« Va voir ce qu'il se passe à Jérusalem-Est. » Lors de mon premier passage dans les Territoires palestiniens occupés en novembre 2009, c'est certainement la phrase que j'ai le plus entendue. Alors, j'y suis retournée. Ma première étape a été Silwan, situé au sud-est de la vieille ville, et les destructions de maison. Des soldats protègent les sites pendant que le bulldozer démolit des maisons palestiniennes construites -pour tout ou partie- illégalement. A l'extérieur, les affaires des familles sont entreposées. Tout le monde assiste à la scène, impuissant. Les Israéliens prévoient de démolir 88 maisons pour créer un site archéologique.
Sur place, de nombreux observateurs sont présents. Je retrouve Maya, une jeune Israélienne qui fait partie du mouvement des Refuznik. Observatrice pour ICAHD, le comité israélien contre les destructions de maisons, elle ne mâche pas ses mots: «C'est un nettoyage ethnique. Le but est de vider Jérusalem de sa population arabe.» Pourtant, ces constructions sont illégales, non? «Les Palestiniens n'ont pas le choix. Un plan d'urbanisation est nécessaire à la construction de logements à Jérusalem. La municipalité n'en prévoit pas pour les secteurs constructibles par les Palestiniens.» Soit 13% de Jérusalem-Est, occupée depuis 1967 par Israël, une occupation non reconnue par la communauté internationale... «Quand des experts ou des ONG présentent des plans, ils sont toujours refusés.» Alors que j'assiste à la troisième destruction de la journée, un Palestinien m'interpelle. Au-dessus de cette habitation, un bâtiment israélien, en plein cœur de Silwan. Facile à repérer, il est drapé d'un immense étendard aux couleurs du pays. «Cet immeuble n'a jamais reçu la moindre autorisation de la municipalité. Mais celui-là, ils ne vont jamais le détruire», fulmine-t-il.
Chaque année, en moyenne, une petite centaine de maisons sont détruite. En 2009, 103 habitations ont croulé sous les bulldozers. Les Palestiniens paient la démolition de leur propre bâtisse, alors, il arrive qu'ils fassent le travail eux-mêmes... par souci d'économie. Cruellement ironique non?
Droit(s) au retour
«Jérusalem est la ville la plus importante du monde pour les juifs. Mais des quartiers de Jérusalem-Est sont en ce moment occupés par les Arabes, comme Sheikh Jarrah ou Silwan. Ils nous reviennent. Des juifs avaient acquis des terrains autour du tombeau de Shimon Ha'Tzadik avant 1948. Nous avons été expulsés, nous avons le droit de retourner sur nos terres», explique sous couvert d'anonymat le directeur d'une association de colons juifs de Jérusalem.
Selon les autorités palestiniennes, la partie orientale de la Ville Sainte représente plus du tiers (37%) des implantations juives dans les Territoires palestiniens. A l'heure actuelle, près de 200.000 Israéliens résident à Jérusalem-Est, presque autant que les 270.000 Palestiniens.
Qui eux aussi demandent le droit au retour. Pourtant, la justice israélienne semble l'accorder plus facilement aux familles juives. La preuve à Sheikh Jarrah, quartier clé de la colonisation à Jérusalem-Est. Situé au nord de la vieille ville et proche de l'ouest de la ville, il est encadré de colonies. Là, pas de destructions de maison -du moins, je n'en ai pas vues- mais des expropriations.
Epée de Damoclès au-dessus du toit
Les familles el-Ghawi, Hannoun et el-Kurd sont les premières (d'une longue série?) lésées. Expulsées récemment de leur logement, elles vivent maintenant sur le macadam devant leurs maisons enguirlandées de drapeaux israéliens. «Les Israéliens estiment que le quartier de Sheikh Jarrah est le leur. Le tombeau de Shimon Ha'Tzadik serait situé non loin de là et cela leur donnerait le droit au retour?!», s'enflamme Randa, une jeune Palestinienne de 18 ans. Shimon Ha'Tzadik serait le grand prêtre juif, Simon le Juste, devant lequel Alexandre le Grand se prosterna. «Une figure importante pour les Juifs», m'assure mon colon anonyme. Vingt-quatre autres familles vivent avec cette épée de Damoclès au-dessus de leur toit.
Les avis d'expulsion envers ces familles ont été émis par la Haute Cour de justice israélienne saisie par les colons. Depuis 1972 et le début de ce combat juridique, s'est entamé un marathon administratif. Entre 2006 et 2008, les colons ont fourni des documents spécifiant que des juifs vivaient à Jérusalem-Est... sans préciser la localisation de ces résidences. L'avocat des familles palestiniennes, Hosni Abu Hussein, a lui rapporté de Turquie des avis de propriété datant de l'empire ottoman.
Sans logement, sans carte
Lors de la construction, en 1956, de ces maisons par l'UNRWA, l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, le terrain était jordanien, mais pour tous les territoires faisant partie de l'empire ottoman jusqu'en 1920, le cadastre se trouve à Istanbul. La Haute Cour de justice a tranché: les maisons reviennent aux colons. «Aucun juif n'a jamais vécu sur ce terrain. Et même si c'était le cas, très bien, mais qu'on nous laisse nous aussi rentrer dans nos villes et nos villages respectifs», déplore Nasser el-Ghawi dont la famille, réfugiée depuis 1948, a été expulsée le 2 août dernier.
Et la judaïsation pourrait être plus que rapide que prévu. Sans logement, les Palestiniens jérusalémites perdront vite leur carte de «résident permanent de Jérusalem». Considérés comme des étrangers en Israël, ils doivent chaque année justifier leur résidence en honorant notamment leur taxe d'habitation. En 2009, 4.577 palestiniens ont perdu cette carte bleue. Ou comment changer la démographie d'une ville et affaiblir les chances de l'Autorité palestinienne de faire de Jérusalem-Est la capitale de leur futur Etat... si un accord de paix est signé.
Source : Slate.fr, Julie Schneider, 05.02.2009 (à retrouver sur http://www.slate.fr/story/16911/jerusalem-demolition-constructions-illegales-expulsions-palestiniens)
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