mardi 3 novembre 2009

"La noisette, poil à gratter des relations turco-italiennes"


L’arrivée en force sur le marché européen de la noisette de Turquie (le premier producteur mondial) et ses conséquences pour la production des noisettes du Piémont (la région du nord-ouest de l’Italie qui détient le nombre le plus important d’industries spécialisées en production et transformation de noisettes) sont au cœur d'une lettre envoyée par un conseiller régional piémontais pour l’agriculture, Mino Taricco, au ministre italien de l’agriculture, Luca Zaia.

En fait, la production turque de noisettes va être soutenue, à partir de l'année prochaine, dans le cadre du système de subventions, qui fait partie des mesures économiques d’aide communautaire de l’instrument de préadhésion (IPA), un fonds européen destiné aux pays candidats dont la Turquie doit bénéficier prochainement. Les producteurs italiens, qui arrivent à la deuxième place au sein la production mondiale, après la Turquie, mais qui sont les premiers de l’Union Européenne (UE), avec 1,1 million de quintaux de production par an, craignent de souffrir de cette situation nouvelle.

Une deuxième réunion officielle s’est tenue, le 29 avril dernier, entre l'Association des producteurs italiens de noisettes et le ministère de l’agriculture. Son but était de créer une dénomination contrôlée de la noisette italienne, basée sur des critères d’exigence concernant notamment les terres de culture qui confèrent aux noisettes italiennes leurs caractéristiques organoleptiques. Cette réunion s’est aussi employée à élaborer une stratégie de protection et de promotion de la production des noisettes italiennes, face à la concurrence venant de l’étranger, notamment de Turquie (qui détient 78% de la production mondiale totale).

Lors de cette réunion également, l’Association des producteurs italiens s’est dite préoccupée par un projet autorisant le Comité permanent de la chaîne alimentaire de l'UE à doubler le taux légal de l'aflatoxine tolérée dans les noisettes commercialisées en Europe. Une telle décision permettrait à la Turquie d’accroître sa présence sur le marché européen en y vendant des produits de qualité inférieure, non exempts de danger pour la santé des consommateurs, à des prix concurrentiels.

La «Coldiretti», principale organisation des entrepreneurs agricoles en Italie, a souligné que le rejet par l'Italie de ce projet n'était pas suffisant et qu’il fallait prendre, sans tarder, des mesures drastiques pour empêcher l’arrivée de noisettes dont la teneur en aflatoxines est «toxique, potentiellement cancérigène, liée au développement de moisissure sur le produit et donc pas optimale du point de vue des pratiques agronomiques». La «Coldiretti» souligne, en outre, qu’au cours des neuf premiers mois de 2009, 56 lots de noisettes contaminées en provenance de Turquie ont été découverts dans les différents pays de l'UE.
Ces développements expliquent l’inquiétude actuelle des producteurs italiens. Ces derniers demandent à l'UE, soit de revoir un système de subventionnement qui risque de favoriser fortement la noisette turque et qui est, selon eux, «manifestement contraire aux règles de libre concurrence et du libre-échange édictées par l’OMC», soit d’étendre ce système d’aide économique à toute entreprise similaire dans l’UE, en consentant un effort particulier pour les entreprises situées dans des zones défavorisées. Dans l'intérêt des consommateurs et leur santé, la «Coldiretti» suggère, enfin, à l’UE de maintenir les normes en vigueur en ce qui concerne les taux d’aflatoxines tolérées dans les fruits secs, en renforçant de surcroît les structures de contrôle.

Le gouvernement italien s’est toujours montré favorable à l’adhésion de la Turquie à l’UE, mais cette adhésion peut avoir, dans certains domaines, comme la production de noisettes, des répercussions négatives pour l’économie italienne. Ce genre de situation risque de pas rester un problème isolé pour deux pays qui partagent bon nombre de caractéristiques environnementales, puisqu’ils ont de vastes régions méditerranéennes, et qu’ils peuvent entrer en compétition sur le marché européen dans d’autres secteurs de leur production, comme les fruits et légumes et l’huile d’olive.
Dans ce domaine, la politique européenne de l’Italie devra tenir compte de ses producteurs de noisettes qui représentent un pan non négligeable de l’agriculture du pays, et notamment des intérêts des régions concernées qui sentent aujourd’hui leurs positions commerciales et la qualité de leurs produits menacées par l’arrivée massive sur le marché européen de la concurrence turque.

Les fruits secs représentent à l’heure actuelle près du tiers des exportations agricoles turques vers l’Europe, c’est-à-dire qu’ils constituent le premier groupe de produits alimentaires turcs entrant dans l’UE. En Italie, un tiers des noisettes transformées provient de Turquie. C’est pourquoi les agriculteurs italiens souhaitent obliger la Turquie à améliorer ses pratiques agronomiques pour se mettre en conformité avec la réglementation européenne et avec la régulation des marchés.

Reste à savoir comment réagira le gouvernement italien : va-t-il se faire le porte-parole de ses producteurs de noisettes auprès de l’Union européenne et de la Turquie, ou bien sacrifiera-t-il cette petite partie de son économie agricole, bien qu’elle soit issue d’une histoire riche de tradition et de qualité ? Il ne faut pas oublier que d’autres projets moins secs et plus juteux sont actuellement au cœur des relations turco-italiennes, en particulier dans le domaine énergétique, avec la récente signature des accords concernant le gazoduc «South Stream»…

Source : Blog de l'OVIPOT, Laura Pagliaroli, 03.11.2009 (à retrouver sur http://ovipot.blogspot.com/)

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