Depuis la deuxième quinzaine de juillet 2009, le gouvernement turc a lancé un processus d’ouverture, qui est sensé apporter une solution politique à la question kurde (cf. notre édition du 30 juillet 2009). Accueillie favorablement par les Kurdes du DTP, les milieux intellectuels ainsi que par l’opinion publique, cette initiative a reçu aussi un soutien tacite de l’armée, dont les plus hauts responsables ont assisté, le 1er octobre 2009, à la rentrée parlementaire, alors qu’ils la boycottaient depuis 2007, en raison de la présence de députés kurdes dans l’assemblée (cf. notre édition du 3 octobre 2009). Au mois d’août et de septembre 2009, le ministre de l’Intérieur, Beşir Atalay, a conduit une série de consultations avec les partis, syndicats et associations, pour tenter d’établir un consensus autour du projet gouvernemental (cf. notre édition du 20 août 2009). Le 1er septembre 2009, lors d’un meeting à Diyarbakır, le DTP a plaidé pour «une paix digne» (onurlu barış), en demandant que de véritables mesures soient adoptées par le Parlement et que le PKK soit inclus dans le processus (cf. notre édition du 2 septembre 2009). Il faut d’ailleurs rappeler, à cet égard, que le mouvement rebelle avait été indirectement à l’origine de l’initiative gouvernementale, puisque celle-ci avait initialement voulu prévenir l’annonce par Abdullah Öcalan, d’une feuille de route proposant une solution politique au problème kurde (cf. notre édition du 30 juillet 2009). Le leader du PPK emprisonné n’a pourtant révélé que partiellement et confusément ses intentions, et le gouvernement a toujours affirmé vouloir le tenir hors du processus engagé, une conduite considérée par l’armée et les partis d’opposition, comme une ligne rouge à ne pas franchir. Ces derniers, notamment le CHP et le MHP, ont dénoncé l’initiative gouvernementale, en l’accusant de faire cause commune avec le PKK et d’encourager le délitement de l’État unitaire turc (cf. notre édition du 13 août 2009). Toutefois, le CHP, sous la pression de certains de ses membres, a esquissé, au mois d’octobre, une révision de cette opposition frontale et déclaré qu’il pourrait soutenir l’ouverture gouvernementale, à certaines conditions (cf. nos éditions des 8 et 17 octobre 2009).
Le 19 octobre dernier, le processus a pris une nouvelle dimension, lorsqu’un «groupe de la paix» (Barış grubu), composé par 9 rebelles accompagné de 26 civils kurdes d’un camp irakien de réfugiés, a rendu les armes aux forces turques, au poste frontière de Habur, avant d’être rapidement remis en liberté. Cet événement spectaculaire, qui avait déjà été tenté, en 1999, mais qui avait échoué, a été suivi de manifestations de joie et de soutien, dans les provinces kurdes en Turquie (photo). Ces réactions, qualifiées «d’irresponsables» par le président de la République, ont amené le gouvernement à interrompre cet «adieu aux armes», en suspendant l’accueil d’un nouveau «groupe de la paix», initialement prévu pour la semaine suivante, par peur des réactions nationalistes que cela pourrait provoquer en Turquie. Le gouvernement n’a pas interrompu pour autant l’ouverture engagée, mais a simplement annoncé son souhait de marquer une pause. Le 3 octobre 2009, lors du congrès de l’AKP, à Ankara, le premier ministre avait d’ailleurs prononcé un discours emblématique, louant la diversité turque, en mettant en exergue notamment une série de personnalités et d’intellectuels kurdes, soufis, alévis, arméniens, jusqu’au poète communiste Nazım Hikmet, sans lesquels, selon lui, la Turquie ne pourrait pas être ce qu’elle est aujourd’hui (cf. notre édition du 6ocotbre 2009).
En dépit du mouvement qui a été engagé, certains font observer que le gouvernement n’a toujours pas révélé le contenu des mesures qu’il entend prendre et le soupçonnent de se livrer, en l’occurrence, à une opération de propagande sans lendemain. Il y a quelques jours, le numéro deux du PKK, Murat Karayılan, a déclaré que la majorité actuelle n’avait «jamais eu l’intention de résoudre la question kurde», et accusé le gouvernement d’essayer de «tromper le peuple kurde et l’opinion publique internationale.» Le processus, entamé depuis le mois de juillet, a été perturbé, par ailleurs, paradoxalement, par la poursuite d’actions judiciaires contre des responsables kurdes. Fin septembre (cf. notre édition du 4 octobre 2009), plusieurs députés kurdes ont fait l’objet d’une citation à comparaître pour des déclarations anciennes jugées dangereuses pour la sécurité de l’Etat (une infraction pour laquelle leur immunité parlementaire ne les protège pas), et le 27 octobre 2009, la députée Aysel Tuğluk a même été condamnée à un an et demi de prison ferme. Le processus d’ouverture kurde du gouvernement est ici manifestement perturbé par les divisions internes de la justice, dont certains secteurs restent très attachés aux valeurs laïcistes et nationalistes de l’establishment politico-militaire, tandis que d’autres font preuve d’indépendance et n’hésitent plus à s’attaquer à l’Etat profond.
Le gouvernement a révélé récemment que l’examen par le Parlement de son initiative kurde commencerait le 10 novembre 2009, une annonce qui a provoqué la colère des partis d’opposition, qui ont fait valoir que ce jour était celui de l’anniversaire de la mort d’Atatürk. Rappelant la fameuse formule du fondateur de la République «Paix dans le pays, paix dans le monde», le porte-parole du gouvernement a néanmoins confirmé cette échéance, qui devrait d’abord voir le ministre de l’Intérieur faire l’état des résultats de ses consultations, avant que le premier ministre expose (probablement le 12 novembre) le contenu de son projet. Quant à «l’adieu aux armes» commencé avec le retour d’un groupe de rebelles et de réfugiés, le 19 octobre dernier, il devrait reprendre avec l’arrivée d’un deuxième «groupe de la paix», pendant le «Kurban Bayramı» (fête du sacrifice), qui interviendra, cette année, à la fin du mois de novembre.
Il ne faut pas oublier non plus que, depuis l’année dernière, le gouvernement entretient un dialogue régulier et direct avec les autorités kurdes d’Irak du nord et que le ministre turc des affaires étrangères Ahmet Davutoğlu a effectué, le 30 octobre 2009, une visite historique à Erbil, où il a rencontré Massoud Barzani. Initialement cette stratégie avait surtout été conçue pour neutraliser les bases arrière du PKK, mais désormais il semble qu’elle ait une amplitude beaucoup plus forte et qu’elle s’insère dans la nouvelle politique étrangère turque, dont l’un des objectifs majeurs est de faire de la Turquie un pôle de stabilité dans la région, ce qu’Ahmet Davutoğlu a résumé, à Erbil, en disant qu’il était temps pour les Arabes, les Kurdes et les Turcs de reconstruire le Moyen-Orient (cf. notre édition du 6 novembre 2009) .
Depuis le début, cette ouverture kurde a donc connu des hauts et des bas. Toutefois, il semble bien qu’une réelle dynamique ait été créée et que la qualifier d’opération de façade ne soit pas très réaliste. Le processus n’a jamais été remis en cause, il a certes été critiqué par les Kurdes qui ne l’ont pas non plus rejeté, il a surtout vu le gouvernement ne pas hésiter à transcender certains tabous, notamment celui de l’uniformité, en reconnaissant ouvertement la diversité de la nation turque. Une opération de façade n’aurait sans doute pas osé toucher à de tels symboles. Mais il est vrai que la résolution de la question kurde passe aussi par des mesures concrètes, touchant la culture, l’usage de la langue, la citoyenneté, ou la situation économique sociale des populations concernées. C’est pourquoi les mesures, qui doivent être révélées la semaine prochaine par Recep Tayyip Erdoğan, seront d’une extrême importance. Eu égard à ce qui s’est passé depuis le mois de juillet, le gouvernement ne peut pas se permettre de décevoir. Force est de constater qu’il a néanmoins des atouts dans cette phase délicate. L’armée est affaiblie, après la relance du scandale du «plan contre la réaction» (cf. nos éditons des 27 et 29 octobre 2009 ainsi que des 1er et 5 novembre 2009). Quant à l’opposition, elle n’est pas parvenue à susciter un rejet nationaliste véritable dans l’opinion publique turque et le CHP a même commencé à monter dans le train en marche… Il serait sans doute téméraire et un peu prématuré de dire qu’à ce stade tous les espoirs sont permis mais indiscutablement une nouvelle ère est en train de s’ouvrir.
Source : Blog de l'OVIPOT, Jean Marcou, 08.11.2009 (à retrouver sur http://ovipot.blogspot.com/2009/11/les-prochaines-echeances-de-louverture.html)
Le 19 octobre dernier, le processus a pris une nouvelle dimension, lorsqu’un «groupe de la paix» (Barış grubu), composé par 9 rebelles accompagné de 26 civils kurdes d’un camp irakien de réfugiés, a rendu les armes aux forces turques, au poste frontière de Habur, avant d’être rapidement remis en liberté. Cet événement spectaculaire, qui avait déjà été tenté, en 1999, mais qui avait échoué, a été suivi de manifestations de joie et de soutien, dans les provinces kurdes en Turquie (photo). Ces réactions, qualifiées «d’irresponsables» par le président de la République, ont amené le gouvernement à interrompre cet «adieu aux armes», en suspendant l’accueil d’un nouveau «groupe de la paix», initialement prévu pour la semaine suivante, par peur des réactions nationalistes que cela pourrait provoquer en Turquie. Le gouvernement n’a pas interrompu pour autant l’ouverture engagée, mais a simplement annoncé son souhait de marquer une pause. Le 3 octobre 2009, lors du congrès de l’AKP, à Ankara, le premier ministre avait d’ailleurs prononcé un discours emblématique, louant la diversité turque, en mettant en exergue notamment une série de personnalités et d’intellectuels kurdes, soufis, alévis, arméniens, jusqu’au poète communiste Nazım Hikmet, sans lesquels, selon lui, la Turquie ne pourrait pas être ce qu’elle est aujourd’hui (cf. notre édition du 6ocotbre 2009).
En dépit du mouvement qui a été engagé, certains font observer que le gouvernement n’a toujours pas révélé le contenu des mesures qu’il entend prendre et le soupçonnent de se livrer, en l’occurrence, à une opération de propagande sans lendemain. Il y a quelques jours, le numéro deux du PKK, Murat Karayılan, a déclaré que la majorité actuelle n’avait «jamais eu l’intention de résoudre la question kurde», et accusé le gouvernement d’essayer de «tromper le peuple kurde et l’opinion publique internationale.» Le processus, entamé depuis le mois de juillet, a été perturbé, par ailleurs, paradoxalement, par la poursuite d’actions judiciaires contre des responsables kurdes. Fin septembre (cf. notre édition du 4 octobre 2009), plusieurs députés kurdes ont fait l’objet d’une citation à comparaître pour des déclarations anciennes jugées dangereuses pour la sécurité de l’Etat (une infraction pour laquelle leur immunité parlementaire ne les protège pas), et le 27 octobre 2009, la députée Aysel Tuğluk a même été condamnée à un an et demi de prison ferme. Le processus d’ouverture kurde du gouvernement est ici manifestement perturbé par les divisions internes de la justice, dont certains secteurs restent très attachés aux valeurs laïcistes et nationalistes de l’establishment politico-militaire, tandis que d’autres font preuve d’indépendance et n’hésitent plus à s’attaquer à l’Etat profond.
Le gouvernement a révélé récemment que l’examen par le Parlement de son initiative kurde commencerait le 10 novembre 2009, une annonce qui a provoqué la colère des partis d’opposition, qui ont fait valoir que ce jour était celui de l’anniversaire de la mort d’Atatürk. Rappelant la fameuse formule du fondateur de la République «Paix dans le pays, paix dans le monde», le porte-parole du gouvernement a néanmoins confirmé cette échéance, qui devrait d’abord voir le ministre de l’Intérieur faire l’état des résultats de ses consultations, avant que le premier ministre expose (probablement le 12 novembre) le contenu de son projet. Quant à «l’adieu aux armes» commencé avec le retour d’un groupe de rebelles et de réfugiés, le 19 octobre dernier, il devrait reprendre avec l’arrivée d’un deuxième «groupe de la paix», pendant le «Kurban Bayramı» (fête du sacrifice), qui interviendra, cette année, à la fin du mois de novembre.
Il ne faut pas oublier non plus que, depuis l’année dernière, le gouvernement entretient un dialogue régulier et direct avec les autorités kurdes d’Irak du nord et que le ministre turc des affaires étrangères Ahmet Davutoğlu a effectué, le 30 octobre 2009, une visite historique à Erbil, où il a rencontré Massoud Barzani. Initialement cette stratégie avait surtout été conçue pour neutraliser les bases arrière du PKK, mais désormais il semble qu’elle ait une amplitude beaucoup plus forte et qu’elle s’insère dans la nouvelle politique étrangère turque, dont l’un des objectifs majeurs est de faire de la Turquie un pôle de stabilité dans la région, ce qu’Ahmet Davutoğlu a résumé, à Erbil, en disant qu’il était temps pour les Arabes, les Kurdes et les Turcs de reconstruire le Moyen-Orient (cf. notre édition du 6 novembre 2009) .
Depuis le début, cette ouverture kurde a donc connu des hauts et des bas. Toutefois, il semble bien qu’une réelle dynamique ait été créée et que la qualifier d’opération de façade ne soit pas très réaliste. Le processus n’a jamais été remis en cause, il a certes été critiqué par les Kurdes qui ne l’ont pas non plus rejeté, il a surtout vu le gouvernement ne pas hésiter à transcender certains tabous, notamment celui de l’uniformité, en reconnaissant ouvertement la diversité de la nation turque. Une opération de façade n’aurait sans doute pas osé toucher à de tels symboles. Mais il est vrai que la résolution de la question kurde passe aussi par des mesures concrètes, touchant la culture, l’usage de la langue, la citoyenneté, ou la situation économique sociale des populations concernées. C’est pourquoi les mesures, qui doivent être révélées la semaine prochaine par Recep Tayyip Erdoğan, seront d’une extrême importance. Eu égard à ce qui s’est passé depuis le mois de juillet, le gouvernement ne peut pas se permettre de décevoir. Force est de constater qu’il a néanmoins des atouts dans cette phase délicate. L’armée est affaiblie, après la relance du scandale du «plan contre la réaction» (cf. nos éditons des 27 et 29 octobre 2009 ainsi que des 1er et 5 novembre 2009). Quant à l’opposition, elle n’est pas parvenue à susciter un rejet nationaliste véritable dans l’opinion publique turque et le CHP a même commencé à monter dans le train en marche… Il serait sans doute téméraire et un peu prématuré de dire qu’à ce stade tous les espoirs sont permis mais indiscutablement une nouvelle ère est en train de s’ouvrir.
Source : Blog de l'OVIPOT, Jean Marcou, 08.11.2009 (à retrouver sur http://ovipot.blogspot.com/2009/11/les-prochaines-echeances-de-louverture.html)
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