Le 13 juin 2010, lors d’un meeting à Amasra sur la mer Noire, Kemal Kılıçdaroğlu a vivement critiqué les choix diplomatiques du gouvernement de l’AKP en déclarant que le parti au pouvoir avait déplacé l’axe des équilibres de la politique étrangère turque. « Dans bien des milieux qui comptent, on commence à s’interroger sérieusement sur notre changement d’axe, c’est le résultat de la politique de l’AKP », a déclaré le leader du CHP avant de poursuivre : « Il y a une crise de confiance avec l’Ouest du fait de cette politique, l’AKP doit corriger le tir immédiatement, si ce n’est pas fait, les résultats seront encore pires dans un très proche avenir. » Selon lui, cette nouvelle diplomatie dévoile en réalité le vrai visage de l’AKP. En s’exprimant de la sorte, le leader kémaliste a voulu se faire l’écho de l’inquiétude que ressent à l’heure actuelle une frange de l’opinion publique turque, en particulier ses élites occidentalisées que le « Non » de leur pays, le 9 juin dernier, au Conseil de sécurité des Nations Unies, inquiètent au plus haut point. Nombre de ces élites, et plus généralement les gens issus des milieux laïques, déclarent avoir peur du tour pris par la politique étrangère turque depuis quelques semaines, suite aux derniers développements du dossier nucléaire iranien et aux réactions du premier ministre à l’affaire de la flottille. Il y a dans cette opinion le sentiment qu’un tournant a été pris, et que celui-ci n’aurait pas que des enjeux diplomatiques mais qu’il conforterait la dimension islamique, pour ne pas dire islamiste de l’AKP.
C’est également des bords de la mer Noire, lors d’un meeting à Rize, que Recep Tayyip Erdoğan ( évoqué la diplomatie turque actuelle pour répondre à Kemal Kiliçdaroglu : « Ceux qui pensent que la politique étrangère a changé d’axe sont incapables de comprendre le nouveau rôle que joue la Turquie et le caractère multidimensionnelle qu’a pris sa politique étrangère. » Au lendemain du vote négatif formulé par la Turquie à l’égard du projet de sanctions contre l’Iran, la semaine dernière, le premier ministre turc avait déjà infirmé l’idée que la Turquie se détournait de l’Ouest en qualifiant même un tel point de vue de « sale propagande ». Mais il s’en était pris aussi à l’Union Européenne (UE) en estimant que la politique étrangère suivie par la Turquie était aussi un message adressé « à ceux qui au sein de l’Europe veulent créer des obstacles à l’adhésion turque. » Il avait surenchéri en déclarant que l’UE était même actuellement soumise à un test quant à la sincérité de ses intentions à l’égard de la Turquie et qu’elle ne s’en rendait même pas compte. Dimanche, à Rize, Recep Tayyip Erdoğan, après sa réponse au leader kémaliste, a de nouveau adressé un message à l’UE, en lui reprochant de faire trainer l’intégration de la Turquie depuis 50 ans. « Il n’y a pas d’autres pays dans le cas de la Turquie. Nous avons mis en place un ministère spécial pour notre candidature, confié à Egemen Bağış, qui a rang de ministre d’Etat. Nous faisons tout ce que nous pouvons, mais ils continuent à nous maintenir en dehors. », a-t-il déclaré avant de conclure que si l’UE voulait démontrer qu’elle n’était pas un club chrétien, elle devrait admettre la Turquie en son sein.
Répondant à Nicolas Bourcier, à l’occasion d’une interview parue dans Le Monde, le 12 juin, Abdullah Gül a lui aussi évoqué la candidature de son pays à l’UE, mais en des termes plus nuancés. Estimant que « l’UE ne facilitait pas les choses » et que la Turquie devait aussi faire le nécessaire pour intégrer l’acquis communautaire, le président de la République a surtout évoqué, pour sa part, la cécité stratégique qui serait celle des Européens, en estimant que si l’UE ouvrait enfin les yeux, elle intégrerait la Turquie rapidement. Il a regretté en particulier que Bruxelles ne se fasse pas assez entendre sur la scène internationale, ce que l’affaire de la flottille et le dossier nucléaire iranien auraient à nouveau montré, avant de laisser entendre que l’intégration de la Turquie rendrait l’Europe plus forte.
Les derniers développements de la politique internationale, qui ont vu la Turquie aux avant-postes, risquent sans doute d’accroître la pression sur les Européens afin qu’ils précisent leurs intentions, quant au devenir de la candidature turque. Le gouvernement turc est de plus en plus impatient et temps des réponses dilatoires semble être révolu.
Source : Blog de l'OVIPOT, Jean Marcou, 13.06.2010 (URL : http://ovipot.blogspot.com/2010/06/kemal-klcdaroglu-sinquiete-des.html)