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mercredi 26 mai 2010

La Turquie, la culture, la démocratie, l'armée et la laïcité ...


À cheval sur l’Europe, l’Asie centrale 
et le Moyen-Orient, la Turquie, qui est 
à un tournant de son histoire, s’interroge. Adhésion à l’UE, démocratie, 
question kurde, devoir mémoriel (massacres d’Arméniens 
de 1915), poids de l’armée et laïcité sont au cœur des débats.


Des tulipes. Jaunes, rouges, blanches. On ne voit que ça dans les parcs et jardins d’Istanbul. Pourquoi cette fleur ? Parce que c’est le symbole de l’Empire ottoman. Après plus de quatre-vingts ans de kémalisme, la Turquie semble renouer avec son passé. « Dans les milieux intellectuels comme dans les couches sociales défavorisées, une certaine forme de passéisme gagne du terrain. Et la nostalgie ottomane, qui a été occultée, revient en force, notamment sur la scène politique et culturelle », écrit Nedim Gürsel (1). Tant et si bien que le programme d’« Istanbul, capitale européenne de la culture 2010 » (470 projets artistiques et culturels) a fait en sorte de raviver cette nostalgie à travers des spectacles en sons et lumières, des expositions, la littérature, les arts, les concerts et la restauration des vestiges de l’ancienne capitale ottomane. Mais le passé hittite, romain et byzantin n’est pas oublié, non plus que la période contemporaine.


La culture est en train d’agoniser

Envers du décor ! « Capitale de la culture européenne ? », s’étonne Emre. « Jusque-là, on n’a rien vu. On ne peut pas dire que les 14 millions de Stambouliotes soient concernés », ajoute-t-il. « C’est superficiel ! C’est pour donner l’impression à l’Union européenne que la Turquie maintient le cap », estime Maya Arakon, professeur de relations internationales à l’université Yeditepe d’Istanbul. Selon elle, « la culture est en train d’agoniser. Faute d’investissements, le centre culturel Atatürk a fermé et on n’en a pas ouvert de nouveaux. Le plus vieux cinéma d’Istanbul, Emek, au plafond de style baroque, créé en 1923, situé dans un immeuble datant de 1860 sur l‘avenue Istiklal en contrebas de la place Taksim, risque de disparaître ». L’immeuble va laisser place à un centre commercial en verre et béton ! Architectes et intellectuels se battent pour le sauver. « Fermer ce cinéma a un sens symbolique », ajoute-t-elle. « Rien n’est fait pour vraiment valoriser le patrimoine ancien », constate un artiste indépendant rencontré à Sultanahmet. « On est en train de faire du vieux Istanbul une cité touristique, tandis que le peuple est de plus en plus repoussé vers les lointaines banlieues. »

Symboles de la modernité mais aussi lieux de contestation politique, la place Taksim et l’avenue Istiklal, immense voie piétonnière dans la partie européenne de la ville. Ici, dit-on, transitent deux millions de personnes par jour ! Ce samedi, autour du monument en hommage à Mustapha Kemal et à ses compagnons, des lycéens membres d’un parti d’extrême gauche exigent un accès plus démocratique à l’enseignement supérieur. Plus haut, autour d’un stand, une exposition de photos sur le dur métier des hommes du feu organisé par le syndicat des pompiers d’Istanbul dénonçant la sous-traitance du métier au profit d’entreprises privées. À proximité, des militants de l’AKP (Parti de la justice et du développement, issu de la mouvance islamiste) distribuent des roses aux femmes. En contrebas, de jeunes militants du Parti communiste de Turquie (PCK) distribuent des tracts dénonçant le « régime fasciste » turc  ! Tous appellent à la mobilisation pour le 1er Mai : pour la première fois dans l’histoire de ce pays, syndicats et organisations de masse ont été autorisés à commémorer la Fête du travail. Les années précédentes, sur cette place, le 1er Mai était le théâtre de heurts violents entre manifestants et forces de police. Tout comme a été autorisée (pour la première fois) la commémoration des massacres de masse d’Arméniens de 1915. Est-ce à dire que la Turquie sous le gouvernement de l’AKP se démocratise ? « Non et oui », répond Fatih Polat, journaliste au quotidien Evrensel, organe de l’Emep (Parti du travail de Turquie, gauche marxiste). « Un des succès de l’AKP est d’avoir fait reculer le poids de l’armée dans la vie publique », explique-t-il. « Pour le reste, il y a beaucoup à dire. Par exemple, concernant la révision constitutionnelle, il est peu probable que l’article 1, qui parle de nation turque, ignorant l’existence des minorités dont les Kurdes, soit modifié. Si ce gouvernement a autorisé la création d’une chaîne de télé en langue kurde (TRT 6), ce qui est une bonne chose, il n’en reste pas moins qu’il a demandé à Bruxelles d’interdire ROJ TV, basée en Belgique, sous prétexte qu’elle est proche du PKK (Parti du travail du Kurdistan, en lutte armée contre Ankara). Autres exemples : le maire de Sur (Kurdistan) ainsi que 1 200 membres du DTP (Parti pour une société démocratique, interdit avant de devenir BDP, Parti de la paix et de la démocratie) sont incarcérés. Deux de ses dirigeants, les députés Ahmet Türc et Aysel Thgluk, sont interdits de parole. La condamnation récente de Leila Zana en premier appel à trois ans de prison a choqué l’opinion et provoqué un fort mouvement de sympathie en sa faveur en Turquie », poursuit-il. Pour avoir déclaré au Parlement lors d’un débat retransmis par la télé publique turque qu’« une guerre se déroule en ce moment même en Turquie » à propos de la situation au Kurdistan, la députée kurde Sebahat Tuncel s’est fait violemment tancer par le président du Parlement et insulter par des députés du CHP (kémaliste) et du MHP (ultranationaliste).


Une région sous tension extrême

Mais signe que la question kurde n’est plus taboue : la réaction de la pop star turque Hakan Peker, qui a interpellé publiquement lors d’un concert à Istanbul le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, au sujet du Kurdistan. « On aurait dû régler le problème kurde il y a dix ans », s’inquiète Ebru Kus Sen, du comité d’organisation d’Istanbul capitale européenne de la culture. La jeune femme craint « que ce soit plus difficile aujourd’hui, tant les positions des uns et des autres se sont radicalisées ». En effet, pas un jour ne passe sans qu’un soldat turc ou des membres du PKK soient tués dans cette région sous tension extrême.

Quant à l’armée, qui se veut la gardienne des dogmes kémalistes dont la laïcité, et qui par trois fois a renversé des gouvernements, elle entretient des rapports crispés avec le gouvernement AKP. De fait, elle a usé de divers moyens pour le renverser  : il y a eu la proposition du gouvernement de levée de l’interdiction du port du foulard par les étudiantes à l’université avec à la clé une tentative d’interdiction de l’AKP par la Cour constitutionnelle sous prétexte d’atteinte à la laïcité, puis la tentative d’empêcher l’élection à la présidence turque d’Abdullah Gül en 2008, ce qui a provoqué des élections législatives anticipées remportées par ce même AKP en juillet de la même année … L’affaire Energekon en 2009-2010, du nom d’une organisation clandestine ultranationaliste regroupant des officiers supérieurs de l’armée à la retraite, démantelée après la découverte d’un plan de déstabilisation du pays : assassinats d’hommes politiques, de journalistes et d’intellectuels, attentats à la bombe, provocations d’incidents armés à la frontière turco-grecque, bombardement de mosquées islamistes ! Le tout visant à créer une situation d’instabilité généralisée propice à une intervention militaire avec à la clé la proclamation de l’état d’urgence, la dissolution du gouvernement et du Parlement ! L’affaire, qui a fait grand bruit, est loin d’être terminée. Plusieurs dizaines d’officiers supérieurs à la retraite ont été interpellés. La « grande muette » se défend. « Nos soldats crient Allah Akbar quand ils combattent l’ennemi. Comment ose-t-on nous accuser de vouloir bombarder des mosquées », s’indigne l’un de ses responsables ! « Mon sentiment est que l’armée ne s’est pas rendu compte que les temps ont changé, que la guerre froide est terminée et que rien ne peut plus être caché », assure Maya Arakon.

Pour l’heure, cette affaire Energekon semble servir le Premier ministre et son parti, l’AKP. Aussi, profitant que l’armée soit sur la défensive, ont-ils décidé d’enfoncer le clou. Le Parlement vient en effet d’adopter un projet de révision constitutionnelle qui sera soumis à un référendum. But de l’opération : réduire l’influence de l’armée et celle de ses relais kémalistes au sein des institutions étatiques. Sont visés le puissant Conseil supérieur de la magistrature (HSYK), qui nomme les magistrats et la Cour constitutionnelle, deux bastions kémalistes laïques en conflit ouvert avec l’AKP, dont ils ont tenté d’interdire l’activité. Au nom d’une « laïcité infiniment plus dure que la laïcité française » et d’une conception de la nation turque niant l’identité kurde (2), ces deux institutions sont derrière les interdictions d’activité des partis et des députés kurdes, du port du foulard par les étudiantes à l’université et dans les institutions publiques, les poursuites contre les intellectuels appelant à un travail de mémoire sur les massacres d’Arméniens. D’où, à travers cette révision constitutionnelle, la volonté de rendre plus difficile la dissolution des partis politiques par le HSYK et la Cour constitutionnelle. L’opposition laïque, qui soupçonne l’AKP d’avoir un « agenda caché », affirme que le but de cette révision constitutionnelle est d’islamiser en « douceur » la société turque.

Abderrahmane Dilipak, écrivain et journaliste au Valeit Daily News, membre de Human Rights Watch, ténor de l’islamisme turc, qui dénonce « la théocratie laïco-kémaliste », s’en félicite  : il soutient la révision constitutionnelle. « La laïcité  ? Je ne suis ni pour ni contre. C’est un prétexte pour empêcher la société d’avancer. On est dans un pays musulman où on ne peut pas pratiquer librement sa religion. On essaie de l’emprisonner dans les mosquées », affirme-t-il sans se démonter. La Turquie, pays émergent, membre du G20 mais aussi deuxième puissance militaire de l’Otan, qui a doublé son PIB en cinq ans, à cheval sur le Moyen-Orient, l’Asie centrale et l’Europe dont elle veut être membre, puissance régionale incontournable, est à un tournant de son histoire. La modernisation à l’occidentale imposée avec une main de fer par les kémalistes, qui n’est pas, selon Altan Golpak, « un projet de modernité », semble avoir atteint ses limites (3). Si une majorité de Turcs reste attachée à la laïcité, l’islam turc n’a pas encore tout à fait tranché en son sein le vieux débat opposant les tenants d’une islamisation de la modernité et ceux qui prônent la sécularisation de la religion.

(1) Nedim Gürsel, La Turquie, une idée neuve en Europe, Empreinte. (2) Altan Gokalp, « Turquie  : les tabous 
d’une démocratie » in la Pensée du midi n° 19, novembre 2006. (3) Idem.

Source : L'Humanité, Hassane Zerrouky, 25.05.2010 (URL : http://www.humanite.fr/2010-05-25_International_La-Turquie-entre-modernite-et-resurgence-identitaire)

lundi 29 mars 2010

Les musulmans non pratiquants de Turquie sous pression


Les musulmans non pratiquants en Turquie subissent des pressions pour porter le voile, assister à la prière du vendredi et jeûner pendant le Ramadan s’ils veulent des emplois au gouvernement ou des promotions, selon ce qu’a constaté une étude.


Certains Turcs laïcs sont en train de changer leur mode de vie pour paraître en phase avec le parti islamique au pouvoir du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, selon l’étude réalisée par l’Open Society Institute et l’Université Bosphore d’Istanbul. L’étude, basée sur des entretiens avec 401 personnes dans 12 provinces turques, est la première à confirmer les craintes de certains Turcs laïcs que l’islam politique a une incidence sur leur vie. Nihat Ergün, un haut responsable du parti de Recep Tayyip Erdogan, a rejeté les conclusions du rapport, affirmant que le parti n’exerce pas de pression ou de discrimination envers les non-pratiquants. « Le portrait présenté dans l’étude ne reflète pas les réalités de la Turquie », a dit Ergun. « Même dans notre parti, nous avons des femmes voilées travaillant au côté de femmes non voilées et personne ne s’est jamais plaint de subir des pressions ». La recherche indique que l’islam politique conservateur semble avoir gagné en influence depuis l’arrivée au pouvoir du Parti Justice et développement de Erdogan en 2002 dans le pays à majorité musulmane mais officiellement laïque. La recherche donne plusieurs exemples de pressions exercées sur des femmes pour les inciter à porter le foulard islamique et de personnes battues ou réprimandées pour avoir fumé ou ne pas avoir jeûné pendant le ramadan. Certains propriétaires de commerces se sentent obligés de fermer pendant la prière du vendredi et beaucoup se sentent poussés à accomplir le pèlerinage à La Mecque, affirme le rapport. Le parti de Erdogan nie avoir un agenda islamique et cite comme preuve ses réformes de style occidental pour faire avancer l’accession de la Turquie à l’Union européenne. Plus tôt cette année, cependant, la parti a échappé de peu à la dissolution par le plus haut tribunal du pays pour atteintes au principe de laïcité. « Nous ne pensions pas que nous serions confrontés à un portrait aussi inquiétant quand nous avons entamé cette recherche », a déclaré le Prof Binnaz Toprak, qui a dirigé l’étude, au journal Hurriyet dans une interview publiée dimanche. « Ils doivent donner l’impression d’être proches du parti au pouvoir même si, dans leur for intérieur, ils pensent différemment. » Le porte-parole du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan s’est refusé à tout commentaire sur le rapport.

Source : Jean-Marie Lebraud, Turquie News, 13.02.2010 (URL : http://www.turquie-news.fr/spip.php?article3614)

mardi 9 mars 2010

Pourquoi le Nigeria a explosé ? Une poudrière ethnique et religieuse


Le 7 mars, la région de Jos a été le théâtre de nouveaux massacres. Quelque 500 personnes ont trouvé la mort dans des violences intercommunautaires que le pays ne parvient pas à endiguer.


Près de 500 personnes ont été tuées dans cet acte abominable perpétré par des éleveurs fulanis”, explique Dan Majang, responsable de la communication de l’Etat du Plateau. Il précise que 95 personnes ont été arrêtées. Selon les habitants, les victimes, parmi lesquelles de nombreuses femmes et enfants, ont été tuées à la machette. D’après plusieurs sources locales, les attaques ont été conduites de manière coordonnée dans la nuit du 6 au 7 mars par ces éleveurs de confession musulmane, contre trois villages de l’ethnie berom, majoritairement chrétienne, au sud de la ville de Jos. Cette région est régulièrement touchée par des flambées de violences religieuses ou ethniques. En janvier, plus de 300 personnes ont été tuées lors d’affrontements entre chrétiens et musulmans. Ces heurts ethniques et interreligieux ne sont pas nouveaux. Société extraordinairement hétérogène, le Nigeria compte, selon le recensement de 2006, quelque 140 millions d’habitants représentant plus de 400 groupes linguistiques et environ 300 groupes ethniques.

De 1914 à 1960, sous le joug colonial des Britanniques, le pays n’a pourtant utilisé que l’anglais comme langue véhiculaire. Actuellement, les expressions les plus visibles de la diversité y sont la langue, l’identité ethnique, la religion, les clivages entre majorité et minorité et l’“ethnicité régionale”. Dans un Etat comme celui du Plateau, il n’est pas rare d’entendre 10 idiomes différents dans un rayon de 20 kilomètres, et la langue représente un élément clé du groupe ethnique. Chaque région abrite de nombreux groupes minoritaires possédant leur identité propre. De plus, on y compte trois religions : les cultes traditionnels africains, le christianisme et l’islam.

La diversité a toujours constitué une préoccupation administrative au Nigeria. Toutefois, la nature même de l’administration coloniale, qui a régionalisé le pays en 1939, a fait en sorte que les groupes nigérians ont continué de coexister tout en ayant fort peu de contacts les uns avec les autres. En 1951, dès que les Britanniques ont commencé à envisager leur départ, les nationalistes se sont mis à comploter pour s’emparer du pouvoir politique abandonné par les anciens colonisateurs, se repliant sur leurs bases ethniques et ethnorégionales pour mieux organiser leur lutte. Dès lors, dans de nombreuses régions entre 1951 et 1959, les principaux groupes ethniques se sont dressés les uns contre les autres. Au bout du compte, le climat de suspicion et de peur régnant entre les divers groupes a conduit en 1954 à l’adoption du fédéralisme pour tenter de gérer la situation. Jusqu’à la fin des années 1970, la religion ne constituait pas une source de tensions sérieuses. Mais d’un jour à l’autre, la religion a fait irruption dans le discours politique. La tentative des musulmans d’étendre la charia au-delà des questions personnelles et de celles liées à l’héritage, et d’instaurer une cour d’appel fédérale fondée sur le droit islamique, a été vivement contestée par les chrétiens. En guise de compromis, des tribunaux islamiques et coutumiers ont été instaurés uniquement dans les Etats qui le souhaitaient.

La cour d’appel fédérale a dû engager trois juges formés dans le domaine de la charia et du droit coutumier, et les faire siéger conjointement avec des juges appliquant la common law [le droit commun]. Un tel compromis se serait sans doute révélé plus difficile à trouver dans un système unitaire. En 1986, cependant, la nouvelle selon laquelle le Nigeria allait rejoindre l’Organisation de la conférence islamique (OCI) a déclenché une nouvelle crise, surtout entre chrétiens et musulmans. Réaffirmant sa neutralité confessionnelle, le pays ne s’est pourtant pas retiré de l’OCI. Entre 1980 et 2005, on a recensé plus de 45 conflits violents de nature confessionnelle, au cours desquels des vies humaines ont été sacrifiées et des biens saccagés. Les tensions n’ont cessé d’empirer, notamment lorsqu’en 2000 l’Etat de Zamfara a étendu la charia aux questions pénales. Douze Etats du Nord lui ont rapidement emboîté le pas en adoptant, eux aussi, la loi islamique. La violence engendrée par l’introduction de la charia dans l’Etat de Kaduna a provoqué des effusions de sang dans le sud-est du pays. Son application ne s’est cependant pas étendue aux autres Etats, en raison de la structure fédérale du Nigeria et de l’autonomie de ses unités constituantes.

Un autre facteur de conflit tient à la répartition des ressources. Les redevances du pétrole et du gaz, dont le Nigeria est tellement dépendant, proviennent pour l’essentiel du delta du Niger, une zone où prédominent les minorités et qui englobe plusieurs Etats : Delta, Edo, Akwa-Ibom, Cross River, Rivers et Bayelsa. Se sentant trahis et abandonnés depuis des années, ces Etats ont accusé le gouvernement central de détourner leurs ressources au profit du développement d’autres zones, menaçant de reprendre le contrôle de leur production.


Source : Courrier International, rubrique Afrique, 09.03.2010 (à retrouver sur http://www.courrierinternational.com/article/2010/03/09/une-poudriere-ethnique-et-religieuse)

lundi 15 février 2010

Jérusalem: la judaïsation par le béton


« Va voir ce qu'il se passe à Jérusalem-Est. » Lors de mon premier passage dans les Territoires palestiniens occupés en novembre 2009, c'est certainement la phrase que j'ai le plus entendue. Alors, j'y suis retournée. Ma première étape a été Silwan, situé au sud-est de la vieille ville, et les destructions de maison. Des soldats protègent les sites pendant que le bulldozer démolit des maisons palestiniennes construites -pour tout ou partie- illégalement. A l'extérieur, les affaires des familles sont entreposées. Tout le monde assiste à la scène, impuissant. Les Israéliens prévoient de démolir 88 maisons pour créer un site archéologique.

Sur place, de nombreux observateurs sont présents. Je retrouve Maya, une jeune Israélienne qui fait partie du mouvement des Refuznik. Observatrice pour ICAHD, le comité israélien contre les destructions de maisons, elle ne mâche pas ses mots: «C'est un nettoyage ethnique. Le but est de vider Jérusalem de sa population arabe.» Pourtant, ces constructions sont illégales, non? «Les Palestiniens n'ont pas le choix. Un plan d'urbanisation est nécessaire à la construction de logements à Jérusalem. La municipalité n'en prévoit pas pour les secteurs constructibles par les Palestiniens.» Soit 13% de Jérusalem-Est, occupée depuis 1967 par Israël, une occupation non reconnue par la communauté internationale... «Quand des experts ou des ONG présentent des plans, ils sont toujours refusés.» Alors que j'assiste à la troisième destruction de la journée, un Palestinien m'interpelle. Au-dessus de cette habitation, un bâtiment israélien, en plein cœur de Silwan. Facile à repérer, il est drapé d'un immense étendard aux couleurs du pays. «Cet immeuble n'a jamais reçu la moindre autorisation de la municipalité. Mais celui-là, ils ne vont jamais le détruire», fulmine-t-il.

Chaque année, en moyenne, une petite centaine de maisons sont détruite. En 2009, 103 habitations ont croulé sous les bulldozers. Les Palestiniens paient la démolition de leur propre bâtisse, alors, il arrive qu'ils fassent le travail eux-mêmes... par souci d'économie. Cruellement ironique non?


Droit(s) au retour

«Jérusalem est la ville la plus importante du monde pour les juifs. Mais des quartiers de Jérusalem-Est sont en ce moment occupés par les Arabes, comme Sheikh Jarrah ou Silwan. Ils nous reviennent. Des juifs avaient acquis des terrains autour du tombeau de Shimon Ha'Tzadik avant 1948. Nous avons été expulsés, nous avons le droit de retourner sur nos terres», explique sous couvert d'anonymat le directeur d'une association de colons juifs de Jérusalem.

Selon les autorités palestiniennes, la partie orientale de la Ville Sainte représente plus du tiers (37%) des implantations juives dans les Territoires palestiniens. A l'heure actuelle, près de 200.000 Israéliens résident à Jérusalem-Est, presque autant que les 270.000 Palestiniens.

Qui eux aussi demandent le droit au retour. Pourtant, la justice israélienne semble l'accorder plus facilement aux familles juives. La preuve à Sheikh Jarrah, quartier clé de la colonisation à Jérusalem-Est. Situé au nord de la vieille ville et proche de l'ouest de la ville, il est encadré de colonies. Là, pas de destructions de maison -du moins, je n'en ai pas vues- mais des expropriations.


Epée de Damoclès au-dessus du toit

Les familles el-Ghawi, Hannoun et el-Kurd sont les premières (d'une longue série?) lésées. Expulsées récemment de leur logement, elles vivent maintenant sur le macadam devant leurs maisons enguirlandées de drapeaux israéliens. «Les Israéliens estiment que le quartier de Sheikh Jarrah est le leur. Le tombeau de Shimon Ha'Tzadik serait situé non loin de là et cela leur donnerait le droit au retour?!», s'enflamme Randa, une jeune Palestinienne de 18 ans. Shimon Ha'Tzadik serait le grand prêtre juif, Simon le Juste, devant lequel Alexandre le Grand se prosterna. «Une figure importante pour les Juifs», m'assure mon colon anonyme. Vingt-quatre autres familles vivent avec cette épée de Damoclès au-dessus de leur toit.

Les avis d'expulsion envers ces familles ont été émis par la Haute Cour de justice israélienne saisie par les colons. Depuis 1972 et le début de ce combat juridique, s'est entamé un marathon administratif. Entre 2006 et 2008, les colons ont fourni des documents spécifiant que des juifs vivaient à Jérusalem-Est... sans préciser la localisation de ces résidences. L'avocat des familles palestiniennes, Hosni Abu Hussein, a lui rapporté de Turquie des avis de propriété datant de l'empire ottoman.


Sans logement, sans carte

Lors de la construction, en 1956, de ces maisons par l'UNRWA, l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, le terrain était jordanien, mais pour tous les territoires faisant partie de l'empire ottoman jusqu'en 1920, le cadastre se trouve à Istanbul. La Haute Cour de justice a tranché: les maisons reviennent aux colons. «Aucun juif n'a jamais vécu sur ce terrain. Et même si c'était le cas, très bien, mais qu'on nous laisse nous aussi rentrer dans nos villes et nos villages respectifs», déplore Nasser el-Ghawi dont la famille, réfugiée depuis 1948, a été expulsée le 2 août dernier.

Et la judaïsation pourrait être plus que rapide que prévu. Sans logement, les Palestiniens jérusalémites perdront vite leur carte de «résident permanent de Jérusalem». Considérés comme des étrangers en Israël, ils doivent chaque année justifier leur résidence en honorant notamment leur taxe d'habitation. En 2009, 4.577 palestiniens ont perdu cette carte bleue. Ou comment changer la démographie d'une ville et affaiblir les chances de l'Autorité palestinienne de faire de Jérusalem-Est la capitale de leur futur Etat... si un accord de paix est signé.


Source : Slate.fr, Julie Schneider, 05.02.2009 (à retrouver sur http://www.slate.fr/story/16911/jerusalem-demolition-constructions-illegales-expulsions-palestiniens)