mardi 9 mars 2010

Pourquoi le Nigeria a explosé ? Une poudrière ethnique et religieuse


Le 7 mars, la région de Jos a été le théâtre de nouveaux massacres. Quelque 500 personnes ont trouvé la mort dans des violences intercommunautaires que le pays ne parvient pas à endiguer.


Près de 500 personnes ont été tuées dans cet acte abominable perpétré par des éleveurs fulanis”, explique Dan Majang, responsable de la communication de l’Etat du Plateau. Il précise que 95 personnes ont été arrêtées. Selon les habitants, les victimes, parmi lesquelles de nombreuses femmes et enfants, ont été tuées à la machette. D’après plusieurs sources locales, les attaques ont été conduites de manière coordonnée dans la nuit du 6 au 7 mars par ces éleveurs de confession musulmane, contre trois villages de l’ethnie berom, majoritairement chrétienne, au sud de la ville de Jos. Cette région est régulièrement touchée par des flambées de violences religieuses ou ethniques. En janvier, plus de 300 personnes ont été tuées lors d’affrontements entre chrétiens et musulmans. Ces heurts ethniques et interreligieux ne sont pas nouveaux. Société extraordinairement hétérogène, le Nigeria compte, selon le recensement de 2006, quelque 140 millions d’habitants représentant plus de 400 groupes linguistiques et environ 300 groupes ethniques.

De 1914 à 1960, sous le joug colonial des Britanniques, le pays n’a pourtant utilisé que l’anglais comme langue véhiculaire. Actuellement, les expressions les plus visibles de la diversité y sont la langue, l’identité ethnique, la religion, les clivages entre majorité et minorité et l’“ethnicité régionale”. Dans un Etat comme celui du Plateau, il n’est pas rare d’entendre 10 idiomes différents dans un rayon de 20 kilomètres, et la langue représente un élément clé du groupe ethnique. Chaque région abrite de nombreux groupes minoritaires possédant leur identité propre. De plus, on y compte trois religions : les cultes traditionnels africains, le christianisme et l’islam.

La diversité a toujours constitué une préoccupation administrative au Nigeria. Toutefois, la nature même de l’administration coloniale, qui a régionalisé le pays en 1939, a fait en sorte que les groupes nigérians ont continué de coexister tout en ayant fort peu de contacts les uns avec les autres. En 1951, dès que les Britanniques ont commencé à envisager leur départ, les nationalistes se sont mis à comploter pour s’emparer du pouvoir politique abandonné par les anciens colonisateurs, se repliant sur leurs bases ethniques et ethnorégionales pour mieux organiser leur lutte. Dès lors, dans de nombreuses régions entre 1951 et 1959, les principaux groupes ethniques se sont dressés les uns contre les autres. Au bout du compte, le climat de suspicion et de peur régnant entre les divers groupes a conduit en 1954 à l’adoption du fédéralisme pour tenter de gérer la situation. Jusqu’à la fin des années 1970, la religion ne constituait pas une source de tensions sérieuses. Mais d’un jour à l’autre, la religion a fait irruption dans le discours politique. La tentative des musulmans d’étendre la charia au-delà des questions personnelles et de celles liées à l’héritage, et d’instaurer une cour d’appel fédérale fondée sur le droit islamique, a été vivement contestée par les chrétiens. En guise de compromis, des tribunaux islamiques et coutumiers ont été instaurés uniquement dans les Etats qui le souhaitaient.

La cour d’appel fédérale a dû engager trois juges formés dans le domaine de la charia et du droit coutumier, et les faire siéger conjointement avec des juges appliquant la common law [le droit commun]. Un tel compromis se serait sans doute révélé plus difficile à trouver dans un système unitaire. En 1986, cependant, la nouvelle selon laquelle le Nigeria allait rejoindre l’Organisation de la conférence islamique (OCI) a déclenché une nouvelle crise, surtout entre chrétiens et musulmans. Réaffirmant sa neutralité confessionnelle, le pays ne s’est pourtant pas retiré de l’OCI. Entre 1980 et 2005, on a recensé plus de 45 conflits violents de nature confessionnelle, au cours desquels des vies humaines ont été sacrifiées et des biens saccagés. Les tensions n’ont cessé d’empirer, notamment lorsqu’en 2000 l’Etat de Zamfara a étendu la charia aux questions pénales. Douze Etats du Nord lui ont rapidement emboîté le pas en adoptant, eux aussi, la loi islamique. La violence engendrée par l’introduction de la charia dans l’Etat de Kaduna a provoqué des effusions de sang dans le sud-est du pays. Son application ne s’est cependant pas étendue aux autres Etats, en raison de la structure fédérale du Nigeria et de l’autonomie de ses unités constituantes.

Un autre facteur de conflit tient à la répartition des ressources. Les redevances du pétrole et du gaz, dont le Nigeria est tellement dépendant, proviennent pour l’essentiel du delta du Niger, une zone où prédominent les minorités et qui englobe plusieurs Etats : Delta, Edo, Akwa-Ibom, Cross River, Rivers et Bayelsa. Se sentant trahis et abandonnés depuis des années, ces Etats ont accusé le gouvernement central de détourner leurs ressources au profit du développement d’autres zones, menaçant de reprendre le contrôle de leur production.


Source : Courrier International, rubrique Afrique, 09.03.2010 (à retrouver sur http://www.courrierinternational.com/article/2010/03/09/une-poudriere-ethnique-et-religieuse)

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