Bien qu’elles n’aient pas été précédées par une campagne passionnée et qu’elles ne se soient pas conclues par un résultat inattendu, les élections fédérales allemandes de septembre 2009 auront été une date marquante pour les Turcs d’Allemagne. En effet, cette consultation électorale a vu une très forte présence de cette communauté issue de l'immigration, tant dans les discours que dans les bureaux de vote. Alors que le taux de participation générale n'a jamais été aussi bas en Allemagne (70,8%), le nombre absolu de citoyens d'origine turque qui se sont rendus aux urnes, ainsi que le taux de participation relative au sein de ce groupe n'ont jamais été aussi élevés. Les journaux turcophones d'Allemagne ont couvert la campagne électorale de façon très exhaustive. Quant à la société civile, elle a été très active également. Par exemple, on a vu des associations d'entrepreneurs turcs inviter à une «kebap partie» les citoyens d'origine turque ayant fait usage de leur droit de vote...
Accompagnant ce fort mouvement de politisation, le Ramadan ne pouvait tomber mieux. Intervenant juste avant les élections fédérales, il a permis à la classe politique allemande de mieux se faire connaître d’un électorat qu’elle ignorait auparavant superbement : les citoyens issus de l’immigration. Pendant les quatre semaines du jeûne musulman, les éditions allemandes des grands journaux turcs comme «Hürriyet», «Sabah» ou «Zaman» ont débordé de compliments adressés à la communauté turque ou musulmane provenant de presque tous les ténors politiques allemands. Parfois, des messages de sympathie étaient même rédigés en turc. Certains candidats, ne craignant pas d’être suspectés de communautarisme et ou d’être accusés de ne pas garder assez de distance avec le religieux (un comportement qui différencie la politique en Allemagne et en France), n’ont pas hésité à se rendre en personne dans les mosquées pour transmettre leurs bons vœux, comme par exemple le ministre fédéral de la santé, Renate Schmidt (SPD) ou le leader de l’aile gauche du SPD, Andrea Nahles. Enfin, on observera que rares sont les parlementaires qui ne se sont pas fait photographier, célébrant un iftar avec des membres de la communauté turco-allemande.
Pour courtiser cette communauté d’une telle façon, la classe politique allemande a su tirer parti de la séparation stricte qui existe actuellement de fait entre les médias turcophones et germanophones en Allemagne. Ainsi, sans que l’évidence de la contradiction apparaisse, le ministre de l'Intérieur, Wolfgang Schäuble (CDU), a pu, d’un côté, voir citées en turc à la une de «Sabah» ou de «Türkiye» certaines de ses déclarations comme : «que la religion promeuve la tolérance, cela nous a été appris par l'islam» ; et d’un autre côté, s’adresser cette fois à son lectorat allemand traditionnel, en se montrant beaucoup moins favorable à l'islam et à la minorité musulmane pour expliquer qu’«il fallait des limites à la tolérance». Plus audacieux auront été les candidats au Parlement fédéral (Bundestag) qui se sont dotés d'une présence internet en turc ou qui ont même lancé des campagnes électorales entièrement en turc, en n’hésitant pas à courtiser publiquement un électorat minoritaire.
Mais l'arme de prédilection pour capter l’électeur d'origine turque sera quand même restée l'interview, dont le nombre accordé par les responsables politiques de premier rang aux journaux turcophones est tout à fait significatif. Parmi les personnalités, qui ont franchi le pas, figurent le ministre fédéral du travail, Olaf Scholz (SPD), et l'ex-Chancelier Gerhard Schröder, qui ont donné chacun une interview, ainsi que le ministre fédéral de l'intérieur, Wolfgang Schäuble (CDU), et le candidat social-démocrate à la Chancellerie, Frank-Walter Steinmeier, qui en ont donné deux pendant la campagne électorale. Même la Chancelière Angela Merkel, deux jours avant les élections, a finalement accordé une interview à «Hürriyet», qui a pu ainsi reprendre en manchette l’appel qu’elle n’avait pas hésité à lancer à l’électorat turc : « Size muhtacız ! » (« Nous avons besoin de vous !»).
L'intensité avec laquelle les partis politiques ont mené cette campagne en direction de la communauté turque est un phénomène politique tout à fait nouveau, qui est toutefois aisément compréhensible. Sur les 600 000 électeurs d'origine turque dénombrés en Allemagne, 237 000 n’ont acquis le droit de vote que récemment et votaient donc pour la première fois cette année. Il y a, ainsi, en l’occurrence, un potentiel électoral en pleine croissance, qui sera de plus en plus important à long terme. En ce sens, la dernière campagne électorale allemande aura été tout à fait innovante et permet de conclure que cette attention pour la communauté turque risque de marquer encore les élections à venir.
Source : Blog de l'Observatoire de la Vie Politique Turque (OVIPOT), Johannes Bauer, 02/10/2009 (à retrouver sur http://ovipot.blogspot.com/2009/10/la-decouverte-de-lelecteur-turc-en.html)
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