. Les grands ordonnateurs qui avaient jusque-là présidé aux mobilisations populaires en Turquie - jouant le plus souvent sur les passions identitaires - sont soufflés, incrédules. Ils nient l’évidence. C’est la preuve même de cette spontanéité qui fait d’un tel geste un geste fondateur pour la Turquie démocratique et civile. En janvier 2008, éclatait l’affaire Ergenekon. Entre temps, l’armée avait tenté de ramener les civils à la raison par un mémorandum électronique qui fit long feu et provoqua un nouveau triomphe électoral du parti au pouvoir l’AKP en juillet 2007.

Deux ans plus tard, il ne reste plus grand-chose du régime de tutelle imposé par l’armée au pays. Quelques résistances d’arrière-garde. La parole et la presse n’ont jamais été aussi libres en Turquie, dynamitant peu à peu tout ce que cette tutelle militaire et mentale avait bétonné au fil des décennies. Ce sont des idées, des propositions, des notions nouvelles qui parcourent l’espace public, suscitent des débats virulents, sont critiquées puis reprises par les institutions, des idées qui contaminent et dictent elles-mêmes l’agenda d’un pouvoir AKP désorienté, dépassé, conservateur et assez peu imaginatif, sentant confusément la nécessité de suivre, d’épouser le mouvement qui, d’une façon ou d’une autre, lui assure son maintien au pouvoir tout en le condamnant à un dépassement (une scission ?) rapide et inéluctable.

Des processus de mutation violente balayent la Turquie : voilà ce qui occupe son agenda, bien plus et bien plus profondément que l’agenda européen qui l’occupait il y a encore 4 ans. La question turque n’est plus européenne, plus exclusivement : elle est turque, elle est globale. Comment la Turquie plongée dans ce grand bain de l’économie, du spectacle, des valeurs globales (la démocratie libérale, la démocratie et le marché global qui imposent leurs systèmes de sens) va-t-elle franchir ce cap ? Nous nous sommes longtemps demandé si après l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir en 2007, la candidature turque et le processus d’adhésion avaient encore quelque pertinence. Si l’existence de TE avait encore un sens. Mais la problématique n’est assurément plus celle-ci. La Turquie n’a plus besoin de l’Europe, de la garantie européenne pour assurer et pour initier des dynamiques internes de modernisation qui, aujourd’hui, tournent à plein dans le pays.

Et la question européenne n’est plus celle de la candidature turque. Elle est avant toute chose celle de l’invention d’une cohérence politique sans laquelle le projet européen ne survivra pas et sans laquelle la candidature turque n’aura pas de sens politique. Mais la recherche de ce projet politique n’est assurément plus celui des pères fondateurs, celui de la paix continentale ; non il s’agit aujourd’hui de la recherche urgente d’un minimum de cohérence et de volonté politique face à ce grand chaos des émergences et des renversements de valeurs vécus dans le bouillon de la globalisation.

La Turquie aux portes de l’Europe, et l’Europe aux portes de la Turquie sont donc confrontées à des problématiques convergentes. Voilà ce qu’il nous revient, à nous TE, d’éclairer aujourd’hui pour que d’ici dix ans, nous puissions avoir les moyens de déterminer si cette convergence peut revêtir une traduction politique, à savoir une adhésion de la Turquie au projet européen.

Pour les deux protagonistes voici la promesse d’une décennie d’énormes défis. Qui saura le mieux les relever ? Les relèveront-ils l’un sans l’autre ?


Source : Turquie Européenne, 24.03.2010 (à retrouver sur : http://www.turquieeuropeenne.eu/article4115.html)

lundi 15 février 2010

Entretien sans langue de bois avec le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan

Processus d'adhésion européenne, question kurde, relations avec l'Arménie, relations turco-israéliennes et question palestinienne ...
Entretien vidéo sans langue de bois avec le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan à l'occasion du lancement d'Euronews en turc :
"les Etats membres ont commis une erreur historique en acceptant la partie sud de Chypre dans l’Union".

Source : Euronews, 30.01.2010 - http://fr.euronews.net/2010/01/30/recep-tayyip-erdogancertains-etats-membres-de-l-union-n-agissent-pas-honnetement/

mardi 3 novembre 2009

"La noisette, poil à gratter des relations turco-italiennes"


L’arrivée en force sur le marché européen de la noisette de Turquie (le premier producteur mondial) et ses conséquences pour la production des noisettes du Piémont (la région du nord-ouest de l’Italie qui détient le nombre le plus important d’industries spécialisées en production et transformation de noisettes) sont au cœur d'une lettre envoyée par un conseiller régional piémontais pour l’agriculture, Mino Taricco, au ministre italien de l’agriculture, Luca Zaia.

En fait, la production turque de noisettes va être soutenue, à partir de l'année prochaine, dans le cadre du système de subventions, qui fait partie des mesures économiques d’aide communautaire de l’instrument de préadhésion (IPA), un fonds européen destiné aux pays candidats dont la Turquie doit bénéficier prochainement. Les producteurs italiens, qui arrivent à la deuxième place au sein la production mondiale, après la Turquie, mais qui sont les premiers de l’Union Européenne (UE), avec 1,1 million de quintaux de production par an, craignent de souffrir de cette situation nouvelle.

Une deuxième réunion officielle s’est tenue, le 29 avril dernier, entre l'Association des producteurs italiens de noisettes et le ministère de l’agriculture. Son but était de créer une dénomination contrôlée de la noisette italienne, basée sur des critères d’exigence concernant notamment les terres de culture qui confèrent aux noisettes italiennes leurs caractéristiques organoleptiques. Cette réunion s’est aussi employée à élaborer une stratégie de protection et de promotion de la production des noisettes italiennes, face à la concurrence venant de l’étranger, notamment de Turquie (qui détient 78% de la production mondiale totale).

Lors de cette réunion également, l’Association des producteurs italiens s’est dite préoccupée par un projet autorisant le Comité permanent de la chaîne alimentaire de l'UE à doubler le taux légal de l'aflatoxine tolérée dans les noisettes commercialisées en Europe. Une telle décision permettrait à la Turquie d’accroître sa présence sur le marché européen en y vendant des produits de qualité inférieure, non exempts de danger pour la santé des consommateurs, à des prix concurrentiels.

La «Coldiretti», principale organisation des entrepreneurs agricoles en Italie, a souligné que le rejet par l'Italie de ce projet n'était pas suffisant et qu’il fallait prendre, sans tarder, des mesures drastiques pour empêcher l’arrivée de noisettes dont la teneur en aflatoxines est «toxique, potentiellement cancérigène, liée au développement de moisissure sur le produit et donc pas optimale du point de vue des pratiques agronomiques». La «Coldiretti» souligne, en outre, qu’au cours des neuf premiers mois de 2009, 56 lots de noisettes contaminées en provenance de Turquie ont été découverts dans les différents pays de l'UE.
Ces développements expliquent l’inquiétude actuelle des producteurs italiens. Ces derniers demandent à l'UE, soit de revoir un système de subventionnement qui risque de favoriser fortement la noisette turque et qui est, selon eux, «manifestement contraire aux règles de libre concurrence et du libre-échange édictées par l’OMC», soit d’étendre ce système d’aide économique à toute entreprise similaire dans l’UE, en consentant un effort particulier pour les entreprises situées dans des zones défavorisées. Dans l'intérêt des consommateurs et leur santé, la «Coldiretti» suggère, enfin, à l’UE de maintenir les normes en vigueur en ce qui concerne les taux d’aflatoxines tolérées dans les fruits secs, en renforçant de surcroît les structures de contrôle.

Le gouvernement italien s’est toujours montré favorable à l’adhésion de la Turquie à l’UE, mais cette adhésion peut avoir, dans certains domaines, comme la production de noisettes, des répercussions négatives pour l’économie italienne. Ce genre de situation risque de pas rester un problème isolé pour deux pays qui partagent bon nombre de caractéristiques environnementales, puisqu’ils ont de vastes régions méditerranéennes, et qu’ils peuvent entrer en compétition sur le marché européen dans d’autres secteurs de leur production, comme les fruits et légumes et l’huile d’olive.
Dans ce domaine, la politique européenne de l’Italie devra tenir compte de ses producteurs de noisettes qui représentent un pan non négligeable de l’agriculture du pays, et notamment des intérêts des régions concernées qui sentent aujourd’hui leurs positions commerciales et la qualité de leurs produits menacées par l’arrivée massive sur le marché européen de la concurrence turque.

Les fruits secs représentent à l’heure actuelle près du tiers des exportations agricoles turques vers l’Europe, c’est-à-dire qu’ils constituent le premier groupe de produits alimentaires turcs entrant dans l’UE. En Italie, un tiers des noisettes transformées provient de Turquie. C’est pourquoi les agriculteurs italiens souhaitent obliger la Turquie à améliorer ses pratiques agronomiques pour se mettre en conformité avec la réglementation européenne et avec la régulation des marchés.

Reste à savoir comment réagira le gouvernement italien : va-t-il se faire le porte-parole de ses producteurs de noisettes auprès de l’Union européenne et de la Turquie, ou bien sacrifiera-t-il cette petite partie de son économie agricole, bien qu’elle soit issue d’une histoire riche de tradition et de qualité ? Il ne faut pas oublier que d’autres projets moins secs et plus juteux sont actuellement au cœur des relations turco-italiennes, en particulier dans le domaine énergétique, avec la récente signature des accords concernant le gazoduc «South Stream»…

Source : Blog de l'OVIPOT, Laura Pagliaroli, 03.11.2009 (à retrouver sur http://ovipot.blogspot.com/)

dimanche 25 octobre 2009

Dossier de la revue Hommes et Migrations consacré à l'immigration turque en France


Les Turcs en France : quels ancrages ?

Permanence et mutations récentes

Revue Hommes et Migrations
N°1280
(juillet-août 2009)

Coordinateur :
Gaye Petek,
directrice de l'association Elele

A l'occasion de la saison de la Turquie en France, la revue présente les particularités de l'immigration turque en France : permanence et mutations récentes, le mouvement associatif turc, l'identité des jeunes Turcs, les commerces et les stratégies commerciales, l'islam transplanté et la vie de quartier. Immigration silencieuse, faisant l'objet de peu de travaux universitaire, la présence des populations turques, marquée par une forte implantation en milieu rural, doit être appréhendée dans un contexte européen.



Édito, par Marie Poinsot :

Voilà plus dix ans, la revue Hommes et Migrations consacrait un dossier à l’immigration turque en France en mettant l’accent sur les origines rurales et les stratégies migratoires, la pluralité de l’islam, la question kurde, les mobilisations familiales et la place des femmes, les médias turcs. À l’occasion de la Saison de la Turquie en France, Gaye Petek, la directrice de l’association ELELE, propose de compléter cette première approche. C’est pourquoi le dossier s’attache aux particularités de cette immigration à travers des points d’entrée thématiques tels que le mouvement associatif turc, l’identité des jeunes d’origine turque, les stratégies familiales et commerciales, l’implantation en milieu rural, l'islam transplanté et la vie de quartier etc.

Alors que cette immigration reste perçue dans l’opinion française comme discrète et silencieuse, elle fait l'objet de travaux universitaires encore limités, même si une nouvelle génération de chercheurs s’affirme en renouvelant les questionnements.
La dimension rurale de l’immigration turque en France, qui aurait pu s’illustrer également par des monographies sur l’Alsace où la visibilité des Turcs est forte, apparaît comme une des caractéristiques originales d’une population qui a su saisir les opportunités du tissu économique local et mettre à profit les possibilités de recrutement à travers les réseaux migratoires.
La lecture des articles montre que le cadre national n’est plus vraiment pertinent aujourd’hui pour appréhender la dynamique migratoire des Turcs en France et qu’il faut la replacer dans une perspective européenne, largement abordée dans ce dossier.

Un colloque rassemblait en mai dernier, à Ankara, 135 chercheurs venus de 15 pays pour confronter leurs travaux sur les cinquante années de l’immigration turque en Europe. Il mettait d’ailleurs l’accent sur le poids démographique d’une diaspora forte de plus de 5 millions de personnes, installées dans les pays membres de l’Union, et sur les modalités de leur intégration dans les sociétés d’accueil qui s’articule avec des réseaux européens organisés autour d’appartenances religieuses ou politiques diverses.
Pour preuve, la moitié de cette population a acquis les nationalités des pays où ils résident et représente une force politique émergente dans certains pays. Elle pourrait compter dans le débat actuel sur l’entrée de la Turquie dans l’union européenne. Cette situation montre combien les enjeux sur l’avenir de l’Europe, de son élargissement et de ses identités, passent par la prise en compte des migrations passées et futures, notamment lorsque ces migrations relèvent d’une dynamique diasporique.


Références et résumés des articles à retrouver sur : http://www.hommes-et-migrations.fr/index.php?id=5561