vendredi 23 avril 2010

Sylvie Tissot, chercheuse à l'Université de Strasbourg, porte un regard critique et stimulant sur les politiques urbaines et l'action sociale


Sylvie Tissot est maître de conférences à l'Université de Strasbourg et chercheuse
associée au GSPE (Groupe de Sociologie Politique Européenne). Ses recherches portent sur les politiques urbaines et la ségrégation socio-spatiale en France et aux Etats-Unis, et plus récemment sur les processus de gentrification. Elles offrent un éclairage original et très stimulant sur des débats à la fois anciens et très contemporains sur les sociétés et les politiques urbaines, l'action publique et les mobilisations collectives, qui méritent d'attirer l'attention non seulement des chercheurs, mais aussi des acteurs publics et politiques et (surtout ?) des citoyens.


Sa thèse, publiée en 2007 sous le titre
L’Etat et les Quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique (Seuil, Paris), analyse la généalogie et les implications du processus de formulation et de construction du "problème" des "quartiers" en France,.

Les émeutes de l’automne 2005 ont remis la « question des quartiers sensibles » à l’ordre du jour. Mais quelles sont les causes de cette explosion ? Pour le comprendre, il ne suffit pas d’enquêter sur ces quartiers, il faut aussi analyser d’où viennent les concepts et les catégories qui ont servi à interpréter le « problème » et à formuler des solutions. Cette généalogie nous renvoie à la construction, entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 1990, de la catégorie de « quartiers sensibles ».
Que cache cette expression ? Une réforme fondée sur les politiques de « participation » : priorité est donnée au lien social, à la solidarité locale, à la capacité des habitants à restaurer une vie commune et de la convivialité, plutôt qu’à l’action publique contre la pauvreté, les inégalités socio-économiques et les discriminations. Cette redéfinition des priorités n’affecte pas seulement les quartiers. Le livre de Sylvie Tissot montre qu’elle est un élément majeur de la réforme qui voit la place et les fonctions de l’État social remises en cause depuis vingt ans.


De ce travail, Sylvie Tissot a également tiré plusieurs articles académiques et journalistiques, comme celui paru en 2007 dans le journal Le Monde Diplomatique : "Comment la question sociale est dénaturée - L’invention des « quartiers sensibles" (URL : http://www.monde-diplomatique.fr/2007/10/TISSOT/15252)

La dégradation du quotidien des « cités » suscite toutes sortes d’initiatives de « terrain » et de discours politiques. Mais la réalité des faits en masque une autre, celle des mots par lesquels on la désigne. Et ceux-ci sont loin d’être neutres. Ainsi, la rhétorique des « quartiers sensibles », dominante depuis vingt ans, a une histoire, celle d’une vision du monde où s’effacent les rapports de domination et la question sociale, au profit d’une idéologie de la « proximité » conservatrice de l’ordre établi.



En 2005, elle coordonnait déjà
deux numéros de la revue Actes de la recherche en sciences sociales sur le thème "Classer, penser, administrer la pauvreté". Elle présentait ainsi ces deux numéros, respectivement consacrés aux "Politiques des espaces urbains" et aux "Figures du ghetto" * :

Comment analyser les politiques urbaines et leurs recompositions les plus récentes ? Un certain nombre de travaux portent depuis quelques années un regard plus critique sur les catégories massivement utilisées aujourd’hui pour analyser et traiter les problèmes urbains (« ghettos », « mixité sociale », « quartiers sensibles »), et questionnent les effets des dispositifs territorialisés de l’action publique. Ce numéro part toutefois du postulat que le travail sociologique ne saurait se contenter de pointer du doigt les dysfonctionnements de l’action publique, d’en dénoncer les ratés, ou encore se cantonner à un bilan ou une évaluation déplorant la mise en oeuvre défectueuse d’idées justes. Les articles réunis ici visent plutôt à montrer ce qui produit ces catégories tout en analysant ce qu’elles produisent dans la réalité sociale. Et pour cela, au-delà d’une analyse des discours, les auteurs s’engagent dans une histoire sociale de la réforme urbaine et de ses catégories, alliant aux enquêtes dans les champs administratif, politique ou de l’expertise une attention aux modalités de leur réception à des échelles diverses (politiques centrales, communes, habitants d’un quartier).
Ce numéro entend ainsi contribuer à la connaissance des transformations récentes de l’action sociale, dont certaines tendances sont déjà bien analysées : individualisation de l’action publique, avec des dispositifs axés sur la réinsertion des individus, sur la valorisation de leurs « compétences » et sur la rectification de leurs « trajectoires » ; psychologisation induite par le travail sur le « lien social », la restauration du « dialogue », de la « confiance » et de la « communication ». La lutte contre le chômage, les politiques d’éducation, d’insertion ou encore de prévention ont connu des transformations très semblables : nourries, comme ces dernières, du paradigme de l’exclusion, les politiques de logement et les politiques urbaines sont également construites sur un certain déni des ressorts structurels de la pauvreté.
Mais penser et administrer la pauvreté à partir des questions de « mixité sociale », de « ghettos » et de « quartiers sensibles » ne comporte pas seulement le risque d’occulter les mécanismes de domination, que celle-ci soit économique, sociale ou raciste. Alors que les classes populaires sont soumises aux effets des transformations du marché du travail, du système scolaire et de l’habitat (chômage et précarisation, relégation scolaire dans un contexte de massification, stigmatisation de sa fraction issue de l’immigration), cette occultation pose les bases d’un regard misérabiliste. Et surtout le fait que ces catégories soient indissociablement territoriales et ethniques, qu’elles visent des populations (« immigrés », « jeunes » issus de l’immigration) autant que des espaces, alimente une vision homogénéisante de populations qui seraient irréductiblement différentes, et à ce titre justiciables de dispositifs et de mesures spécifiques.
Revenir sur le rôle joué aujourd’hui par ces classifications, notamment dans les politiques du logement et les politiques de la ville, vise à saisir des processus comme la stigmatisation de la jeunesse populaire, la discrimination selon l’origine ethnique, la réduction ciblée des services publics sous l’impulsion de réformes dites « modernisatrices », ou encore les projets de nouvelles institutions de gestion des pauvres (comme les asiles réclamés aujourd’hui par certains pour les clochards). (suite : http://lmsi.net/spip.php?article457)


Plus récemment enfin, Sylvie Tissot s'est tournée vers l'étude des processus de gentrification des quartiers anciens en France et aux États-Unis. Elle a publié en 2009 un article très éclairant sur le rôle des associations de quartier dans le processus de gentrification d'un quartier de Boston, intitulé "Des gentrifieurs mobilisés. Les associations de quartier du South End à Boston" (consultable en ligne sur http://articulo.revues.org/1042
).

Cet article porte sur un processus de gentrification dans un quartier d’une grande agglomération des États-Unis, Boston. Il montre que ce processus n’a pas seulement résulté de l’évolution des forces du marché et du retour des capitaux dans les centres-villes, des politiques de rénovation urbaine et de transformations culturelles. La mobilisation collective des nouveaux propriétaires a eu un impact décisif, via les associations de quartier dans lesquelles ils se sont engagés depuis les années 1960.


* Tous les articles des numéros de la revue ARSS "Classer, penser et administrer la pauvreté" sont téléchargeables intégralement et gratuitement en pdf sur Cairn : http://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2005-4.htm et http://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2005-5.htm.


> Voir la page de Sylvie Tissot sur le site de l'Université de Strasbourg (enseignements et publications) : http://sspsd.u-strasbg.fr/Tissot.html

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire